“Napoléon, la nuit de Fontainebleau”, duel éblouissant entre l’Empereur et son humanité

Temps de lecture : 4 min

THÉÂTRE & CO 

Avis de PrestaPlume  ♥♥♥♥♥

Critique éclair

À la Folie théâtre, jusqu’au 31 juillet 2021, se livre un duel à l’acmé de l’art scénique entre l’immortelle légende et l’homme mortel. Napoléon Bonaparte est à l’agonie dans sa chambre de Fontainebleau, où il est tenu à résidence après sa première abdication. Nous sommes dans la nuit du 12 au 13 avril 1814, à un virage décisif pour l’Empereur vaincu qui a décidé de mourir cette nuit-là. « Napoléon, la nuit de Fontainebleau » est un huis clos historique véridique éblouissant par la singularité du sujet, la force du verbe et l’authenticité du jeu des comédiens. La grande histoire en tremblerait presque dans ses fondations tant elle est bousculée par la puissance de feu éruptive du héros déchu et la portée philosophique sur la mort qui le transcende. Tel un homme au service de sa grandeur. La salle est en surchauffe émotionnelle tandis que Napoléon grelotte de douleur. En évoquant ce pan méconnu de l’histoire napoléonienne, l’auteur et metteur en scène Philippe Bulinge nous gratifie d’une nuit inoubliable qui condense jusqu’à l’extrême l’essence d’une fresque vivante aussi adulée que haïe. Mais, surtout, qui donne à voir l’homme derrière l’être exceptionnel qu’il fût et que l’Histoire a porté aux nues. En cette terrible nuit décisive, l’homme éreinté, abandonné de presque tous, sans armée, sans perspective de conquête, parviendra-t-il à faire taire l’Empereur qui tambourine au seuil de la mort pour ausculter sa vie d’homme ?

Résumé

Persuadé que l’île d’Elbe n’est qu’une mascarade, qu’il ne reverra plus son épouse ni son fils, Napoléon ingurgite le poison qu’il garde autour du cou depuis la campagne de Russie. Concocté par son médecin personnel Yvan, ce viatique n’en finit pas de faire son effet. L’homme déchu souffre le martyre, se contorsionne dans un lit défait et délire, se croyant sous le feu des canons. C’est bien sa dernière bataille, qu’il livre et entend remporter ! Pensant être arrivé au bout du chemin, il fait venir à lui le général de Caulaincourt pour lui dicter ses dernières volontés et en faire le témoin de son trépas. N’ayant jamais tremblé jusqu’alors, il embrasse la mort avec la même impétuosité qu’il a embrassé la vie. C’est le moment idéal pour s’interroger sur ses actes et son incroyable ascension, sur les conquêtes et les défaites, sur sa propension à n’écouter que lui. Un Empereur ne doit pas se tromper, au risque d’y perdre sa crédibilité, pense-t-il. La mort n’est-elle pas une sortie des plus honorable pour celui qui s’est fourvoyé, à l’instar des grands comme César ou Alexandre ? Son fidèle Caulaincourt balaye tous les arguments. Sinon, à quoi bon lui avoir obtenu une résidence à l’île d’Elbe et une vie confortable, entouré des siens ? Appelé au chevet de l’Empereur par Caulaincourt, le médecin Yvan refuse également de l’aider à mourir, objectant les droits sacrés de sa profession et les injonctions religieuses.

