« Saint-Ex à New York », la genèse du Petit Prince en toute intimité

Temps de lecture : 4 min

THÉÂTRE & CO 

Avis de PrestaPlume  ♥♥♥♥♥

Critique éclair

Jusqu’au 31 décembre, le théâtre du Petit Montparnasse est l’écrin d’une belle renaissance, celle du Petit Prince. En revisitant la genèse de l’écriture de ce conte philosophique, l’auteur et metteur en scène Jean-Claude Idée y propose une lecture toute personnelle. Le Petit Prince serait ainsi une autobiographie symbolique d’Antoine de Saint-Exupéry, où la rose capricieuse représenterait sa femme Consuelo, où l’exil du Petit Prince serait son propre exil à New York, ville aussi incompréhensible pour lui que la planète Terre pour son petit personnage à la chevelure dorée. Mais aussi le miroir de ses inquiétudes pour le devenir de l’humanité, alors que la Seconde Guerre mondiale fait rage sur le Vieux Continent. La version de Jean-Claude Idée est puissamment incarnée par quatre comédiens aux tempéraments marqués (Gaël Giraudeau, Alexandra Ansidei, Adrien Melin et Roxanne Bennett). Les passions y sont tantôt libérées, tantôt retenues avec la même intensité, que la sobriété des décors renforce, comme si le dénuement mobilier était le reflet tangible du désarroi d’un homme empêché d’être. Ce moment de théâtre est une parenthèse unique de poésie, aussi savoureuse qu’instructive. Aussi belle que triste. Si l’écrivain n’est plus, son double symbolique ne cessera jamais de parcourir le monde.

Résumé

Saint-Ex à New York

Été 42, Saint-Ex se morfond dans une villa en bord de mer près de New York. Héros de la Campagne de France de mai-juin 1940, il a fui le régime de Vichy en s’exilant aux États-Unis. L’aviateur écrivain est contraint à l’immobilisme, alors que la France est occupée et que la résistance est à l’œuvre. Depuis la France, on le conspue, car il ne fait pas sa part pour la libération de son pays. En fait, il se refuse à soutenir De Gaulle, convaincu que tout général vainqueur se mue en dictateur. Alors, à New York, sa mélancolie et son cœur tanguent entre sa maîtresse Sylvia Hamilton qui attend qu’il quitte sa femme pour elle et son épouse volcanique Consuelo qui l’incite à écrire un conte pour enfants. Il entretient une étrange relation, quasi amicale, avec le philosophe Denis de Rougemont, pourtant l’amant de sa femme. Ils jouent aux échecs tout en débattant de la vie, de la guerre, de l’engagement. Alors qu’il parachève ce qui deviendra son chef-d’œuvre, il apprend que les Alliés débarquent en Afrique du Nord. Saint-Ex a pris sa décision  : il veut en être. Peu importe sa mauvaise santé. À peine le manuscrit remis entre les mains de sa maîtresse, le héros qui ne voulait pas apprendre l’anglais de peur d’oublier le français prend son ultime envol, conscient qu’il n’en reviendra pas. Les arguments de Consuelo, de Sylvia et de Denis n’y changeront rien.

