“Douce France”, la politique sous le prisme de l’humour

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Dans « Douce France », au théâtre Tristan Bernard, tout ce qui est dit est véridique, nous dit-on ! Rehaussée de ce préambule, la pièce se revêt d’une dimension originale et prend une saveur délectable. Avec fougue et jubilation, les comédiens et auteurs Stéphane Olivié-Bisson, David Salles et la comédienne Delphine Baril nous font visiter les coulisses du palais de l’Élysée, le centre névralgique du pouvoir. À l’appui de documents d’archives et de faits historiques choisis, ils balayent sur un ton grinçant et humoristique la politique des huit présidents de la Ve République française, mais surtout ils brossent leur personnalité à grands traits vifs, tranchants, impertinents et ironiques. Les mots cinglants sont éloquents. Qu’ils heurtent ou émeuvent, qu’ils provoquent de l’urticaire ou déclenchent du rire à répétitions, ils voltigent dans des arabesques sémantiques audacieuses. Ils se jouent de la bien-pensance, font feu de tous les partis sans langue de bois. Ils réveillent des souvenirs, tantôt lointains tantôt flous. Mais surtout ils dessillent nos yeux sur l’histoire véritable de nos chers présidents qui ont fait la France d’aujourd’hui, une France devenue douce-amère. S’il fallait démontrer combien notre mémoire politique pouvait être courte et sélective, c’est fait !

“Ces femmes qui ont réveillé la France”, un hommage ludique qui ravive la gratitude

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Au théâtre de la Gaîté Montparnasse, pour sa première fois sur les planches, l’homme politique Jean-Louis Debré joue « Ces femmes qui ont réveillé la France » avec sa compagne Valérie Bochenek, comédienne, mime et auteure (Le mime Michel Marceau). Ce bel ovni théâtral entre spectacle et master class, adapté du livre éponyme que le couple a coécrit en 2013, dresse le parcours d’une vingtaine de femmes qui ont fait évoluer les mentalités depuis la Révolution française. Le texte est ciselé, la narration intelligente. Le ton est décomplexé, drôle et passionné. La mise en scène d’Olivier Macé est dynamique, élégante et inventive. L’intermède musical de compositrices, interprété au piano par Valérie Rogozinski, qui clôt chaque portrait, s’invite comme une pause propice au recueillement. À travers les faits d’armes de ces pionnières (Marie Curie, Marguerite Yourcenar, Simone Veil…), c’est l’histoire des droits des femmes qui se reconstruit, au fil des batailles remémorées ; c’est une voix qui est restituée à une moitié de l’humanité ; c’est surtout un splendide et vibrant hommage rendu à l’audace et au courage de ces fortes personnalités sans qui la femme moderne ne serait (sans doute) pas ce qu’elle est aujourd’hui… sous nos latitudes.

“Le switch”, un trio gagnant

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Au théâtre d’Edgar se joue jusqu’au 15 janvier 2022 une comédie légère, malicieusement machiste, sur les rôles attribués à l’épouse et à la maîtresse. Que se passerait-il s’ils étaient intervertis ? C’est la question posée par Marc Fayet, l’auteur de la pièce « Le switch ». Sur un ton badin, irrévérencieux, le texte aux cent pulsations minutes entraîne les comédiens dans une course survoltée qui décoiffe ou ébouriffe. C’est selon qui Philippe (Alexandre Pesle) honore de sa présence. Chez sa femme (Emmanuelle Boidron), il est le mari prévenant, empressé à complaire ses quatre volontés, supportant ses humeurs. Chez sa maîtresse (Capucine Anav), il se transforme en mâle dominant, flattant « sa canassonne »… beaucoup plus jeune et un tantinet inculte, mais à l’encolure si affriolante ! Le rythme tantôt pépère, tantôt endiablé, est accentué par une mise en scène de Luq Hamett précise qui privilégie l’énergie en tout lieu par des entrées et sorties en coulisses incessantes. Dans la même veine, les décors « switchent » entre le domicile de l’épouse et celui de la favorite. Drôle par le renversement de la situation et le comportement inattendu des deux femmes, « Le switch » fait passer un bon moment de détente… sans essoufflement !

