“Marie des Poules”, un destin sublimé par des comédiens transcendés

Temps de lecture : 4 min

THÉÂTRE & CO 

Avis de PrestaPlume  ♥♥♥♥♥

Critique éclair

Quand Marie Caillaud, alias Marie des Poules, se souvient à une terrasse de café parisien, de l’eau a coulé sous les ponts sans diluer son amour absolu pour Maurice, fringant fils de George Sand. Ni sa reconnaissance envers la romancière qui lui a appris à lire, à écrire, à parler sans rouler les r et surtout à réfléchir par elle-même. Cette histoire vraie que transpose Gérard Savoisien au théâtre Montparnasse répond au désir de la comédienne Béatrice Agenin, native du Berry, d’incarner George Sand. « Marie des Poules, gouvernante chez George Sand » est une pièce d’une extrême pudeur, d’une intelligence émotionnelle remarquable et d’une poésie narrative et scénique qui enchante. Avec naturel et une époustouflante dextérité, la comédienne se glisse dans les costumes de la servante de onze ans et de la jeune adulte, ainsi que dans ceux de George Sand. Ce soir-là, Arnaud Denis, metteur en scène de la pièce, lui donne la réplique avec la même intensité, tant dans la colère que dans la duplicité. Molière 2020 du meilleur spectacle du théâtre privé, « Marie des Poules » est reprogrammée pour notre plus grand bonheur, après l’arrêt brutal du spectacle vivant pendant des mois. Elle revient avec encore plus de force évocatrice sur son message subliminal sur l’importance de l’éducation, à une époque où l’ignorance est loin d’être éradiquée.

Résumé

À onze ans, Marie Caillaud entre aux services de George Sand, au château de Nohant. On la rebaptisera Marie des Poules, pour la différencier de la cuisinière qui a le même prénom. Mais aussi parce qu’elle est chargée de ramasser les œufs au poulailler. C’est une petite fille allègre, courageuse, obéissante, mais qui n’a pas sa langue dans sa poche. À quinze ans, lorsqu’elle rencontre pour la première fois le fils de sa maîtresse, un dandy imbu de sa condition qui vit aux crochets de sa mère, elle en tombe amoureuse. Contrainte au cuissage, elle l’accueillera chaque nuit dans sa chambrette, sous les toits. Monsieur Maurice qui s’éprend de son corps gracile finira par s’enticher de sa compagnie divertissante. C’est que Marie des Poules grandit sous l’aile bienfaitrice de George Sand, une féministe qui ne jure que par l’indépendance des femmes. Ayant conscience de la vivacité d’esprit de sa protégée, elle lui enseignera l’écriture, la lecture, l’art de la conversation et la comédie. La jeune Marie interprétera les 35 pièces écrites par George Sand. Elle apprendra à penser par elle-même et à exprimer ses ressentis. Des ressentis d’une acuité déchirante qui l’entraîneront loin de l’homme qu’elle ne devrait pas aimer.

Pour approfondir

Après avoir écrit les amours contrariées de Madeleine Béjart et de Jean-Baptiste Poquelin dans la pièce « Mademoiselle Molière », Gérard Savoisien révèle dans « Marie des Poules, gouvernante chez George Sand » celles de Marie Caillaud. À la demande de Béatrice Agenin, il intégrera de savoureuses réparties en patois et des scènes avec des marionnettes figurant les personnages. Aussi à l’aise dans ce parlé imagé et rocailleux à souhait que dans l’apprentissage progressif du français châtié, la comédienne est bouleversante d’authenticité. Sociétaire de la Comédie Française, elle est rodée à la complexité des rôles. Malgré tout, il n’en est pas moins sidérant de la voir alterner avec autant d’habilité et d’élégance le personnage d’une fillette de onze ans et celui d’une George Sand dans la force de l’âge. On y croit, et c’est là que réside le merveilleux. Son jeu est d’une justesse rigoureuse qui balaye la gamme chromatique des élans de l’âme, passant de la candeur juvénile à l’amour blessé, de la résignation à la colère. Arnaud Denis est juste et inspiré dans l’éventail de comportements de Maurice. On rosserait volontiers cet odieux oisif qui, par amusement, par désœuvrement, fait de la servante une maîtresse captive, une habitude… bien commode. Peu à peu, le sentiment amoureux ensemencera ce cœur acerbe, lui faisant connaître un bonheur tout neuf d’adolescent, mais aussi l’embarras d’aimer une femme qui n’est pas de sa condition, bien qu’intelligente et joliette. Sa fureur est aussi magnifique que sa couardise. On sent sur ses épaules le poids des conventions, et la faiblesse de sa volonté d’y remédier.

