“Ce prochain amour”, Nora Benalia

Temps de lecture : 3 min LITTERATURE
Ne vous fiez pas au titre. L’eau de rose ne coule pas entre les lignes de « Ce prochain amour », paru aux éditions Hors d’atteinte. Dans son premier roman, Nora Benalia évoque dans une crudité prononcée, sans filtre, la femme et sa relation à l’homme, à l’amour, au sexe, et tous les rôles qui lui sont assignés par la société depuis la nuit des temps. L’auteure ouvre grand les vannes de l’audace et du réalisme brutal dans les réflexions et les mots choisis. Les pensées-fleuve de la narratrice sur la condition des femmes, et notamment des femmes au foyer, charrient de la révolte contre les violences contre le sexe dit faible, les stéréotypes, les sacrifices consentis, la misère affective, la volatilité de l’amour. Avec trois enfants à élever seule, désargentée, sans travail, la narratrice a la rage et le dit crûment au travers d’un texte féministe et critique, porté par l’indépendance de la femme, à l’image des piliers fondateurs de la maison d’édition Hors d’atteinte. Ouvrage surprenant par la verdeur de sa verve et touchant par la vigueur du remue-ménage intérieur.

“Authentique”, l’autodérision faite Clémence Baron

Temps de lecture : 3 min THÉÂTRE & CO
Premier seule-en-scène de Clémence Baron, « Authentique » est le miroir de sa vie, déformé à l’humour et à l’autodérision. Pendant une heure, la jeune auteure et comédienne présente au théâtre Mélo d’Amélie un récit tendre et caustique, où fourmille une ribambelle de personnages qu’elle aime et brocarde avec malice. C’est que la famille Baron compte des membres remarquables ! Un père un rien raciste qui voit d’un très mauvais œil le mariage de sa fille avec un Africain musulman, trois frères collants et imprévisibles, dont deux sont de joyeux trisomiques et des copains très envahissants en période Covid-19. Sans friser la caricature, Clémence Baron tord toutefois allégrement tous ces personnages. Sans s’épargner, elle raconte son enfance avec des frères insupportables qu’elle adore, son homosexualité avortée, son nez épaté, sa rencontre avec son futur mari, leur cérémonie de mariage épique et leur voyage de noces à domicile, parce qu’en plein confinement avec deux, voire quatre personnes de plus dans son petit 50 mètres carrés. Que d’excellentes raisons pour trépigner d’impatience ou de colère ! Clémence a choisi d’écrire ces meilleurs moments d’agacement et d’exaspération pour les rejouer… pour rire. Bien lui en a pris ! Le spectacle passe par l’arc-en-ciel des émotions, qui illuminent sans nul doute le cœur de sa famille, mais aussi égayent les soirées du public.

“La plus secrète mémoire des hommes”, Mohamed Mbougar Sarr

Temps de lecture : 3 min « Un grand livre ne parle jamais que de rien, et pourtant, tout y est. » Cette réflexion de l’ami du narrateur Diégane Latyr Faye dans « La plus secrète mémoire des hommes » (coédition Philippe Rey/Jimsaan) éclaire à elle seule l’ambition de ce flamboyant roman initiatique. Mohamed Mbougar Sarr annonce donc la couleur, met ses influences littéraires et tout son être sur table et remporte la mise de la notoriété. La trame naît d’un écrivain malien, Yambo Ouologuem, qui a été accusé de plagiat après avoir reçu le prix Renaudot en 1968 pour « Le Devoir de violence ». Dans son quatrième ouvrage, le lauréat du prix Goncourt 2021 transpose ce fait via le parcours d’un jeune auteur fictif, T.C. Elimane, surnommé le « Rimbaud nègre » à la parution de son ouvrage « Le labyrinthe de l’inhumain » en 1939 et conspué pour plagiat. Fasciné, Diégane Latyr Faye entreprend de retracer la vie de cet écrivain fantôme, marchant dans ses pas aux quatre coins du monde, de piste en piste. Au fil des pages et du temps rebroussé, Mohamed Mbougar Sarr nous immerge dans les tourmentes historiques du XXe siècle. Traversé par une force évocatrice, soutenu par une prose nerveuse et un suspense savamment entretenu, « La plus secrète mémoire des hommes » est tel un fil tendu au-dessus d’un précipice où l’audace et l’imagination exultent, battent d’un même cœur. Ce passionnant plaidoyer pour la littérature africaine et la reconnaissance des écrivains africain est aussi un bel hommage à l’essence même d’écrire, à l’humanité, à la vie… à la naissance d’une œuvre.

