“Fellini, Roma et Moi”, ou le feu intérieur d’une passion

Temps de lecture : 3 min

THÉÂTRE & CO 

Avis de PrestaPlume  ♥♥♥

Critique éclair

@Franck Harscouët

Entre Federico Fellini et Bunny Godillot, une connivence naît. Entre vérité et fantasme. Entre autofiction et autoportrait. L’un au service de l’autre… et inversement. L’auteure et comédienne Bunny Godillot a mis à profit l’espace-temps confiné de ces longs mois de rupture avec le public pour interroger son parcours d’artiste et la flamme qui l’a alimenté toutes ces années. Sans faille ni doute  ? Ça, c’est une autre histoire  ! Dans cette exploration du Moi, Fellini s’est immiscé, tel un maestro guidant ses acteurs, avec tendresse et panache. De ce rapprochement intime a éclos une pièce intimiste, lyrique et onirique d’une grande pureté narrative. « Fellini, Roma et Moi », au théâtre solidaire 100ecs, vibre au diapason d’un conte où s’entrelacent le réel et l’imaginaire d’une comédienne à la sensibilité aiguisée au mal-être de sa jeunesse et à la volonté de devenir ce pour quoi elle savait être destinée. Depuis « Huit et demi » et la « Dolce Vita », la jeune adolescente n’avait qu’une idée en tête  : rencontrer l’immense Fellini et être comédienne. Si l’entrevue entre les deux artistes est peut-être fictive, la carrière de Bunny Godillot n’en est pas moins authentique et riche. Mais qu’importe la véracité tant que le rêve partagé est beau !

Résumé

Gabrielle Gros, la Bunny Godillot mise en abîme autobiographique fictionnelle, est en proie aux mille questionnements existentiels. Elle ne sait plus très bien qui elle est. Se regarder dans la glace lui est pénible, son reflet ne lui renvoie que tristesse. À l’occasion d’un séjour à Venise, elle consulte une éminente psychologue qui l’incite à se décrire objectivement devant un miroir. Mission ô combien déstabilisante pour la patiente impatiente, qui doit vider son sac aussi bien au sens propre qu’au sens figuré. Jonglant entre passé et présent, elle alterne les souvenirs de son enfance et de sa fugue à l’adolescence pour rejoindre en Italie Fellini avec les appels de sa mère dont les souvenirs sont grignotés par la maladie. Alors elle convoque son vécu dans cette existence flottante dans l’incertitude de l’être, comme pour colmater des failles et retrouver une consistance. Elle se revoit donner ses premiers spectacles dans la chambre froide de son père boucher, au milieu des quartiers de viande érigés en spectateurs imaginaires. Elle évoque aussi son amour pour Fellini et l’entrevue qui changera sa vie et la propulsera sur la voie artistique. Et qui la mènera aux nues jusqu’au Lion d’or de la meilleure actrice à la Mostra de Venise.

Pour approfondir

Dans « Fellini, Roma et Moi », la réalité et l’autofiction sont si intriquées qu’il est difficile de démêler le vrai du faux. Mais est-ce si important ? Certes pas, tant que la singularité d’un être sert son propos pour l’élever au rang de l’universalité. Fuguer à seize ans afin d’abreuver d’espoir ses rêves symbolise le mouvement de l’être dans sa réalisation, son combat pour affirmer ses choix, au mépris de l’inconnu. Dans sa prose oniriquement réaliste et sagement fantaisiste, Bunny Godillot met en scène la fragilité de la destinée artistique courant le risque d’être étouffée dans l’œuf. Elle se sert de sa passion sincère et absolue envers Fellini pour exprimer ce qui couve en elle au point de l’asphyxier. À l’heure des retours sur soi, elle fait de son mentor un accoucheur de soi maniant l’art de la maïeutique cinématographique. En lui attribuant le premier rôle et lui conférant une autorité suprême semblable au pouvoir d’un dieu, l’auteure se dévoile tout en s’enveloppant d’une pudeur – non assumée ou savamment distillée – qui donne au récit ce supplément d’âme si nécessaire à l’émoi.

« Fellini, Roma et Moi » est un texte ciselé moderne empreint de douce nostalgie. Le rouge omniprésent palpite avec l’éventail de ses nuances évoquant le feu intérieur et un rideau de théâtre incarnant une vie dédiée à la comédie. Bunny Godillot est seule sur la scène, seule avec elle-même et la voix de sa conscience par le truchement du Maestro. Telle une funambule, elle maîtrise l’équilibre entre le passé et le présent qui se font la courte échelle jusqu’au firmament de l’être. On s’émerveille avec la jeune fille qui se pâme devant Fellini et on communie avec l’adulte qui ne se résout pas à faire ses adieux à sa maman. Mais du chaos intérieur peut surgir l’illumination. Cette lueur ne manquera pas de faire son chemin à mesure que le personnage rebroussera le sien. Grâce à une scénographie en ombres chinoises, poétique et signifiante, le spectateur assiste à la dilatation de cette lumière, qui n’est pas tant celle du succès que de la reconnaissance de soi par soi.

Nathalie Gendreau
©Nathalie Gendreau


Distribution
Avec : Bunny Godillot

Créateurs
Auteur : Bunny Godillot
Metteur en scène : Bunny Godillot
Assistante de mise en scène : Jennifer Guillet
Chansons et sons : Cyril Rollet de Leiris
Images : Franck Harscouët
Maquillage : Ophélie Charpentier

Production : Art-Us
Coaching / Montage vidéo : Tony Thich

Avec le soutien de l’Adami, le théâtre ARMAND à Salon-de-Provence

Les jeudis et vendredis à 20 h 30 jusqu’au 29 octobre 2021.

Le 100ecs, 100 rue de Charenton, Paris XIIe.

Durée : 1 h 25

4 réflexions au sujet de ““Fellini, Roma et Moi”, ou le feu intérieur d’une passion”

  1. Waouh ! Quel programme ! J’avoue être particulièrement curieux d’apprécier ce spectacle recommandé par Nathalie Gendreau.
    D’abord parce que Fellini et Rome, font partie de mon vécu, et même si je n’ai pas rencontré le Maestro, j’ai connu son entourage et parcouru ses sentiers de gloire dans la ville éternelle.
    Deuxième raison pour laquelle cette critique m’interpelle, c’est la performance de Bunny Godillot qui a impressionné Nathalie Gendreau. Extérioriser autant d’émotions est le signe d’une grande richesse ; l’offrir au public est le signe d’une grande générosité..
    Bunny Godillot a trouvé l’inspiration dans cette rencontre de rêve et nous propose d’en partager toute la complexité sans verser dans l’hermétisme psychanalytique. Un exploit nous dit Nathalie Gendreau. J’ai confiance, son jugement est sûr.

    Répondre
  2. Merci chère Madame du fond du cœur pour cette critique qui me donne envie de voler vers la scène et offrir à nouveau ce spectacle que vous décrivez analysez si bien et avec une si belle plume 💐
    Bunny Godillot

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