“Le Tigre”, Joël Dicker

Temps de lecture : 3 min CHRONIQUE
Joël Dicker avait gardé au fond d’un tiroir informatique un conte écrit pour prendre part à un concours de nouvelles en 2004. Il avait 19 ans. L’histoire ne dit pas s’il a remporté ce concours avec ce conte d’inspiration russe « Le Tigre », mais une chose est sûre : il ne faut jamais jeter ses premiers écrits. S’ils ne marquent pas forcément les esprits, ils en disent long sur le processus de création, l’inspiration et le parcours de l’auteur dans son chemin d’écriture jusqu’à la belle éclosion. « Le Tigre », paru aux éditions de Fallois, est un conte à ne pas mettre entre les mains des tout jeunes. Il tient plus de la Bête du Gévaudan que du Petit chaperon rouge où il est question dans les deux cas de dévoration. Avec « Le Tigre », on prend un billet simple dans la lointaine Sibérie où la plus grande menace n’est plus le froid ou la faim, mais la voracité d’un tigre qui tue sans faim et la voracité sans fin d’un homme avide.

“Raymonde”, Audrey Poux

Temps de lecture : 4 min CHRONIQUE
Qui a vu et aimé le film « Le diable s’habille en Prada » doit se précipiter sur « Raymonde » d’Audrey Poux, aux éditions De Fallois. Un premier roman très réussi : enlevé, cruel, grinçant et drôle. Le style de l’auteur, aux traits bien marqués, détourne l’horreur de comportements éminemment nocifs et parvient à sublimer les situations avilissantes et les propos blessants. Le talon dans une cage à titi en couverture en dit long sur la dérision dont fait preuve l’auteure. En fait, Raymonde s’appelle Chloé. Mais comme ce prénom était déjà pris dans la rédaction du magazine de mode « Dolce Vita », la rédactrice en chef, langue venimeuse et esprit retors comme armes de poing, rebaptise sa nouvelle chef de service de son deuxième prénom : Raymonde. Ce baptême aux couleurs de l’extrême onction est le point de départ à l’enfer pavé de très mauvaises intentions et à un livre qui brosse des portraits très gratinés…

“Le Jardin d’Orléans”, Catherine Saulieu

Temps de lecture : 4 min CHRONIQUE
“Le Jardin d’Orléans” relate la saga familiale des Legros-Magloire, de riches bourgeois dijonnais réfugiés à Oran dans un XIXe siècle finissant, après la ruine de leur fabrique de moutarde. Cette histoire privée aurait pu le rester si Catherine Saulieu ne s’était penchée sur les Mémoires de son grand-père Joseph Magloire, un récit d’un peu plus de trois cents pages, minutieusement reliées, qui s’étend de 1870 à 1945 et se déroule en France et en Algérie. L’héritière de cette histoire sur plusieurs générations ne se contente pas d’évoquer les événements familiaux, les convictions religieuses et politiques, et de dépeindre les personnalités tranchées et extrémistes des protagonistes, elle les examine à la loupe des mentalités d’alors pour mesurer l’aveuglement et le déni de ce grand-père dévot, antisémite et nationaliste. Ce récit bâti comme un docu-fiction est d’un intérêt sociologique et historique certain, car se faisant l’écho d’une société française d’expatriés par l’exposition d’un “cas d’école”.

“La disparition de Stephanie Mailer”, Joël Dicker

Temps de lecture : 3 min CHRONIQUE
Joël Dicker était très attendu avec son quatrième roman, La disparition de Stephanie Mailer, paru aux éditions de Fallois. Après La Vérité sur l’affaire Harry Quebert, en 2012, l’immense succès transposé en série par Jean-Jacques Annaud, et Le livre de Baltimore en 2015, l’auteur suisse revient vers les terres connues du thriller qui cultive un style limpide et efficace, et une intrigue à multiples rebondissements. Roman dense aux multiples voix qui se répondent à travers le temps, sa construction astucieuse tricote et détricote les coupables potentiels. L’auteur nous balade, en lâchant ici ou là, au détour d’un lac marécageux ou d’un bar interlope, d’infimes indices qui détournent les trois enquêteurs Jesse, Derek et Anna du véritable chemin qui conduit à la solution. Ce trio efficace reprend en 2014 une enquête conduite en 1994, à Orphea, une charmante localité dans les Hamptons, dans l’État de New York, à la suite de l’étrange disparition de Stephanie Mailer. Étrange car cette brillante journaliste est persuadée que l’auteur du quadruple meurtre arrêté à l’époque par Jesse et Derek était innocent. Se seraient-ils trompés de coupable ?

“Une comédie à la française”, Jean-François Roseau

Temps de lecture : 2 min CHRONIQUE
Avec Une comédie à la Française, Jean-François Roseau trempe sa plume satirique dans la noirceur des intrigues de la République. Ce roman, qui résonne des échos véridiques de l’actualité, palpite au diapason de l’assouvissement de l’ambition et de la course au pouvoir, quel qu’en fut le prix à payer. Dans la lignée du “roman vrai” de son précédent livre “La chute d’Icare”, ce jeune auteur nous plonge dans les coulisses d’un parti politique aux allures du Front National rebaptisé Parti National (PN), à la veille des élections présidentielles de 2017. On se régale du coup pendable que le héros joue en s’infiltrant dans le mouvement nationaliste pour mieux démasquer la bête. Puis, d’intrigues en hypocrisies, on s’insurge contre cet imposteur héroïque qui en vient à ravaler son âme sous les dorures du pouvoir, trompant l’ennui aussi allégrement que ses convictions.