“Vraie !”, une performance plus vraie que nature

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Ah ! Quelle jeune fille ne rêverait pas de rencontrer Bradley Cooper, acteur et réalisateur en 2018 de « A star is born » avec Lady Gaga dans le premier rôle ? Dans son premier one woman show musical « VRAIe ! », au théâtre de L’Archipel, Prisca Demarez l’appelle de ses vœux passionnés et de toutes les manières scéniques possible ! Fil rouge de son spectacle, dans une mise en scène très rythmée de Papy, ce prince charmant des temps modernes n’est en fait qu’un faire-valoir qui hisse la prestation de l’artiste au-dessus d’elle-même et de ce désir inextinguible de chanter. L’histoire de « A star is born » pourrait avoir été écrite pour Prisca Demarez tant se faire reconnaître par un agent et le public fut un parcours jonché d’obstacles et de recommencements. Avec sincérité et enthousiasme, elle nous relate en chansons les grandes lignes de ce vécu, non sans manier un humour décomplexé et irrésistible. La chanteuse de comédie musicale (Avenue Q, Blanche Neige, Cabaret, Cats) à la vitalité contagieuse n’a jamais baissé les bras et heureusement pour nous. Accompagnée de John Florencio au piano et d’Erwan Le Guen au violoncelle, complices dans son exubérance et tout aussi talentueux, elle nous offre une performance impressionnante, dont la déflagration d’émotions qu’elle déclenche résonne en soi bien après l’heure quinze de spectacle.

“Fellini, Roma et Moi”, ou le feu intérieur d’une passion

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Entre Federico Fellini et Bunny Godillot, une connivence naît. Entre vérité et fantasme. Entre autofiction et autoportrait. L’un au service de l’autre… et inversement. L’auteure et comédienne Bunny Godillot a mis à profit l’espace-temps confiné de ces longs mois de rupture avec le public pour interroger son parcours d’artiste et la flamme qui l’a alimenté toutes ces années. Sans faille ni doute ? Ça, c’est une autre histoire ! Dans cette exploration du Moi, Fellini s’est immiscé, tel un maestro guidant ses acteurs, avec tendresse et panache. De ce rapprochement intime a éclos une pièce intimiste, lyrique et onirique d’une grande pureté narrative. « Fellini, Roma et Moi », au théâtre solidaire 100ecs, vibre au diapason d’un conte où s’entrelacent le réel et l’imaginaire d’une comédienne à la sensibilité aiguisée au mal-être de sa jeunesse et à la volonté de devenir ce pour quoi elle savait être destinée. Depuis « Huit et demi » et la « Dolce Vita », la jeune adolescente n’avait qu’une idée en tête : rencontrer l’immense Fellini et être comédienne. Si l’entrevue entre les deux artistes est peut-être fictive, la carrière de Bunny Godillot n’en est pas moins authentique et riche. Mais qu’importe la véracité tant que le rêve partagé est beau !

“Marie des Poules”, un destin sublimé par des comédiens transcendés

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Quand Marie Caillaud, alias Marie des Poules, se souvient à une terrasse de café parisien, de l’eau a coulé sous les ponts sans diluer son amour absolu pour Maurice, fringant fils de George Sand. Ni sa reconnaissance envers l’écrivaine qui lui a appris à lire, à écrire, à parler sans rouler les r et surtout à réfléchir par elle-même. Cette histoire vraie que transpose Gérard Savoisien au théâtre Montparnasse répond au désir de la comédienne Béatrice Agenin, native du Berry, d’incarner George Sand. « Marie des Poules, gouvernante chez George Sand » est une pièce d’une extrême pudeur, d’une intelligence émotionnelle remarquable et d’une poésie narrative et scénique qui enchante. Avec naturel et une époustouflante dextérité, la comédienne se glisse dans les costumes de la servante de onze ans et de la jeune adulte, ainsi que dans ceux de George Sand. Ce soir-là, Arnaud Denis, metteur en scène de la pièce, lui donne la réplique avec la même intensité, tant dans la colère que dans la duplicité. Molière 2020 du meilleur spectacle du théâtre privé, « Marie des Poules » est reprogrammée pour notre plus grand bonheur, après l’arrêt brutal du spectacle vivant pendant des mois. Elle revient avec encore plus de force évocatrice sur son message subliminal sur l’importance de l’éducation, à une époque où l’ignorance est loin d’être éradiquée.

