“On est tous le vieux d’un autre”, le voyage de la rédemption pour Mémé Casse Bonbons

Temps de lecture : 4 min

THÉÂTRE & CO 

Avis de PrestaPlume  ♥♥♥

Critique éclair

Mémé Casse Bonbons - On est tous le vieux d'un autre

Mémé Casse bonbons, le personnage d’Anne Cangelosi, fait son grand retour à Paris avec « On est tous le vieux d’un autre » au Studio Marie-Bell du théâtre du Gymnase. Octogénaire plus nature que jamais avec son franc-parler incisif et décomplexé, elle vient nous narrer sa croisière sur le Nil et la découverte d’un pays magnifique, cependant gâchée par sa population… arabe. Eh oui, Joséphine Troux, veuve marseillaise du village de La Bouilladisse, est toujours aussi raciste vis-à-vis des étrangers… qu’ils soient en France ou chez eux. Dans ce troisième épisode de la vie de Mémé Casse Bonbons, Joséphine aura maille à partir avec les passagers du bateau qui la prennent en grippe, reprochant son savoir-être en société quelque peu exécrable. Un tel traitement en vase clos pendant une semaine va entamer les préjugés très profondément enracinés de cette voyageuse revêche et insupportable. Meurtrie par l’intolérance qu’elle subit et dont elle s’étonne, Joséphine verra son cœur s’ouvrir peu à peu comme une fleur pour accueillir l’autre, même différent. Cette rédemption apporte une évolution qui renouvelle le personnage. Anne Cangelosi est toujours aussi à l’aise et crédible dans son jeu, mais on retiendra de sa performance un aspect qui ressort davantage dans cet opus  : l’émotion. Une émotion incarnée, vibrante, qui passe par les yeux, la fêlure d’une voix, les blessures invisibles. Un être plus vivant que jamais qui réunit l’amour universel de toutes ces mémés qui ont accompagné notre enfance.

Résumé

Enserrée dans sa blouse vintage campagnarde, un châle patchwork en laine sur les épaules, une canne dans une main, une valise d’un autre siècle dans l’autre, Mémé Casse bonbons rentre enfin chez elle, après un voyage rocambolesque en Égypte. Un périple émotionnel où elle en a pris plein les yeux, mais aussi plein le cœur, et qu’elle nous narre avec bonheur. Tout part d’un complot. Celui des habitants de son village. Excédés par son caractère invivable, ils lui font croire qu’elle a gagné le premier lot au loto de la commune. Un voyage pour aller voir l’obélisque. Son rêve ! Le jour J, on la pousse dans la soute de l’avion manu militari. Quelques heures plus tard, croyant être à Paris, elle atterrit en Égypte, un pays rempli d’étrangers. Certes, ils sont chez eux, mais pour elle ils n’en restent pas moins étiquetés « ennemis ». Sur le bateau, elle se comporte comme une enfant capricieuse, sans ménagement pour les susceptibilités cosmopolites. Elle critique, râle et se bâfre à longueur de journée, au point que les passagers la prennent en grippe. Un membre de l’équipage égyptien se montre pourtant attentionnée, voire empathique, et lui fait comprendre combien ses manières ne peuvent que générer de l’hostilité. C’est là qu’une bascule s’opère en elle, un retournement d’esprit sur l’appréhension de l’autre dans sa complétude, et non dans une singularité différenciante. Adoucir ses préjugés n’est pas chose aisée, c’est une lente maturation, mais Joséphine parviendra à considérer l’autre autrement, sans en faire un ennemi a priori. Cela dans un pays à la culture foisonnante et millénaire qui donne tout le sel à ce voyage immobile.