Pour approfondir

Pour écrire sur les deux années d’exil de Saint-Exupéry à New York, Jean-Claude Idée a puisé dans les mémoires de Consuelo, le journal de Denis de Rougemont et d’autres récits de ses contemporains. Gage d’une retranscription fidèle de cette période cruciale, ce travail documentaire confère à cette pièce une aura presque testamentaire. L’écriture est si ciselée, percutante, signifiante qu’elle ne se différencie pas de celle de Saint-Ex. Les quatre protagonistes sont brossés à grands traits de passion qui vibre dans chaque répartie. Gaël Giraudeau revêt les habits de l’aviateur en proie à une mélancolie qui le conduira à la mort. La gestuelle est minimaliste, toute la ferveur passe par le ton et l’intensité. Coincé dans son corps, mais libre dans un esprit entier. Alexandra Ansidei apporte à Consuelo l’ardente beauté auprès de laquelle on ne peut que se brûler. Ses colères sont aussi éclatantes que son amour pour Saint-Ex est dévorant. À elle seule, elle est le rythme et la démesure… et la candeur aussi quand elle revêt l’habit du Petit Prince. Adrien Melin et Roxanne Bennett, les deux amants, sont attendrissants dans leurs amours respectives, un sentiment puissant qui accepte tout, même des miettes. Ils n’en sont pas moins des rocs sur lesquels Consuelo et Saint-Ex peuvent s’appuyer. Parfait contrepoids à la violence émotionnelle du couple “maudit”, leur jeu “raisonnable” est vital. Il souligne la tragédie qui s’annonce et en donne la force. Une tragédie que l’on connaît, mais qu’on voudrait autre.

Ainsi, cinq ans après la parution de son ouvrage « Saint-Exupéry à New York  : la naissance du Petit Prince », le texte de Jean-Claude Idée ajoute à ce conte philosophique une dimension psychologique très intéressante. À la lumière de cette relecture, le Petit Prince apporte des clés de compréhension sur les préoccupations et les réflexions d’alors de son père d’écriture. La perte inconsolable de son frère François, décédé à 17 ans, son mariage volcanique avec Consuelo, ses débats d’idées avec l’amant de sa femme, ou encore ses jugements pessimistes sur l’avenir du monde sont autant de matière qui ont façonné la figure du Petit Prince. Œuvre dédiée aux générations futures, Le Petit Prince est le dernier écrit d’Antoine de Saint-Exupéry, mais aussi le legs d’un homme de paix désespéré de voir les hommes s’entre-déchirer. Celui pour qui la mort c’était « vivre sans prendre de risque » suivra en toute conscience le destin qu’il s’est dessiné toute son existence, pour être à la hauteur de son frère. Vivre pour deux aura été à la fois le moteur de ses actions et le handicap à son bonheur.

Nathalie Gendreau
©Fabienne Rappeneau


Distribution
Avec : Gaël GIRAUDEAU, Adrien MELIN, Alexandra ANSIDEI et Roxanne BENNETT

Créateurs
Auteur et m
etteur en scène  : Jean-Claude Idée

Décor et lumières : Jean-Claude Idée
Costumes : Sonia Bosc
Son et vidéo : Olivier Louis Camille

Du mercredi et samedi à 21 h et le dimanche à 15 h 30 jusqu’au 31 décembre 2021.
Relâches exceptionnels les 24, 25 et 26 décembre 2021.

Au Petit Montparnasse, 31 rue de la Gaîté, Paris XVIIIe.

Durée : 1 h 30

1 réflexion au sujet de « « Saint-Ex à New York », la genèse du Petit Prince en toute intimité »

  1. « Saint-ex à New York » quelle bonne idée il a eu… Jean-Claude Idée.
    Je suis sûr que ce jeu de mots est aussi vieux que les ancêtres de l’auteur-metteur en scène, mais je n’ai pas pu m’en empêcher.
    Tout d’abord un grand bravo à Nathalie Gendreau pour cette chronique dont j’ai particulièrement apprécié l’écriture. Le récit, les révélations, le sens de la formule, tout y est pour donner envie de se précipiter au Théâtre du Petit Montparnasse.
    Au delà du spectacle manifestement réussi, je trouve que la découverte de certains aspects peu connus de Saint Exupéry est passionnante. Même certains détails, comme le fait « qu’il se refusait à apprendre l’anglais de peur d’oublier le Français »  sont révélateurs d’une personnalité jusqu’alors dans l’ombre de la planète de son Petit Prince.
    C’est donc une soirée de divertissement et d’Histoire que nous recommande Nathalie. Une raison de plus pour aller à la découverte de ce héros de guerre dont le personnage héros de paix est aimé de tous ceux qui l’approchent.

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