“Le Bazar du zèbre à pois”, Raphaëlle Giordano

Temps de lecture : 3 min LITTERATURE
Encore un titre qui fait frisotter les neurones de plaisir par l’image suggérée. À l’instar du « Jour où les lions mangeront de la salade verte », « Le Bazar du zèbre à pois » (éd. Plon) entrebâille une porte, sinon l’ouvre grand, pour laisser filtrer l’énergie créatrice dans notre imaginaire. Plus ludique qu’un ouvrage de développement personnel, plus enthousiasmant qu’un conte moral, ce roman sur l’être et l’état d’esprit s’inscrit dans la lignée des fables, teintées de romanesque et de philosophie. Sans prétendre changer nos vies, il interroge nos choix, notre ouverture au changement, nos rêves abandonnés ou avortés, et notre capacité à pratiquer « l’audacité ». Ce mot-valise constitué de l’audace et de la ténacité est une clé qui déverrouille les peurs, une incitation à élargir le champ des possibles, sans pensées castratrices. Auteure à la poésie omniprésente, au style leste, à l’imagination foisonnante, Raphaëlle Giordano nous régale avec ce roman qui se dévore des yeux, avant de laisser infuser en soi l’écho des phrases. À la fin, vous voudrez, vous aussi, aiguiser votre regard pour ne plus privilégier tel ou tel hémisphère de votre cerveau, mais de l’envisager comme ambidextre. La clé de l’harmonie en soi.

“On est tous le vieux d’un autre”, le voyage de la rédemption pour Mémé Casse Bonbons

Temps de lecture : 4 min THÉÂTRE & CO
Mémé Casse bonbons, le personnage d’Anne Cangelosi, fait son grand retour à Paris avec « On est tous le vieux d’un autre » au Studio Marie-Bell du théâtre du Gymnase. Octogénaire plus nature que jamais avec son franc-parler incisif et décomplexé, elle vient nous narrer sa croisière sur le Nil et la découverte d’un pays magnifique, cependant gâchée par sa population… arabe. Eh oui, Joséphine Troux, veuve marseillaise du village de La Bouilladisse, est toujours aussi raciste vis-à-vis des étrangers… qu’ils soient en France ou chez eux. Dans ce troisième épisode de la vie de Mémé Casse Bonbons, Joséphine aura maille à partir avec les passagers du bateau qui la prennent en grippe, reprochant son savoir-être en société quelque peu exécrable. Un tel traitement en vase clos pendant une semaine va entamer les préjugés très profondément enracinés de cette voyageuse revêche et insupportable. Meurtrie par l’intolérance qu’elle subit et dont elle s’étonne, Joséphine verra son cœur s’ouvrir peu à peu comme une fleur pour accueillir l’autre, même différent. Cette rédemption apporte une évolution qui renouvelle le personnage. Anne Cangelosi est toujours aussi à l’aise et crédible dans son jeu, mais on retiendra de sa performance un aspect qui ressort davantage dans cet opus : l’émotion. Une émotion incarnée, vibrante, qui passe par les yeux, la fêlure d’une voix, les blessures invisibles. Un être plus vivant que jamais qui réunit l’amour universel de toutes ces mémés qui ont accompagné notre enfance.

