Extrait (page 127)
“Tueurs en série sur le divan”, Jean-Benoît Dumonteix et Joseph Agostini
“Là où une personne névrosée “classique” somatiserait, c’est-à-dire créerait des symptômes physiques ou psychiques comme une maladie, de l’angoisse ou encore une grande inhibition, Thierry Paulin, lui, met en scène “pour de vrai”, dans sa relation aux autres, le conflit qui l’anime intérieurement. Il n’y a pas de place à l’intérieur de lui-même pour accueillir ce conflit. Paulin n’a pas les mots, il se situe dans une politique de l’agir. C’est son mode d’expression dirigé contre les autres. Alors, lorsque la haine contre la figure de la grand-mère affleure, il n’est pas question d’en dire quelque chose ou d’être en colère. Il s’agit de tuer.”
Avis de PrestaPlume ♥♥♥♥
Dans « Tueurs en série sur le divan » (éd. Envolume), Joseph Agostini et Jean-Benoît Dumonteix reviennent sur quatre affaires aussi sordides que sidérantes du XXe siècle. Dans cet essai passionnant, très fouillé et documenté, ces deux psychologues cliniciens et psychanalystes décryptent les itinéraires criminels de Michel Fourniret, de Marcel Petiot, de Guy Georges et de Thierry Paulin, leurs ressorts psychologiques et la bascule dans leur passage à l’acte. Avec sa collection « Sur le divan », l’objectif des éditions Envolume est « de rendre une certaine forme de pensée accessible à tous ». À travers ces études de cas, l’essai remplit assurément toutes les cases, qu’il s’agisse de l’intérêt du sujet ou de l’accessibilité aux rouages de la pensée perverse. Dans un langage globalement accessible (hormis quelques passages conceptuels ardus), les auteurs livrent des analyses édifiantes sur la construction mentale de ces individus incapables d’éprouver le moindre sentiment d’empathie ni de respecter l’intégrité de l’autre. Certes, déplier la carte du cerveau pervers d’un tueur en série n’est pas sans susciter des émotions dérangeantes, pouvant alterner entre le dégoût et l’horreur. Mais, rapidement, une saine curiosité – celle de l’intellect – s’empare du sujet dans son plus noble projet qui est de s’instruire et de comprendre… voire de mieux repérer les formes plurielles de la perversité lorsqu’elle montre son sourire le plus engageant.
Résumé
Si les noms de Michel Fourniret, de Marcel Petiot, de Guy Georges et de Thierry Paulin sont plus ou moins connus, l’atrocité de leurs crimes résonne encore dans les souvenirs. Le plus ancien des tueurs en série est Marcel Petiot (guillotiné le 25 mai 1946 à Paris). Bien que déclaré « aliéné mental » (psychose paranoïaque) pendant la Première Guerre mondiale, il est devenu docteur et a pu pratiquer au vu et au su de tous. Il a été accusé de 27 assassinats pendant la Seconde Guerre mondiale, dont 12 Juifs fuyant la France occupée. Le plus notoire est sans aucun doute le violeur et pédocriminel en série Michel Fourniret (décédé le 10 mai 2021), condamné pour le meurtre de 7 petites filles en France et en Belgique (sans compter toutes les autres…). Aidé de sa femme, ce tueur cynique et obsessionnel, au délire mystique, joue avec sa proie avec délectation, se repaissant de la souffrance qu’il inflige et de la mise à mort. Appelé « Le tueur de l’Est parisien », Guy Georges est condamné le 5 avril 2001 à la réclusion criminelle pour le meurtre de 7 femmes. Son mode opératoire du jeu du chat et de la souris était invariable : chasser, amadouer, violer, tuer. Avec l’aide de son amant Jean-Thierry Mathurin, Thierry Paulin torture et tue des femmes âgées pour les voler, proie facile pour ce toxicomane confronté au rejet. Son sentiment de n’être rien pour personne depuis toujours le poussera à chercher à devenir quelqu’un. Mais, au lieu d’utiliser ses forces créatrices, il donnera libre cours à ses pulsions destructrices.
Pour approfondir
Bien entendu, dans « Tueurs en série sur le divan », il n’est pas question de cette perversité « ordinaire » qui court les rues et surtout les couloirs des entreprises, mais d’une perversité qui fait franchir la ligne rouge et commettre un acte tant irréversible qu’irrépressible. Les quatre tueurs en série ayant fait l’objet de cette dissection psychologique à quatre mains présentent cette différence fondamentale avec le commun des mortels de n’avoir aucune barrière psychologique, mentale ou morale qui empêcherait tout passage à l’acte. Ces êtres déviants ont « érigé leur être tout puissant sur les décombres de la moralité ». Ils se vivent comme des superhéros ayant le sentiment de toute-puissance, tel un dieu avec droit de vie et de mort sur des êtres réduits au rang d’objets. Les schémas cliniques, loin d’être décrits de manière manichéenne, montrent au contraire combien la perversité peut prendre bien des chemins, mais que le point de départ est toujours le même : l’enfance et ses traumatismes ayant empêché le processus de maturation affective (rejet, abandon, violence, abus sexuel…). Autant d’exemples de perversité qui, selon les auteurs experts, ne font partie ni du champ de la névrose ni de celui de la psychose. Selon Freud, la perversion serait le négatif de la névrose dans le sens de la photographie, c’est-à-dire qu’on y voit les couleurs à l’envers. Grâce au miroir « reformant » ou corrigé de Joseph Agostini et de Jean-Benoît Dumonteix, les profils de la perversité se font un peu plus nets.
Nathalie Gendreau
Éditions Envolume, 11 mai 2021, 164 pages, à 15,90 euros.
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