“La domestication”, Nuno Gomes Garcia

Temps de lecture : 2 min

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Un ovni littéraire, balançant entre l’expérimental et la réalité

Au risque de me fourvoyer dans un lieu commun, « La domestication » est un ovni littéraire, balançant entre l’expérimental et la réalité. Le troisième roman de Nuno Gomes Garcia (Editions iXe) joue dans la cour de l’anticipation sans y être vraiment. Il est résolument contemporain par les termes abordés, mais original par leur traitement. L’auteur imagine un monde inversé, où la femme l’emporte sur le masculin en tout, aussi bien dans le quotidien que sur la scène politique. Mais surtout dans le langage. L’auteur privilégie le pronom personnel féminin, une émasculation nette et sans bavure, dans les règles de l’art grammatical. Il imagine une société matriarcale en construction, après le Grand Fléau et l’avènement de la Nouvelle République. Dans cette société, les hommes sont éduqués à « L’Institut des maris » pour devenir un mari au foyer, effacé et obéissant. Pour sortir, ils sont accompagnés et portent un cache-tout (semblable à la burqa). Ils possèdent dans leurs gènes modifiés la sensibilité autrefois attribuée aux femmes. Ainsi tanguent-ils entre la peur et les pleurs. Les femmes ont tout pouvoir sur ces maris ravalés au rang d’objet. Dans cette société, la gestation est entre les mains de la science et la « fornication » est prohibée. Enfin, la peine de mort est réservée aux hommes. Une société autoritaire et sans saveur qui préfigurent un extrémisme, certes différent, mais plausible, tant la domination est inhérente à l’être humain, qu’il soit il, elle ou iel.o

Standardisation des êtres humains

Pierre est le mari de Francine, choisi à l’Institut. Petit, rondouillard, émotif, craintif et serviable. Bref, le mari parfait. Ils vivent modestement à Andrésy. Mais la stérilité évidente de Pierre pose un problème de taille à ce tableau idyllique, car l’obligation faite aux femmes est de donner la vie à deux filles. Francine pourrait renvoyer Pierre au recyclage, mais elle ne s’y résout pas. Alors elle se tourne vers une autre solution, rare, mais possible  : un second mari. Dans ce cas, c’est le premier époux qui choisit. Il portera son choix sur Jean, sans hésitation. Un homme hors norme, grand et musclé, à l’étonnante virilité. De plus, il est éduqué et sait réfléchir. Une aberration dans cette société de standardisation des êtres humains. Francine succombera à cette attraction charnelle, aussi interdite qu’irrésistible. Pierre aussi. L’unité familiale se disloquera peu à peu  : Francine disparaît, Jean est accusé… et Pierre est recueilli par une voisine aux motivations douteuses. La Nouvelle République acceptera-t-elle d’entendre la vérité, au risque d’amoindrir son pouvoir  ?

Le passage du patriarcat au matriarcat n’invente pas une autre société, il déplace juste le problème de la domination. Usant de ce calque qui inverse les rôles, l’auteur nous fait naviguer entre totalitarisme qui rappelle fort ce que nous connaissons encore, à savoir la manipulation, la fourberie, la quête du pouvoir, le stratagème politique, l’extrémisme, l’anéantissement de la conscience. Démonstration est faite que la domination de la femme ne serait pas meilleure que celle des hommes. Ce roman est puissant et singulier, que la traduction de Clara Domingues n’a pas amoindri. L’ablation chirurgicale du masculin est tant dans la forme que dans le fond. Une étrangeté stylistique renforcée par l’intrication en décalé du présent et du passé, donnant au lecteur un coup d’avance ou de retard suivant le moment. Un travail d’orfèvre qui ajoute au postulat de départ un moment de lecture passionnant. 

Nathalie Gendreau

Éditions iXe – Collection iXe’ Prime, 27 mai 2022, 264 pages, à 17 euros.


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