“Les Meilleures intentions du monde”, Gabriel Malika

Temps de lecture : 3 min LITTERATURE
Du petit village de pêcheur créé au XVIIIe siècle, Dubaï a écrit son mythe à l’or noir. Au fil des années et des projets architecturaux pharaoniques, la capitale des Émirats arabes unis s’est enrichie, se déployant dans la démesure, la grandeur et le faste, repoussant sans cesse les limites du désert et de la mer Persique. Depuis son jaillissement, cette oasis de verre et de béton attire comme un aimant toutes les nationalités. À l’occasion de l’exposition universelle de Dubaï, qui s’achève le 31 mars 2022, « Les Meilleures intentions du monde » (éd. Intervalles) reparaît en édition de poche. Témoin privilégié de ce rêve fou devenu réalité sidérante, Gabriel Malika nous livre dans ce roman à suspense et immersif une vision critique, personnelle et passionnée, toujours d’actualité. L’auteur prend le prétexte d’un événement imprévisible et destructeur pour dépeindre dix figures représentatives de la population cosmopolite de cette ville arabe où l’argent coule à flots… pour qui sait entreprendre. On y saisit les enjeux financiers et culturels de cette capitale qui fait office à la fois de carrefour, où transite tout ce qui peut être vendu et acheté, et de symbole d’un monde arabe en mutation. Une visite guidée en mots et en images éloquente !

« Échanges avec les ascendants – Décodez votre masque social », de Elke Faraone

Temps de lecture : 2 min LITTERATURE
En ce début d’année 2022, bas le masque social ! Pas celui imposé par les autorités sanitaires pour enrayer la circulation d’un virus rétif, mais celui de l’ascendant. Votre ascendant. Quoi de mieux que la période des vœux pour mettre en avant un guide éclairant votre personnalité à l’aune de votre ascendant astral ? « Échanges avec les ascendants – décoder votre masque social », de Elke Faraone, paru aux éditions Pygmalion, fait suite en toute logique à « Dialogue avec les signes du zodiaque », paru en août 2020, chez le même éditeur. Ce deuxième opus vulgarisateur et didactique n’est pas un ouvrage prédictif, mais qui ramène le lecteur à sa personnalité intrinsèque. Il explique ce qu’est l’ascendant, son influence forte ou relative selon le mariage avec votre signe astral. Il revient brièvement sur les fondamentaux pour ensuite exposer finement toutes les combinaisons possibles de cette union signe natal/ascendant. Sous forme de questions/réponses, les portraits dévoilent les comportements types de chacun des ascendants à l’appui de nombre de situations. Avec ce guide ludique et instructif, vous allez directement à l’information recherchée sans devoir lire les plus de 900 pages pour décoder – ou d’essayer de décoder – votre personnalité et mieux comprendre votre rapport aux autres.

“Tiki, une année de chien”, Fred Leclerc et David Azencot

Temps de lecture : 2 min LITTERATURE
Les éditions La boîte à bulles publie “Tiki, une année de chien”, un roman graphique sur l’adoption d’un animal et les déboires pouvant en découler, si l’on n’est pas vraiment prêt à l’accueillir. Pour Fred Leclerc, ce fut l’horreur. Ce directeur artistique dans la publicité, qui rêvait dans sa jeunesse de faire de la bande dessinée, s’est saisi de ses mésaventures avec sa chienne Tiki pour transcender avec le dessin le cataclysme émotionnel que sa présence a déclenché, faisant de son quotidien une épreuve insurmontable. Sur ce chemin de l’écriture graphique – quasi thérapeutique, – il s’est associé à David Azencot, auteur et humoriste notamment à Canal+ et chroniqueur à Rires & Chansons. Cet ouvrage est leur première incursion dans le genre. Une incursion plaisante, outre le message non subliminal qui illustre de manière édifiante les conséquences d’une adoption « coup de cœur », comme on le ferait d’un objet. Peut-être pour remplir un vide… ou faire plaisir.