Pour servir au mieux la destinée inouïe de femme aux amours malheureuses, le décor de Nohant est suggéré par des lumières vives et tamisées, en rapport avec la couleur des émotions. Au milieu du plateau trône une grande maison de poupée représentant le château, dans lequel sommeillent ses habitants en figurines. À tour de rôle, le metteur en scène Arnaud Denis les réveille pour matérialiser les années et les événements marquants de la maisonnée. Les marionnettes remplissent le même office. C’est un stratagème ingénieux qui concentre l’attention en nous prenant la main, mais qui montre aussi en filigrane combien l’être humain est le jouet du destin et de ses caprices. Le texte est un bijou à conserver. L’auteur Gérard Savoisien a taillé sa plus fine plume pour nous offrir un spectacle inoubliable de sensibilité. Le contraste du patois berrichon et du langage raffiné, contourné aux belles lettres, est exquis et croustillant. La puissance des mots et de la pensée nourrit, tout autant que font saliver les plats régionaux que concocte Marie des Poules. Des dialogues bien sentis ou de bon sens paysan apportent cette nécessaire légèreté à l’apesanteur de l’inéluctable. Pas de « happy end », mais une fin sublimée par la hauteur du propos et de l’interprétation.

Nathalie Gendreau
©Fabienne Rappeneau


Distribution
Avec : Béatrice AGENIN et Arnaud DENIS en alternance avec François NAMBOT

Créateurs
Auteur : Gérard SAVOISIEN
Metteur en scène : Arnaud DENIS
Assistant de mise en scène : Georges VAURAZ

Lumières : Laurent BÉAL
Décors : Catherine BLUWAL
Costumes : Marylin François
Créateur sonore : Jean-Marc ISTRIA
Création marionnettes : Julien SOMMER – Le Théâtre des Marionnettes Parisiennes – Champs de Mars

Du mardi au Samedi à 19 heures et le dimanche à 17 h 30 jusqu’au 14 novembre 2021.

Au théâtre Montparnasse, 31 rue de la gaîté, Paris XIVe.

Durée : 1 h 15

5 réflexions au sujet de ““Marie des Poules”, un destin sublimé par des comédiens transcendés”

  1. Marie a eu une fille, à t’elle était reconnue, quel était son nom, son prénom? Marie est elle restée célibataire, s’est elle remariée?

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  2. Cette pièce est une merveille qui laisse une trace indélébile sur le spectateur Je suis une fanatique dévoreuse de cet art du Vivant Mille bravos à Madame Agenin Époustouflante de vérité et surtout chapeau bas Ml St Dizier

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  3. Comment trouver les mots avec en face une George Sand ? Femme de cœur à tous les sens du mot, femme de plume au moins autant. Et dans tous les cas génie créateur par essence visionnaire.
    Du pays des étoiles, on la devine envoyer sa gratitude à Béatrice Agenin. Quel talent ! Mais quel talent ! Qu’elle interprète George ou qu’elle vive Marie, on ne peut qu’applaudir à grands cris… Oh ! et puis non, on risquerait de briser notre émotion. D’autant plus que, comme chacun sait, certains silences en disent bien plus que les motsza’ maux… J’en ai la chair de poule !

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  4. J’aime les critiques de Nathalie Gendreau car on y découvre toujours quelque chose. Un mot, une œuvre, un destin. Cette fois, c’est la découverte d’un aspect méconnu de George Sand dont la longue liaison avec Frédéric Chopin et leur retraite dans le magnifique monastère de Valdemossa à Majorque, fait parfois un peu oublier l’extraordinaire romancière qui anima la vie parisienne au XIXème siècle.
    Romancière prolifique, dramaturge, critique littéraire, journaliste engagée, George Sand est aussi connue pour sa vie amoureuse agitée et son engagement réussi dans ce qui a été le véritable féminisme. Celui où la femme se révélait sans détester les hommes.
    Quel destin ! A travers la pièce « Marie des Poules » Nathalie Gendreau nous fait découvrir une autre qualité de cette femme extraordinaire, celle d’une femme généreuse qui va éduquer sa jeune gouvernante Marie Caillaud qui est également la maitresse de Maurice le fils de la romancière.
    Cette histoire vraie, peu connue, a séduit la comédienne Béatrice Agenin, de la Comédie Française, qui offre une interprétation exceptionnelle de ce personnage étonnant. Si vous voulez rêver le temps d’une soirée à cette société qui fit de Paris le centre du monde artistique, réservez vite votre place au Théâtre Montparnasse.

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