“Le monde appartient à ceux qui le fabriquent”, l’introspection d’un saltimbanque échevelé

Temps de lecture : 3 min

THÉÂTRE & CO 

Avis de PrestaPlume  ♥♥♥

Critique éclair

Qui ne connaît pas encore Bun Hay Mean peut être surpris. Dans un stand-up trépidant, au débit de parole rapide et au langage emprunté aux jeunes, ce quadragénaire à la success story ose tout dire, le meilleur comme le pire… et surtout le pire. En communion avec la salle, il ressent les états d’âme, notamment lorsqu’il franchit la ligne de l’entendable. Qu’importe ! S’il y a des frontières à ne pas dépasser, il les saute allégrement, tout sourire, un rien désinvolte comme l’enfant pris le doigt dans la confiture… et qui n’en a rien à faire de se faire réprimander. À cet humoriste déjanté, la scène manquait, les applaudissements – source non négligeable de son mieux-être –, manquaient aussi. Il lui tardait de remonter sur scène, après son dernier spectacle, « Chinois marrant ». Avec « Le monde appartient à ceux qui le fabriquent », à l’Européen jusqu’au 18 décembre 2021, il propose un show plus introspectif évoquant ses débuts d’humoriste, ses rencontres, mais aussi sa famille. Est-ce le résultat d’une disette de rencontres avec son public ? Toujours est-il que cet ex-clochard – à l’avis d’imposition désormais hallucinant, de son propre aveu – et qui a une faim d’ogre de scène et d’interactions avec son public se livre à nu, sans censure, préférant la langue affranchie à la langue de bois. L’exubérance échevelée, les propos outranciers, Bun Hay Mean aurait tout pour déplaire, mais il est très drôle, parfois irrésistible. Alors… on lui pardonne pour nos oreilles écorchées et on applaudit de bon cœur.

Résumé

L’homme arrive en retard. À peine sur scène qu’il vitupère contre la circulation devenue impossible à Paris… On sait à cause de qui ! Alors on compatit. Il se dévêt à peine, arpentant la scène côté cour côté jardin à une cadence accélérée. Se croit-il encore sur son scooter ? Le show a-t-il vraiment commencé, car il se met à interpeler des spectateurs ? Toutes les « origines » en ont pour leur matricule. Tout passe quand personne n’est épargné. Le ton est donné, et restera dans cette droite ligne pour défendre le « racisme ordinaire », celui de ne se lever contre rien par fainéantise. Avec ce tour d’horizon, l’humoriste montre des talents d’improvisateur assez remarquables, surtout quand la salle lui donne un sacré coup de main. À croire que tout est télécommandé ! En fait, nous sommes tombés sur un jour faste  : une famille de cinq qui arrive au compte-gouttes, un homme qui dénonce celle qui n’a pas éteint son portable, etc. Une aubaine pour celui qui n’a pas la langue dans sa poche ! Enfin, nous entrons dans le cœur du show.

Dans ce stand-up au vitriol, l’humoriste mi-chinois, mi-cambodgien, qui a pour devise “Don’t Worry Be Noichi !” semble déverser tout ce qui lui passe par la tête, sautant du coq à l’âne, avec adresse et sans retenue. Il revient sur sa famille expatriée – et non immigrée, comme il le souligne – qui s’installe en France en 1977, dans la banlieue bordelaise. En 2006, à 24 ans, il décide de démissionner de son poste d’informaticien pour entamer une carrière d’humoriste à Paris. Il évoque ses galères lorsqu’il était dans la rue, puis le bras tendu de Jamel Debbouze qui lui met le pied à l’étrier en lui proposant d’intégrer la saison 7 de son émission, le Jamel Comedy Club. C’est le début des débuts. Il monte sur les scènes parisiennes, puis internationales (Canada, Asie, Tahiti, Nouméa…). Son physique d’Asiatique chétif et chevelu ne passe pas inaperçu. C’est sa marque de fabrique, son identité. Alors, se couper les cheveux parce qu’une armée de poux a décidé d’établir leur campement, sûrement pas !

Pour approfondir

Certes, dans « Le monde appartient à ceux qui le fabriquent », Bun Hay Mean est direct, au franc-parler incisif, aux propos un tantinet vulgaires et provocants, moralisateurs parfois. Mais, quand on gratte un peu – pas trop fort, car il est sujet au psoriasis à la moindre émotion –, on soupçonne la colère à fleur de peau contre une société « d’analphabêtes » ; on devine la fêlure intime qui lui fait voir les applaudissements comme un onguent à cette peau qui le démange. Celui qui prône la liberté d’être et de ton s’assume pourtant et se dit heureux, car il n’a aucun projet… à l’instar des enfants. Mais être heureux n’est-il pas déjà un projet en soi ? Et surtout rendre joyeux le public ? Un public qui ressort de ce spectacle dépaysé, décoiffé, décontenancé, dénormalisé, comme on sort d’un tambour de machine à laver où le temps aura été à la fois rempli à ras et évidé. Mais aussi un public qui ressort avec l’impression d’avoir été immergé dans une délectable transgression des limites. À refaire… mais, par pitié, un tout petit peu moins vite !

Nathalie Gendreau
©Nathalie Gendreau


Distribution
Avec : Bun Hay Mean

Créateurs
Auteur :
Bun Hay Mean 

Tcholélé Productions & Chatman 

Du jeudi au samedi à 19 h 30 jusqu’au 18 décembre 2021.

Au théâtre L’Européen, 5 rue Biot, Paris XVIIe.

Durée : 1 h 15

1 réflexion au sujet de « “Le monde appartient à ceux qui le fabriquent”, l’introspection d’un saltimbanque échevelé »

  1. Bun Hay Mean est comme la Cannebière : il exagère.
    Mais ce ne serait rien, s’il ne manquait pas parfois de respect vis-à-vis de son public – qu’il prend à partie – et s’il n’insistait pas lourdement, après s’être aperçu qu’il était allé trop loin. Et il ne suffit pas de dire « Respect » pour remédier à l’humiliation publique qu’il fait subir aux personnes concernées. Cela s’est produit lorsque j’ai vu ce spectacle. Je n’ai pas vu les spectateurs ciblés et, de ce fait, je n’ai pu voir leur expression. J’ai trouvé ce processus très déplaisant. Quant à la vulgarité, elle est souvent à couper au couteau et marche, car, soit les spectateurs sont flattés de faire partie du spectacle, soit ils n’osent pas ne pas être « dans le coup ». Dans les deux cas, c’est pitoyable. Et il m’a semblé que Bun Hay Mean vaut mieux que cela et on en sort attristé, certes pour son public, mais surtout pour lui.

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