“Le Petit Coiffeur”, plongée délicate dans les affres de la Libération

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Avec « Le Petit Coiffeur », au théâtre Rive Gauche, Jean-Philippe Daguerre poursuit son immersion dans la Seconde Guerre mondiale entamée avec « Adieu Monsieur Haffmann » (4 Molières 2018, dont Meilleur Spectacle de Théâtre Privé et Meilleur Auteur). On se souvient avec grande émotion de cette pièce dont l’histoire se situe en 1942, au moment de l’obligation faite aux Juifs de porter l’étoile jaune. « Le Petit Coiffeur » évoque l’épuration au moment de la Libération qui vient en contrepoint de la grandeur d’âme. Dès l’ouverture du rideau, l’atmosphère rétro téléporte la salle dans un temps encore sombre, impression renforcée par le mobilier et les costumes aux couleurs froides. Côté cour, la chambre de Pierre ; côté jardin, le salon de coiffure. Tels les recto/verso d’un livre grandeur nature dont les personnages tournent les pages. Ce livre relate un drame ordinaire de cette époque où délation et règlements de compte formaient le quotidien des villes libérées. Il se focalise sur un coiffeur également peintre qui tombe amoureux de son modèle, Lise qui est une veuve au lourd secret sur la conscience. Entre lyrisme et tension, les comédiens évoluent avec aisance. On est facilement projeté dans le drame intime de cette famille, partagée entre amour et devoir, qui voit un dénouement inattendu, tout en intelligence scénique.

“Saint-Exupéry, le mystère de l’aviateur”, un biopic théâtral de haut vol

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Il suffit d’évoquer Saint-Exupéry pour que « le Petit Prince » surgisse de l’enfance. Qui ne connaît pas ce petit être délicat qui cherche à comprendre la vie ? Que vous ayez grandi avec son message d’humanité ou pas, le biopic théâtral « Saint-Exupéry, le mystère de l’aviateur » vous transportera littéralement dans sa vie d’homme engagé, lettré et aventurier, passionné par l’aviation et son pays. Créée au théâtre des Béliers à Avignon durant le festival Off, la nouvelle pièce d’Arthur Jugnot et Flavie Péan s’installe enfin au théâtre du Splendid jusqu’au 6 novembre. Quels que soient les qualificatifs élogieux employés, aucun ne peut donner l’exacte mesure des émotions suscitées par ce récit aussi beau que singulier qui relate la vie de ce héros ordinaire et le mystère qui entoure sa disparition en 1944 en mer Méditerranée. C’est comme cet effluve de madeleine – si chère à Proust – qui revient titiller nos tendres souvenirs, mais sous une forme inédite, plus complexe en sensations qui se combinent comme par magie. La magie est réelle, et on y croit. Nos cœurs d’enfant et d’adulte, unis dans l’instant, exultent de ravissement. L’écriture est taillée pour Saint-Exupéry, à la fois poétique et drôle. Les traits d’esprit succèdent aux émotions. La scénographie de Juliette Azzopardi et Jean-Benoît Thibaud est époustouflante d’imagination, créant un livre ouvert enchanté. Les six comédiens, dont certains campent plusieurs rôles, sont d’une justesse inouïe. Quant à la mise en scène d’Arthur Jugnot, elle est méticuleuse, dynamique, inventive. Si Saint-Exupéry est bel et bien revenu parmi nous, ce n’est pas l’œuvre d’un mystère, mais du talent !