“Le souffleur”, un métier de l’ombre sublimé par Paolo Crocco

Temps de lecture : 3 min THÉÂTRE & CO
Après avoir été portée par son créateur Emmanuel Vacca, l’histoire d’Ildebrando Biribo revient sur les planches avec encore plus de poésie et… de souffle, au Studio Hébertot. De la version de l’excellent Paolo Crocco émanent sans discontinuer poésie et drôlerie. Les émotions, toujours justes, frappent au cœur et à l’esprit dans un jeu égal. « Le souffleur » est avant tout un hommage à ce métier, aussi utile qu’ingrat, car toujours dans l’ombre. Mais, pour Ildebrando Biribo, le célèbre souffleur congédié à la première représentation de Cyrano de Bergerac le 28 décembre 1897, c’était toute sa vie, depuis ses seize ans. Lui qui l’avait consacré à son métier se voit relégué aux oubliettes, projeté dans un gouffre d’inutilité. À la fin de la représentation, à laquelle il assista malgré tout, on le trouva mort dans son antre obscur. Le mot oublié a perdu son étincelle en même temps que son souffleur, et le métier un grand et talentueux professionnel. À travers « Le souffleur », l’auteur Emmanuel Vacca nous relate son histoire, belle et dramatique. Il parvient à nous transmettre sa passion pour ce métier aujourd’hui disparu.

“Les Trois Mousquetaires”, Du beau et grand Dumas

Temps de lecture : 4 min THÉÂTRE & CO
Susciter un souffle épique sur une scène de théâtre – lieu restreint par excellence – est une gageure que la compagnie du Grenier de Babouchka a tenu avec brio. Et le mot n’est pas assez puissant eu égard aux sensations éprouvées lors de la représentation des « Trois Mousquetaires », dans ce prestigieux écrin du théâtre du Ranelagh. Tout est là pour passer un excellent moment, hors du temps, ou plutôt si… à l’intérieur d’un temps autre, celui de l’aventure de cape et d’épée, d’amours contrariées, des complots et de la fraternité à la vie à la mort. Les douze comédiens, dont deux musiciens (violon, accordéon, cajon, clavier, guitare) qui semblent présider aux différentes destinées des personnages, font virevolter leurs rapières avec autant d’adresse que leur langue fleurie. Il y a de l’ardeur, du panache, une tempétueuse énergie. Drame et comédie s’entrelacent étroitement. Dans un décor nu, la mise en scène est capitale pour rythmer les nombreux actes. Charlotte Matzneff s’approprie l’espace et le rentabilise de manière époustouflante. Les scènes courtes et alertes renforcent ce sentiment d’urgence et d’intensité. L’adaptation de Jean-Philippe Daguerre et de Charlotte Matzneff est moderne tout en restant fidèle à l’esprit de l’époque et au contenu. L’histoire des trois mousquetaires se réinvente, s’étoffe et se déploie comme si c’était une première. Du bel œuvre ! Dumas en sourirait d’aise.

« Qui va là ? », ou l’errance à nu

Temps de lecture : 3 min THÉÂTRE & CO
Le Théo Théâtre accueille jusqu’au 17 décembre Thierry de Pina, un SSF – comprendre un Sans-Scène-Fixe –, comme il se plaît à dire. Durant trois semaines, le comédien a trouvé un toit pour son personnage Alexandre Cabari, un SDF au cœur tendre, mais aux pensées chagrines. La pièce « Qui va là ? », d’après Emmanuel Darley, a été jouée à domicile, à Nice, à la suite du premier confinement. Un succès stoppé en plein vol par le second confinement ! Cet ancien épidémiologiste qui, a raccroché la blouse de chercheur en 2007 pour devenir comédien, a donc adapté le texte pour la monter sur scène. Véritable rencontre de destins, entre un comédien sans scène et un homme sans domicile, tous deux désœuvrés. Joué au Festival Off d’Avignon cet été 2021, ce texte retrouve donc un lieu pour exister. Parcours erratique s’il en est à l’image du personnage, un pauvre hère qui prend en otage les spectateurs d’un théâtre pour leur raconter ses souvenirs. Se faisant complices d’une heure, ces derniers jouent le jeu et deviennent le réceptacle de la confidence d’une déshérence émouvante.