“La Méduse, chronique d’un naufrage annoncé”, Olivier Merle

Temps de lecture : 3 min CHRONIQUE
Dans la pure tradition du roman historique, si prisé par son père Robert, Olivier Merle vient de publier « La Méduse, chronique d’un naufrage annoncé », une superbe reconstitution qui plonge le lecteur dans l’effarement. Ce naufrage immortalisé par le célèbre tableau de Géricault en 1818 est un drame d’autant plus effroyable qu’il aurait pu être évité sans l’impéritie d’un capitaine, la fatuité d’un aventurier, les conflits entre les officiers et les guerres couvées entre les différents partis politiques, ceux nostalgiques de l’Empire napoléonien et ceux partisans de la Restauration. Et sans le banc d’Arguin, près des côtes sénégalaises, sur lequel la frégate s’est ensablée un 2 juillet 1816, avec à son bord 400 personnes, dont des colons, des savants, des marins et un bataillon d’Afrique. L’auteur relate avec une plume alerte et crue l’incroyable aventure des passagers de ce navire qui est venu s’échouer lamentablement alors que les trois autres vaisseaux de l’expédition arrivèrent sans encombre au port de Saint-Louis, au Sénégal.

“Abus de fortune”, Éric Deschodt

Temps de lecture : 3 min CHRONIQUE
Abus de fortune est un roman, mais le lecteur comprend vite qui sont les véritables héros de cette histoire, une histoire qui voit son triste épilogue avec la disparition récente de Liliane Bettencourt. Car il n’est pas farfelu d’affirmer qu’Eric Deschodt s’est inspiré de la rencontre sulfureuse entre la quatorzième fortune mondiale et un homme à l’âpreté au gain démesurée. Un couple improbable, mais ô combien médiatique quand la dame veut faire de son “écornifleur” son légataire universel. Sans vouloir chercher à rétablir la vérité, l’auteur tend la plume de la confession au double romanesque de ce couple, leur offrant la possibilité de livrer leur version, en puisant dans l’enfance et l’éducation les ressorts qui les auraient conduits à conclure un pacte tacite autour, pour et à cause de l’argent. Quel beau plaidoyer sur la liberté d’être et d’agir selon ses propres désirs, égoïstes et impérieux ! Ce biopic fantasmé est un roman intelligent et incisif, qui dépeint une époque révolue, des personnages singuliers, une relation inimaginable. C’est un moment de lecture croustillant et instructif, qui offre une grille de compréhension originale.

“Mère Patrie”, William Nicholson

Temps de lecture : 3 min CHRONIQUE
Du souffle épique et de l’absolu pour cette rentrée littéraire avec « Mère patrie », de William Nicholson. L’auteur prolifique américain revient avec un récit intense qui détaille les sentiments et l’Histoire avec la minutie d’un maître joailler. « Mère Patrie » est un bijou qui renferme bien des facettes passionnantes de la grande Histoire, ce qui donne un accent de vérité émouvant, et l’on se surprend à aimer les personnages, à vivre leurs souffrances et à partager leurs questionnements sur le sens de la vie. Fil rouge existentiel tendu jusqu’au craquement, mais à la tension savamment dosée pour poser les jalons du récit et en faciliter le dénouement. Un dénouement terriblement logique qui restitue aux personnages leurs places. Une place qui leur était dévolue et dont un destin capricieux les en a écartés, pour le plus grand plaisir des lecteurs.

« Un si petit territoire », Marc Bressant

Temps de lecture : 3 min CHRONIQUE
Estampillé roman, “Un si petit territoire”, de Marc Bressant, aux éditions De Fallois, est bien plus encore. À mi-chemin entre l’essai et la chronique historique, ce petit bijou de plus de quatre cents pages passionne l’érudit en herbe qui sommeille en chacun. C’est un ouvrage résolument moderne, mais qui emprunte au passé ses plus beaux vestiges. Une langue belle, sans fioritures, un rien académique, un ton joliment caustique, un livre tel qu’aurait pu l’écrire un écrivain du siècle visité. L’auteur, diplomate de carrière, élève le territoire de Moresnet au rang de héros autour duquel gravitent des générations d’hommes et de femmes investis et imaginatifs. Tous n’auront qu’un seul but : donner à cette minuscule terre neutre, riche et désolée, un destin surprenant, hors norme, et pourtant historiquement vrai : celui de devenir l’embryon d’un plus grand territoire soudé qu’on appellerait Europe. Et ce rêve qui commence en juin 1816, un an après Waterloo, va prendre corps et âme le lecteur impressionné et touché. Une préfiguration stupéfiante de l’Europe du XXe siècle… vouée à être engloutie par l’Empire allemand en 1914.

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