“Chirac”, une rencontre fictive captivante

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« Bison égoïste » (surnom chez les scouts), « Super menteur » (Les Guignols de l’Info), « Chichi », « 5 minutes douche comprise » (référence à ses conquêtes féminines), ou encore « L’Agité » (surnom donné par VGE) et « Bulldozer » (surnom affublé par Pompidou) désignant un homme qui parvient toujours à ses fins, etc. Les sobriquets ironiques ou affectueux attribués à Jacques Chirac sont légion. Chacun a l’avantage d’éclairer un trait de caractère de cet animal politique de la Ve République française resté douze ans aux commandes de la France, et qui n’hésitait pas à sacrifier son bonheur pour ne pas avoir à renoncer. Quoi qu’on pense de sa conduite des affaires de l’État, personne ne pourra lui enlever l’amour profond et sincère qu’il éprouvait envers son pays et ses contemporains. S’il fut longtemps la personnalité politique préférée des Français, l’homme est un mystère, dont la pièce éponyme de Dominique Gosset et de Géraud Bénech soulève le voile avec tendresse et intelligence, au théâtre de la Contrescarpe jusqu’au 22 août. Entre badinage et gravité, non sans humour et répliques bien senties, Chirac (Marc Chouppart) se confie à Valérie (Fabienne Galloux), une grande admiratrice qui rêve d’écrire une biographie « intime » sur l’ex-président. La conversation est imaginaire, mais tous les propos sont vrais. Si son parcours politique rappelle bien des souvenirs, des aspects de sa vie privée le montrent sous un jour nouveau. Passionnant et sidérant de réalisme !

« Espèces menacées », une mallette qui vaut son pesant de rire !

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Que feriez-vous si vous trouviez une mallette remplie à ras de petites coupures ? Iriez-vous la rapporter au poste de police le plus proche ? M’enfin… C’est quand même 7,350 millions d’euros ! Une somme qui peut aiguiser tous les appétits ! Du reste, ça sent le blanchiment à plein nez. Yvon Lemoual (Laurent Ournac), lui, y voit la formidable occasion de tout quitter : son petit pavillon, sa petite vie de comptable et ses amis qu’il a invités à dîner. Mais rien ne se passe comme prévu. Au lieu de toucher à la liberté espérée, il s’enferme dans ses mensonges de plus en plus grossiers. « Espèces menacées » est une comédie burlesque du dramaturge britannique Ray Cooney créée en 1994 sous le titre original « Funny money ». Adaptée avec brio par Michel Blanc et Gérard Jugnot (d’autant que ce dernier l’a déjà joué en 1998 avec Martin Lamothe), la pièce est une succession de jeux de mots, de quiproquos et de revirements, avec des réparties incisives. De manière sous-jacente, la gaudriole déjantée questionne aussi la valeur des rapports humains quand l’appât du gain s’immisce dans les relations. L’ensemble abolit le temps mort, l’effervescence est à son comble, laissant jaillir de purs éclats de plaisir ! Dirigés par Arthur Jugnot, les huit comédiens tiennent leur rôle à bout de bras, sans jamais faillir, partageant bonne humeur, complicité et vitalité. Profitez-en ! Ouvert tout l’été, le théâtre de la Renaissance maintient à l’affiche jusqu’au 11 septembre 2021 cette comédie irrésistible et surprenante du début à la fin.

“Toute l’histoire de la peinture en moins de deux heures”, spectaculaire, ludique et si vivant

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L’historien et critique d’art dit n’avoir jamais été déçu par la peinture. Les œuvres lui ont toujours été fidèles. Empli d’une reconnaissance absolue, Hector Obalk partage depuis 2013 sur scène (notamment au théâtre de l’Atelier) cet amour inconditionnel qu’il voue à la peinture au travers de son spectacle-conférence « Toute l’histoire de la peinture en moins de deux heures », accompagné d’un violoncelliste, d’un violoniste et d’une soprano. Auteur sur l’art et réalisateur de la série Grand’Art sur Arte, l’homme connaît son affaire et sait faire valoir son opinion sans concessions. La fibre pédagogique, un brin d’humour dans sa besace à malices, la connaissance en majesté, Hector Obalk devient en un temps record votre meilleur ami. Vous savez, celui qui vous initie au lieu de pontifier sur un tableau qui vous faire sentir minable. Ce spectacle qui décrypte sept siècles de l’histoire de la peinture n’est pas chose impossible à qui sait en retirer l’essentiel des époques, des courants, des progrès, de la technique, des manies, de la couleur, des détails. Tout cela imperceptible à qui regarde sans voir. Comme un profiler, ce spécialiste en beauté sait faire parler le tableau, il en délivre les secrets. Il nous montre comment trouver ces anomalies qui ne sont pas « anomaliques », des facéties du peintre qui donne de la personnalité à son œuvre, mais aussi une caractéristique unique ou répétitive qui porte un éclairage original et édifiant sur le peintre « incriminé ». Le néophyte y gagne la révélation ; le connaisseur, un autre regard.