“La cabane de l’Anglais”, Marc Bressant (éd. Herodios)

Temps de lecture : 3 min LITTERATURE
Dans « La cabane de l’Anglais » (éd. Herodios), Marc Bressant revient sur ces jeunes années sous forme d’un roman initiatique touchant dans une authenticité épurée. Le regard est à la fois tendre comme son âge d’alors et réaliste sur la vie d’un village de la Brie, où sa famille s’était réfugiée début 1944. Les trois cousins (âgés de 11, 9 et 7 ans), leurs deux mères et la grand-mère ont quitté Paris pour se réfugier près de Lésigny, à La Dame blanche, une vieille ferme plantée au milieu d’un parc et proche d’un bois. Un environnement idéal pour mieux se nourrir et se protéger des bombardements. Ce roman sur une jeunesse, pas si insouciante, donne à voir par des yeux innocents l’attitude de ces enfants face à l’occupation allemande – héroïques dans l’intention –, mais aussi le comportement des villageois face à l’occupant. Des résistants armés, on n’en voit guère, même s’ils étaient actifs dans cette région. En revanche, nous découvrons la résistance passive de certains. Et notamment celle de ces enfants qui décident de construire une cabane, à l’insu de tous, pour recueillir et cacher les pilotes anglais abattus par la DCA (la défense antiaérienne allemande).

« Saint-Ex à New York », la genèse du Petit Prince en toute intimité

Temps de lecture : 4 min THÉÂTRE & CO
Jusqu’au 31 décembre, le théâtre du Petit Montparnasse est l’écrin d’une belle renaissance, celle du Petit Prince. En revisitant la genèse de l’écriture de ce conte philosophique, l’auteur et metteur en scène Jean-Claude Idée y propose une lecture toute personnelle. Le Petit Prince serait ainsi une autobiographie symbolique d’Antoine de Saint-Exupéry, où la rose capricieuse représenterait sa femme Consuelo, où l’exil du Petit Prince serait son propre exil à New York, ville aussi incompréhensible pour lui que la planète Terre pour son petit personnage à la chevelure dorée. Mais aussi le miroir de ses inquiétudes pour le devenir de l’humanité, alors que la Seconde Guerre mondiale fait rage sur le Vieux Continent. La version de Jean-Claude Idée est puissamment incarnée par quatre comédiens aux tempéraments marqués (Gaël Giraudeau, Alexandra Ansidei, Adrien Melin et Roxanne Bennett). Les passions y sont tantôt libérées, tantôt retenues avec la même intensité, que la sobriété des décors renforce, comme si le dénuement mobilier était le reflet tangible du désarroi d’un homme empêché d’être. Ce moment de théâtre est une parenthèse unique de poésie, aussi savoureuse qu’instructive. Aussi belle que triste. Si l’écrivain n’est plus, son double symbolique ne cessera jamais de parcourir le monde.

“L’enfant dormira bientôt”, François-Xavier Dillard

Temps de lecture : 3 min LITTERATURE
Son domaine de prédilection est la parentalité, l’enfance… et, par capillarité, la maltraitance. Son genre, polar et thriller. Pour son nouvel opus, « L’enfant dormira bientôt » (éd. Plon), François-Xavier Dillard met le curseur de la tension/l’attention à son maximum. L’évocation macabre, qui n’est pas sans rappeler l’affaire des « bébés congelés » et du syndrome du « déni de grossesse », si difficile à se le figurer, est puissante et prégnante tout au long de la lecture. De multiples personnages se croisent, semblent évoluer sans accointance, mais leurs histoires singulières et tumultueuses sont autant de petits torrents déferlant la montagne qui se rejoignent pour chuter en cataracte saisissante. Du suspense d’un bout à l’autre et une chute renversante. Des larmes, on n’en verse pas. Pas le temps. Le style est un courant nerveux qui vous entraîne dans ses tourbillons. L’histoire aux moult rebondissements aspire toutes les émotions pour les concentrer en un sentiment : la sidération.