Pour approfondir

Mais, la vie vaut-elle d’être vécue une fois dépecée du prestige ? Une vie confortable convient-elle à une légende, même déchue ? Napoléon pense jouer là son dernier combat. Un combat personnel, un duel contre lui-même, au-delà de la joute au fil des arguments pour convaincre Caulaincourt et Yvan d’abréger ses souffrances. Il entend vociférer en lui le grand homme qui exige de choisir en son âme et conscience le chemin de son Salut. Qui sont-ils, ces hommes qui lui jurent fidélité et prétendent l’aimer, pour l’empêcher de mourir ? Ne peut-on choisir l’heure de sa mort ? Comment faire entendre raison à cet entourage qui veut le préserver à tout prix ? N’est-on pas son propre juge qui a tout pouvoir sur soi-même ? De grandes questions qui ne peuvent trouver réponse qu’à l’aune de son intime conviction. Entre grandeur et décadence, « Napoléon, la nuit de Fontainebleau » avance les pions d’un véritable duel entre l’Empereur et son humanité. Le texte de Philippe Bulinge, adapté de son livre (aux éditions de L’Harmattan) met en opposition la légende qui ne s’appartient déjà plus et l’homme agonisant qui s’accroche à son droit fondamental d’avoir la maîtrise de son destin. Le duel est fulgurant d’intelligence et met en lumière la complexité de l’être humain, dans ses choix et ses errances.

Sur ce texte tendu à l’extrême, les comédiens jouent sur la corde raide du drame. Damien Gouy est le Napoléon personnifié, entre fureur et abattement, entre manipulation et sincérité. L’éventail des émotions qui traversent son personnage requiert une exigence de jeu serré et une élocution millimétrée. Pourtant dépouillé d’attributs virils, le comédien impose un Napoléon dans toute sa splendeur existentielle. Portant beau et clinquant, Loïc Risser habille Caulaincourt d’une dignité émouvante, balançant entre fidélité inconditionnelle et irritation contre celui qui persiste encore dans ses erreurs. Pétri d’inquiétude et de fermeté, Vincent Arnaud campe un médecin déchiré, mais intraitable sur ses convictions qu’aucun argument ne peut ébranler. Cet ensemble équilibré fait de ce huis clos un spectacle aussi sidérant qu’édifiant, servi par un texte percutant, une mise en scène aussi musclée que dépouillée et des comédiens incroyablement incarnés.

Nathalie Gendreau
©Intersignes


Distribution
Avec : Damien Gouy, Loïc Risser, Vincent Arnaud

Créateurs
Auteur : Philippe Bulinge
Mise en scène et scénographie : Maude et Philippe Bulinge

Décors : Atelier Intersignes
Costumes : 
Marylin François

Les mercredis et vendredis à 19 h 30 et les jeudis et samedis à 21 h jusqu’au 31 juillet 2021, A la folie théâtre, 6 rue de la Folie Méricourt, Paris XIe.

En tournée
– 28 août 2021 au Château de Saint-Marcel-de-Félines (42)
– Du 15 au 17 octobre 2021 à Papeete – Tahiti – Polynésie française.
– le 13 novembre 2021 au Théâtre municipal de La-Roche-sur-Yon (85).

Durée : 1 h 15

3 réflexions au sujet de ““Napoléon, la nuit de Fontainebleau”, duel éblouissant entre l’Empereur et son humanité”

  1. Que voilà une belle pépite trouvée par Nathalie Gendreau ! J’avais vaguement entendu parler de cette nuit tragique à Fontainebleau pendant laquelle Napoléon avait tenté de se suicider… juste avant son départ pour l’ile d’Elbe.

    Mais l’idée d’en faire un huis clos au théâtre, l’année où l’on célèbre top timidement le bicentenaire de l’Empereur, est tout simplement une superbe proposition de joindre le plaisir d’un divertissement à l’enrichissement de sa culture.

    Manifestement l’exercice est réussit car il a donné à Nathalie Gendreau des élans d’écriture qu’elle ne réserve qu’à quelques privilégiés. Avis aux amateurs qui ont un peu oublié leur Histoire de France, tellement méprisée aujourd’hui par ceux qui veulent la déconstruire. Vive l’Empereur !

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  2. Formidable critique ! J’adore Napoléon et je ne sais si cet épisode est vrai, je le découvre et en tout cas, on a envie d’en savoir plus.

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