“Napoléon, la nuit de Fontainebleau”, duel éblouissant entre l’Empereur et son humanité

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À la Folie théâtre, jusqu’au 31 juillet 2021, se livre un duel à l’acmé de l’art scénique entre l’immortelle légende et l’homme mortel. Napoléon Bonaparte est à l’agonie dans sa chambre de Fontainebleau, où il est tenu à résidence après sa première abdication. Nous sommes dans la nuit du 12 au 13 avril 1814, à un virage décisif pour l’Empereur vaincu qui a décidé de mourir cette nuit-là. « Napoléon, la nuit de Fontainebleau » est un huis clos historique véridique éblouissant par la singularité du sujet, la force du verbe et l’authenticité du jeu des comédiens. La grande histoire en tremblerait presque dans ses fondations tant elle est bousculée par la puissance de feu éruptive du héros déchu et la portée philosophique sur la mort qui le transcende. Tel un homme au service de sa grandeur. La salle est en surchauffe émotionnelle tandis que Napoléon grelotte de douleur. En évoquant ce pan méconnu de l’histoire napoléonienne, l’auteur et metteur en scène Philippe Bulinge nous gratifie d’une nuit inoubliable qui condense jusqu’à l’extrême l’essence d’une fresque vivante aussi adulée que haïe. Mais, surtout, qui donne à voir l’homme derrière l’être exceptionnel qu’il fût et que l’Histoire a porté aux nues. En cette terrible nuit décisive, l’homme éreinté, abandonné de presque tous, sans armée, sans perspective de conquête, parviendra-t-il à faire taire l’Empereur qui tambourine au seuil de la mort pour ausculter sa vie d’homme ?

“Mon petit grand frère”, l’inouïe transcendance de l’absence

Temps de lecture : 4 min THÉÂTRE & CO
À histoire inouïe, spectacle inouï. Quand la fiction autobiographique théâtrale prend le pas sur la réalité, c’est l’émotion qui étreint la gorge et libère la dopamine en vague déferlante. Dans sa dernière pièce « Mon petit grand frère », jouée en avant-première à Le Local (Paris XIe), Miguel-Ange Sarmiento se livre nu. Nu des secrets si lourdement gardés et nu des silences bruyants qui se fracassent contre la mémoire d’un enfant de deux ans. L’auteur et interprète de cette pièce intimiste, qui allie pudeur et puissance d’évocation, a patienté cinquante ans avant d’oser franchir le pas ce Noël 2019 et de demander à ses parents mutiques, prisonniers d’une douleur jamais pansée, de lui raconter le bassin de son frère aîné, dans la mare près de chez eux, le 9 mars 1971, alors qu’il n’avait que deux ans. Ne sachant rien et doutant même de la thèse de l’accident, Miguel-Ange Sarmiento a grandi dans le manque du frère et d’explications, dans la culpabilité d’être celui qui reste, dans le silence d’un passé tenu secret par des parents inconsolables. Servi par un texte dense, équilibré et émouvant, le comédien nous raconte le drame familial et son désarroi d’être devenu transparent aux yeux de sa mère éplorée. Il nous livre aussi comment il lui a été impossible de grandir comme les autres garçons de son âge, dans l’insouciance, la joie et l’impertinence. Comment il est devenu un enfant raisonnable, puis un artiste écorché vif.