“Le monde appartient à ceux qui le fabriquent”, l’introspection d’un saltimbanque échevelé

Temps de lecture : 3 min THÉÂTRE & CO
Qui ne connaît pas encore Bun Hay Mean peut être surpris. Dans un stand-up trépidant, au débit de parole rapide et au langage emprunté aux jeunes, ce quadragénaire à la success story ose tout dire, le meilleur comme le pire… et surtout le pire. En communion avec la salle, il ressent les états d’âme, notamment lorsqu’il franchit la ligne de l’entendable. Qu’importe ! S’il y a des frontières à ne pas dépasser, il les saute allégrement, tout sourire, un rien désinvolte comme l’enfant pris le doigt dans la confiture… et qui n’en a rien à faire de se faire réprimander. À cet humoriste déjanté, la scène manquait, les applaudissements – source non négligeable de son mieux-être –, manquaient aussi. Il lui tardait de remonter sur scène, après son dernier spectacle, « Chinois marrant ». Avec « Le monde appartient à ceux qui le fabriquent », à l’Européen jusqu’au 18 décembre 2021, il propose un show plus introspectif évoquant ses débuts d’humoriste, ses rencontres, mais aussi sa famille. Est-ce le résultat d’une disette de rencontres avec son public ? Toujours est-il que cet ex-clochard – à l’avis d’imposition désormais hallucinant, de son propre aveu – et qui a une faim d’ogre de scène et d’interactions avec son public se livre à nu, sans censure, préférant la langue affranchie à la langue de bois. L’exubérance échevelée, les propos outranciers, Bun Hay Mean aurait tout pour déplaire, mais il est très drôle, parfois irrésistible. Alors… on lui pardonne pour nos oreilles écorchées et on applaudit de bon cœur.

“Tueurs en série sur le divan”, Jean-Benoît Dumonteix et Joseph Agostini

Temps de lecture : 3 min LITTERATURE
Dans « Tueurs en série sur le divan » (éd. Envolume), Joseph Agostini et Jean-Benoît Dumonteix reviennent sur quatre affaires aussi sordides que sidérantes du XXe siècle. Dans cet essai passionnant, très fouillé et documenté, ces deux psychologues cliniciens et psychanalystes décryptent les itinéraires criminels de Michel Fourniret, de Marcel Petiot, de Guy Georges et de Thierry Paulin, leurs ressorts psychologiques et la bascule dans leur passage à l’acte. Avec sa collection « Sur le divan », l’objectif des éditions Envolume est « de rendre une certaine forme de pensée accessible à tous ». À travers ces études de cas, l’essai remplit assurément toutes les cases, qu’il s’agisse de l’intérêt du sujet ou de l’accessibilité aux rouages de la pensée perverse. Dans un langage globalement accessible (hormis quelques passages conceptuels ardus), les auteurs livrent des analyses édifiantes sur la construction mentale de ces individus incapables d’éprouver le moindre sentiment d’empathie ni de respecter l’intégrité de l’autre. Certes, déplier la carte du cerveau pervers d’un tueur en série n’est pas sans susciter des émotions dérangeantes, pouvant alterner entre le dégoût et l’horreur. Mais, rapidement, une saine curiosité – celle de l’intellect – s’empare du sujet dans son plus noble projet qui est de s’instruire et de comprendre… voire de mieux repérer les formes plurielles de la perversité lorsqu’elle montre son sourire le plus engageant.

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