“La douce nuit qui parle” : beau, tout simplement

Temps de lecture : 3 min

THÉÂTRE & CO 

Avis de PrestaPlume  ♥♥♥♥♥

Critique éclair

La vie théâtrale reprend, et avec elle la découverte de créations qui transcendent le quotidien. Moult fois reportée, « La douce nuit qui parle » se joue enfin au théâtre de la Boutonnière, un ancien atelier qui se découvre en fond de cour, rue Popincourt, juché en hauteur. Comme la promesse de côtoyer les étoiles. Discret et intimiste, il est le parfait écrin d’une pièce puissante et bouleversante sur deux monstres sacrés  : Marguerite Duras et Jeanne Moreau. Inconditionnelle de la première et admirative de la seconde, l’auteure et journaliste Marielle Cro a imaginé les retrouvailles de ces deux êtres qui s’aimaient d’une amitié sincère et passionnée, que la renommée a séparés. Pour Jeanne Moreau, Marguerite Duras était sa première amitié féminine, et son absence une blessure. Elles accompliront leur destin dans le silence d’une amitié éteinte, qu’un rien aurait pourtant pu ranimer. Ce rien, Marielle a osé le provoquer, a posteriori, dans cette réalité fictive qui entend réparer l’amitié brisée. Lors « d’une douce nuit », elle a convoqué les deux icônes autour d’un ultime dîner pour s’expliquer dans un duo ciselé et des monologues poignants. Solange Pinturier (Jeanne Moreau) et Louisa Baileche (Marguerite Duras) se coulent avec bonheur dans la peau de leur personnage et « parlent » au cœur du public qu’elles invitent, par un jeu sobre et chaleureux, dans leur intimité élargie.

Pour approfondir

Ce dialogue est fictif, mais il aurait pu avoir lieu. Auteure de livres sur la société du spectacle et sur la mode (« Claude Montana », « Les filles du Crazy Horse », « Sanseverino » et « Lady Gaga ») Marielle Cro accorde sa sensibilité et son empathie au diapason de ces « sujets », pour toucher au plus juste l’essence de leur être. Comprendre ne suffit pas, il faut réinsuffler la vie pour que l’âme se révèle. Pour sa première pièce de théâtre, la journaliste a misé sur son admiration pour Marguerite Duras et Jeanne Moreau pour faire taire un silence qui n’aurait jamais dû s’immiscer entre elles. Au cours d’un travail de recherche, long et rigoureux, sur leur profonde amitié, elle a bâti une conversation, aussi inespérée que miraculeuse, en les tirant de leur existence d’outre-tombe pour leur offrir la lumière. Merveilleux paradoxe quand leur fée Marielle leur fait dire que l’on a besoin d’ombre quand on est dans la lumière.

« La douce nuit qui parle » est un merveilleux cadeau de 60 minutes de douceur enfiévrée où la séduction des corps et des âmes emporte et bouleverse. L’amitié méconnue entre ses deux femmes prend naissance sous nos yeux émus. L’écriture est poétique et sensuelle. Elle prend ses racines dans l’authentique et la réalité. Sans tomber dans la facilité de l’intellectualisme, la pièce brille d’une humilité rayonnante, qui donne à voir et à aimer deux icônes intouchables pour ce qu’elles sont  : deux femmes aux destins qui se ressemblent. Une même blessure narcissique dès l’enfance qui a décuplé leur force pour se révéler à leur art et modeler leur vie à leur image. Une même soif pour la liberté et un même amour dévastateur pour leurs amants. De confidences en révélations, le vernis de la célébrité craque. Les femmes apparaissent dans une nudité de sentiments, dans une atmosphère intimiste. Résonne dans cette conversation, à bâtons rompus, l’écho de la simplicité et de la vérité sur leur enfance, leurs parents entre l’amour et le désamour, leur rencontre et leurs points communs, leur carrière et leur peine de cœur.

Le texte est dense sans être pesant ; l’écriture est précise, tout en faisant honneur aux êtres d’exception auxquels elle s’adresse ; les silences sont évocateurs, permettant aux mots de prendre leur envol et de se gorger de saveur. Les deux comédiennes portent en sensibilité leur personnage, leur rendant justice. Louisa Baileche est une éblouissante Marguerite Duras, tout en douceur mélancolique et en force évocatrice. Elle donne à ressentir les blessures de l’exil, du désintérêt de sa mère pour elle qui l’appelait « la petite misère », et s’interroge sur son caractère qui la pousse à briser les liens sans pouvoir y remédier et sur l’alcool festif dans lequel elle se noie, pensant que c’est le moyen de vivre pleinement. Solange Pinturier est une Jeanne Moreau convaincante, tout en fragilité et en force nostalgique. Leur jeu, en alternance et en communion, se nourrit mutuellement. La mise en scène de Samy Cohen, où chaque détail est pensé, offre aux comédiennes leur espace où se déploie leur intimité tout en privilégiant un point de rencontre et de partage, une table recouverte de victuailles. Un projecteur antédiluvien éclaire le tourne-disque lorsque la voix off ou des chansons se font entendre, dont « Le Tourbillon de la vie » qui vient clore à l’unisson les confidences de deux êtres de chair et d’amour. Merci à Marielle Cro et à toute la troupe de nous les avoir rendues accessibles. Sublimes. Vivantes.

Nathalie Gendreau
©Nathalie Gendreau


Distribution

Avec : Solange Pinturier, Louisa Bailèche

Créateurs

Auteure et voix off : Marielle Cro

Metteur en scène : Samy Cohen

Lumières : Michel Cabrera
 

Du 15 au 23 juin 2021, à 20 heures, sauf le dimanche à 16h30. Relâche lundi.

Au théâtre de la Boutonnière, 25 rue Popincourt, Paris XI.

Durée : 1 h

1 réflexion au sujet de « “La douce nuit qui parle” : beau, tout simplement »

  1. Enfin ! Voici revenu le temps du théâtre, longtemps prisonnier d’un hygiénisme forcené et même excessif grondent certains. Mais ne boudons pas notre plaisir, cette “La douce nuit qui parle” était attendue et manifestement elle n’a pas déçu Nathalie Gendreau dont les critiques sont d’autant plus attendues qu’elles apportent toujours un commentaire juste qui rejoint un ressenti partagé.

    Réunir Marguerite Duras et Jeanne Moreau dans une même pièce et les imaginer dans un diner où les sanglots longs de l’automne d’une amitié vont créer une blessure qui jamais ne se refermera. Voilà la gageure de Marielle Cro, journaliste et auteur dont l’intérêt pour Lady Gaga avait rejoint le mien lors de la sortie du film “I Star is Born” dans lequel la star excentrique s’était révélée grande et sobre comédienne.

    Cette fois Marielle Cro a choisi un cadre difficile où le jeu des acteurs ne dispose d’aucun artifice d’action pour maintenir l’attention du spectateur. Le texte, seul le texte aide les comédiennes à révéler les émotions qui traversent leurs personnages d’exceptions: sublimes et vivantes, comme le dit si bien Nathalie Gendreau. Bravo aussi à Marielle Cro qui démontre que le journalisme peut faire éclore ses autres talents si on prend soin de les cultiver.

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