“La Méduse, chronique d’un naufrage annoncé”, Olivier Merle

Temps de lecture : 3 min

 

Extrait

“Le lendemain matin, trois morts étaient “à déplorer”. L’expression était de Griffon. Elle était plus qu’étrange car personne ne déplorait véritablement le décès de ces trois blessés. Si ce n’est, peut-être, le capitaine Dupont. Mais comme celui-ci cachait ses sentiments, ainsi que l’avait compris Savigny, c’est dans une belle indifférence qu’on jeta ces nouveaux cadavres à la mer.
Il est même probable que certains se réjouissaient de voir disparaître ces malheureux. Car ces agonisants, par leurs gémissements, n’avaient pas seulement le défaut de mettre les nerfs de chacun à rude épreuve, il fallait aussi leur accorder à boire. Ils participaient ainsi à la diminution de la ressource en vin.

 

Avis de PrestaPlume “Coup de cœur”

 

Dans la pure tradition du roman historique, si prisé par son père Robert, Olivier Merle vient de publier « La Méduse, chronique d’un naufrage annoncé », aux éditions de Fallois, une superbe reconstitution qui plonge le lecteur dans l’effarement. Ce naufrage immortalisé par le célèbre tableau de Géricault en 1818 est un drame d’autant plus effroyable qu’il aurait pu être évité sans l’impéritie d’un capitaine, la fatuité d’un aventurier, les conflits entre les officiers et les guerres couvées entre les différents partis politiques, ceux nostalgiques de l’Empire napoléonien et ceux partisans de la Restauration. Et sans le banc d’Arguin, près des côtes sénégalaises, sur lequel la frégate s’est ensablée un 2 juillet 1816, avec à son bord 400 personnes, dont des colons, des savants, des marins et un bataillon d’Afrique. L’auteur relate avec une plume alerte et crue l’incroyable aventure des passagers de ce navire qui est venu s’échouer lamentablement alors que les trois autres vaisseaux de l’expédition arrivèrent sans encombre au port de Saint-Louis, au Sénégal.

La frégate La Méduse quitte les côtes françaises, en tête d’une flotte de quatre navires. Mission est donnée par le Roi Louis XVIII de récupérer les établissements français au Sénégal rendus par l’Angleterre selon les traités de Paris de 1814 et 1815. Hugues Duroy de Chaumareys en est le capitaine, il doit cette bonne fortune au fait d’avoir été fidèle aux Royalistes. De son inexpérience et de sa vanité découlera le drame, car d’un tempérament faible et hésitant il s’entiche d’un aventurier qui prend l’ascendant. En observateur, l’ingénieur des Mines Charles Brédif, l’un des scientifiques également missionnés, note chaque événement jusqu’à l’inexorable naufrage. Un naufrage annoncé à cor et à cri, mais dont les risques sont balayés avec mépris par le capitaine. Pourtant contraint de donner l’ordre d’abandonner le navire, il brille encore par sa petitesse, allant jusqu’à faire larguer les cordages de sa chaloupe qui remorquaient le radeau. Abandonnés, les 150 naufragés, pour la plupart des militaires, sombrent peu à peu dans la peur et la brutalité. La folie de la survie à tout prix fait des ravages. Deux camps se forment, se contorsionnent ; les hommes se détruisent, s’anéantissent dans la douleur physique et les sentiments de désespérance et d’abandon.

Une narration exceptionnelle pour l’un des plus célèbres naufrages. « La Méduse, chronique d’un naufrage annoncé » est un roman dévorant qui livre une grande compréhension, politique et humaine, des événements qui ont conduit au naufrage. Après ce récit, le tableau de Géricault semble prendre vie. Les hommes qui se déchirent et agonisent ont des noms, des histoires, une fin. Nonobstant son lien de parenté avec Charles Brédif, l’un des rescapés de la frégate, l’auteur a fondé ses recherches sur les récits des survivants et les ouvrages des historiens. Il décortique les relations humaines avec l’acuité d’un psychanalyste, révélant les animosités en présence et les rapports de force. Les dix jours sans eau ni nourriture sur un radeau gigantesque ont raison de 135 passagers sur les 150. Cette expérience en vase clos maritime submerge les conventions et la hiérarchie, engloutissant toute humanité, ramenant la nature humaine à sa plus simple nécessité : survivre. Un coup de cœur formidable pour un roman qui divertit autant qu’il enrichit.

 

Editions de Fallois, 20 septembre 2017, 380 pages, à 22 €.

[wysija_form id=”2″]

 

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Pin It on Pinterest