Pour approfondir

Après les deux premiers opus – qu’Anne Cangelosi continue de jouer en même temps et avec la même ardeur –, à savoir « Petits arrangements avec la vie » et « On n’achève pas les vieux », « On est tous le vieux d’un autre » apporte un supplément d’âme à cette vieille dame arriérée, à l’expérience de l’autre bornée, aux réparties cinglantes sur la bêtise de ses congénères qu’elle déteste joyeusement et avec l’accent chantant du Sud. Le mauvais esprit de Joséphine n’a pas pris une ride. Et sa gouaille marseillaise, pas une intonation. Truculence et irrévérence sont sa marque de fabrique. Elle est souvent à la limite dans ses propos racistes, mais l’humour balaye l’indécence ou l’outrance. Parce qu’on pardonne tout à une vieille dame ? Parce que la violence des propos provoque en soi un ébranlement, un remous salvateur qui s’insurge contre ce racisme ordinaire contre l’étranger, qu’il s’agisse de la couleur ou de l’âge. N’est-on pas tous l’étranger de l’autre ?

Le texte de la comédienne et du metteur en scène Alexandre Delimoges frappe toujours juste ; le ton est grinçant aux rires ; l’humour chemine sur une crête escarpée sans s’affaler dans le lieu commun. Anne Cangelosi porte vaillamment cette Mémé Casse bonbons, qu’on ne peut détester vraiment, à qui on pardonne les débordements incendiaires contre le genre humain tant l’esprit du personnage est « pédagogique ». La comédienne joue à merveille avec son personnage qui, pourrait-on croire, s’humanise dans cet opus. C’est même plus que cela, Mémé Casse Bonbons n’est pas née sans humanité pour son prochain, ce sont les autres, et donc la vie, qui l’ont façonnée à leur image à laquelle elle n’a pas su résister. Lors de ce voyage inattendu, où l’autre est omniprésent, elle se départit de sa carapace bougonne et négative, pour entrevoir un soleil  : pas celui de l’Égypte ou de Marseille, mais celui qui renaît en elle. Anne Cangelosi la rend touchante dans cette révélation rédemptrice. Même ses réparties en prennent un coup dans l’aile. Non pas qu’elles sont moins drôles ou moins percutantes, c’est juste qu’elles sont auréolées d’une sensibilité véritable qui les émousse. Gageons qu’au prochain épisode, à l’instar du soap américain « Amour, Gloire et Beauté » – que Joséphine suit avec acharnement depuis 1987 –, Anne Cangelosi saura préserver le fiel si savoureux de cette Mémé qu’on adore détester et qui fait son originalité.

Nathalie Gendreau
©Yann Etesse


Distribution
Avec : Anne Cangelosi

Créateurs
Auteur : Anne Cangelosi, Alexandre Delimoges
Metteur en scène : 
Alexandre Delimoges

Mercredi 19 et jeudi 20 janvier 2022 à 19 h puis du vendredi au samedi à 21 h selon, le dimanche à 18 h (sauf le 27 février à 18 h), jusqu’au 27 février 2022.

Théâtre Gymnase Marie-Bell (Studio Marie-Bell), 38 boulevard Bonne Nouvelle, Paris Xe.

Durée : 1 h 15

2 réflexions au sujet de ““On est tous le vieux d’un autre”, le voyage de la rédemption pour Mémé Casse Bonbons”

  1. Super spectacle.
    Mémé Casse Bonbons est très touchante, juste et nous fait réfléchir sur nos attitudes et nos préjugés.
    Je vous conseille ce spectacle. Allez-y, foncez.

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  2. Comme souvent, la critique théâtrale de Nathalie Gendreau conduit à une réflexion qui dépasse la pièce qu’elle a choisi de nous présenter. Je ne connaissais pas « Mémé Casse bonbons » mais, à la lecture de cette critique, j’ai envie de découvrir ce phénomène octogénaire (!!!) qui a le courage d’interpréter aujourd’hui l’humour d’hier… pourtant interdit par la toute puissance doxa bien pensante.

    Un inconnu, croisé aujourd’hui, me déclarait à propos du film Rabbi Jacob que nous évoquions « on ne pourrait plus tourner ce film aujourd’hui ». In petto, j’ai aussitôt pensé à Desproges, Brassens, et tant d’autres poètes ou amuseurs qui seraient concernés par la réflexion de cet inconnu. L’homme était accompagné de son fils de 5 ans qui m’a fait un grand sourire et j’ai soulevé un instant mon masque, en retenant ma respiration, pour lui rendre ce cadeau éternel : le sourire d’un enfant… petit fils virtuel de « Mémé Casse bonbons »..

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