“La douce nuit qui parle” : beau, tout simplement

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La vie théâtrale reprend, et avec elle la découverte de créations qui transcendent le quotidien. Moult fois reportée, « La douce nuit qui parle » se joue enfin au théâtre de la Boutonnière, un ancien atelier qui se découvre en fond de cour, rue Popincourt, juché en hauteur. Comme la promesse de côtoyer les étoiles. Discret et intimiste, il est le parfait écrin d’une pièce puissante et bouleversante sur deux monstres sacrés : Marguerite Duras et Jeanne Moreau. Inconditionnelle de la première et admirative de la seconde, l’auteure et journaliste Marielle Cro a imaginé les retrouvailles de ces deux êtres qui s’aimaient d’une amitié sincère et passionnée, que la renommée a séparés. Pour Jeanne Moreau, Marguerite Duras était sa première amitié féminine, et son absence une blessure. Elles accompliront leur destin dans le silence d’une amitié éteinte, qu’un rien aurait pourtant pu ranimer. Ce rien, Marielle a osé le provoquer, a posteriori, dans cette réalité fictive qui entend réparer l’amitié brisée. Lors « d’une douce nuit », elle a convoqué les deux icônes autour d’un ultime dîner pour s’expliquer dans un duo ciselé et des monologues poignants. Solange Pinturier (Jeanne Moreau) et Louisa Baileche (Marguerite Duras) se coulent avec bonheur dans la peau de leur personnage et « parlent » au cœur du public qu’elles invitent, par un jeu sobre et chaleureux, dans leur intimité élargie.

“Revolvers et Talons hauts”, une comédie policière efficace et réjouissant

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« Revolvers et Talons hauts » de Benjamin Waltz et Arnaud Nucit, au théâtre du Marais (à 17 h 30 le dimanche) est un fringant et divertissant polar théâtral aux couleurs de l’Amérique des années 50. L’intrigue se situe à Walnut Grove, une bourgade au fin fond de la Pennsylvanie. La génération de « La Petite Maison dans la prairie » et les suivantes ne manqueront pas de relever l’allusion ! Mais nous sommes loin des bons sentiments véhiculés par cette série aux 205 épisodes ! « Revolvers et Talons hauts » mise le paquet sur le second degré et le pari est gagnant. L’humour est noir, décalé, frisant l’absurde ; il taille allégrement dans la misogynie ordinaire décomplexée et le féminisme balbutiant, mais pugnace. Le scénario met en évidence un commissariat du village sur le point de fermer, car le taux de la criminalité est à zéro. Les deux inspecteurs O’Donnell (Arnaud Nucit) et Macklowski (Vincent Vilain) vont être remerciés. Le vol providentiel d’un bijou inestimable dans le musée du coin, leur offre un sursis. Mais la lenteur des résultats a pour conséquence l’arrivée d’un agent du FBI, Cody Goodman (Esther Barbe Quesnel). Une femme ! Pour l’orgueilleux O’Donnell et l’efféminé Macklowski, rien ne va plus. Cody Goodman est une menace arrogante qu’il faut doubler. Quoi qu’il en coûte !

“Comme ils disent”, l’homosexualité à la sauce hétéro : un délice !

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Que l’on soit homo ou hétéro, les amours, les amis, les emmerdes, c’est du pareil au même. La vie de couple au quotidien connaît les mêmes hauts et bas, les mêmes coups de canif au contrat, les mêmes sentiments et ressentiments. C’est tout le sens de la pièce « Comme ils disent », qui n’a pas pris une ride depuis 2008, l’année de sa création par Pascal Rocher et Christophe Dauphin. Actuellement reprise au théâtre Montmartre-Funambule par Jordan Chenoz dans le rôle de David et par Sébastien Boisdé (en alternance avec Antoine Bernard) dans le rôle de Phil, cette comédie irrésistible se déroule en plusieurs tableaux de vie, tranchés dans le vif et l’outrance, chacun ponctué par un gong de fin de round. Personne ne pense à compter les points tant le numéro de composition des deux comédiens (ce soir-là Jordan Chenoz et Antoine Bernard) est à la hauteur de l’enjeu et nous fait perdre la notion du temps. Le pompon ? Le plaisir de reconnaître dans les dialogues des phrases tirées de la chanson de Charles Aznavour, essaimées ici ou là très opportunément. « Comme ils disent » n’est pas qu’une joyeuse et fantasque illustration de la vie d’un couple homo, c’est aussi la mise en apogée de la complexité d’une relation entre êtres humains, quel que soit le mariage des genres.

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