“Les Trois Mousquetaires”, Du beau et grand Dumas

Temps de lecture : 4 min

THÉÂTRE & CO 

Avis de PrestaPlume  “Coup de cœur”

Critique éclair

Susciter un souffle épique sur une scène de théâtre – lieu restreint par excellence – est une gageure que la compagnie du Grenier de Babouchka a tenu avec brio. Et le mot n’est pas assez puissant eu égard aux sensations éprouvées lors de la représentation des « Trois Mousquetaires », dans ce prestigieux écrin du théâtre du Ranelagh. Tout est là pour passer un excellent moment, hors du temps, ou plutôt si… à l’intérieur d’un temps autre, celui de l’aventure de cape et d’épée, d’amours contrariées, des complots et de la fraternité à la vie à la mort. Les douze comédiens, dont deux musiciens (violon, accordéon, cajon, clavier, guitare) qui semblent présider aux différentes destinées des personnages, font virevolter leurs rapières avec autant d’adresse que leur langue fleurie. Il y a de l’ardeur, du panache, une tempétueuse énergie. Drame et comédie s’entrelacent étroitement. Dans un décor nu, la mise en scène est capitale pour rythmer les nombreux actes. Charlotte Matzneff s’approprie l’espace et le rentabilise de manière époustouflante. Les scènes courtes et alertes renforcent ce sentiment d’urgence et d’intensité. L’adaptation de Jean-Philippe Daguerre et de Charlotte Matzneff est moderne tout en restant fidèle à l’esprit de l’époque et au contenu. L’histoire des trois mousquetaires se réinvente, s’étoffe et se déploie comme si c’était une première. Du bel œuvre ! Dumas en sourirait d’aise.

Points forts

Est-ce bien utile de résumer « Les trois mousquetaires » ? Un classique indémodable qui continue de faire rêver, les jeunes profanes comme les plus blasés. L’âge importe peu dans l’affaire quand la plume d’Alexandre Dumas captive jusqu’au clap de fin. La compagnie du Grenier de Babouchka ne s’est pas laissé intimider ni dépasser par l’œuvre populaire, prenant le risque de décevoir son public qui connaît l’aventure par cœur. Elle apporte au contraire un supplément d’âme en approfondissant le caractère des personnages, en leur donnant de la chair, une complexité attachante… humaine. Les « gentils » ont le cœur par trop papillonnant tandis que les « méchants » cachent des fêlures intimes. Les héros restent des hommes au talon d’Achille et les femmes manipulent pour survivre dans ce monde hostile à leur condition. La création est à ce point inventive qu’on les redécouvre dans une palette de sentiments et d’émotions, ce qui nous les rend tous sympathiques… même le Cardinal de Richelieu. C’est dire ! Du reste, l’histoire ne s’achève pas avec la remise des ferrets à la reine, mais se poursuit jusqu’à la mort de Constance et de Milady. Deux femmes au destin chaviré par la dureté de cette époque. Une fin aboutie qui prépare les vingt ans d’après.

La mise en scène est la pièce maîtresse du spectacle. Elle est à couper le souffle. Les superlatifs ne manquent pas… Enthousiasmante, palpitante, grisante… Le spectacle est si vivant qu’il en est immersif. Les nombreux combats, à quatre, six, huit ou dix, orchestrés d’une main de maître… d’armes par Christophe Mie, se comparent à un ballet d’épées sur pointe, précis, synchro, élégant, fracassant. Les beaux costumes de Catherine Lainard contribuent à la magie. Les capes rouges et bleues volètent au gré d’amples gestes. La musique de Tonio Matias est une invitée de marque dans ce spectacle, car elle permet à l’imaginaire de s’évader au-delà des planches. Les chevauchées en deviennent fantastiques, nourrissant le sentiment du réel grâce à un stratagème ingénieux. La danse apporte une touche sensuelle dans la narration visuelle. La suggestion lascive d’un tango argentin langoureux exprime la séduction de Milady, maîtresse femme aux appâts funestes. Ses jambes s’enroulent autour de ses partenaires, comme une liane rampante. Le charme opère. Elle ne captive pas seulement ses proies, mais le public tout entier.

Performance

Pour monter « Les Trois Mousquetaires », il ne pouvait être question d’une petite troupe. Le nombre de comédiens donne un écho retentissant à ce souffle épique que l’on trouve dans le texte original ou les adaptations cinématographiques. Ils sont douze, trop pour tous les énumérer, mais ils sont tous talentueux, véhiculant une énergie contagieuse. Les rôles sont très exigeants, ne souffrent ni la jambe molle ni le bras cotonneux. Thibault Pinson confère à D’Artagnan la fougue et l’impétuosité de la jeunesse qui veut en découdre. La noblesse et la vaillance sont contrebalancées par ses emportements de jeunesse. Julien Renon incarne Richelieu et Aramis. Il confère au premier une noblesse quasi royale, qu’un jeu de lumières rougeoyantes sur le costume pourpre amplifie. Le phrasé qu’il lui prête est irrésistible de drôlerie et de grandeur. Axel Drhey officie en un Athos romantique et attachant et Geoffrey Callènes se drape dans la bonhommie de Porthos. Quant aux trois femmes, qui manient aussi l’épée, elles composent des personnages complexes. Caroline Frossard, Barbara Lamballais, Sandra Parra ou Marguerite Dabrin interprétant Constance Bonacieux, Milady de Winter, Anne d’Autriche, sont tour à tour fortes et sensibles, piquantes et mutines, émouvantes. Toujours percutantes dans leurs émois. Elles sont la quintessence des femmes modernes, maîtresses de leur destin. Si elle n’était pas déjà prise, la formule « Un pour tous, tous pour un » aurait pu être décernée à cette troupe de comédiens qui n’ont fait qu’un pour sublimer l’œuvre et nous conquérir.

Nathalie Gendreau
©Grégoire Matzneff


Distribution “Le grenier de Babouchka
Avec : Geoffrey Callènes, Stéphane Dauch ou Axel Drhey, Émilien Fabrizio, Caroline Frossard, Barbara Lamballais, Xavier Lenczewski, Tonio Matias, Christophe Mie, Sandra Parra ou Marguerite Dabrin, Thibault Pinson, Julien Renon, Edouard Rouland

Créateurs

Texte : Alexandre Dumas
Adaptation :
 Jean-Philippe Daguerre et Charlotte Matzneff
Mise en scène :
 Charlotte Matzneff

Combats : Christophe Mie
Musiques : Tonio Matias
Costumes : Catherine Lainard
Lumières : Marilyn Etienne-Bon
Affiche et Photographies : Grégoire Matzneff

Du jeudi au samedi à 21 h, en matinée le samedi à 16 h 30 et le dimanche à 17 heures, jusqu’au 6 mars 2022. Une séance supplémentaire le mardi 21 décembre, à 14 heures. Relâche les 24 et 25 décembre.

Au théâtre Ranelagh, 5 rue des Vignes, Paris XVIe.

Durée : 1 h 40

1 réflexion au sujet de « “Les Trois Mousquetaires”, Du beau et grand Dumas »

  1. Comme disait ma grand mère (Babouchka en Russe) «  Il faut lire Alexandre Dumas pour comprendre l’âme Française ». Comme l’écrit joliment Nathalie Gendreau, « La compagnie du Grenier de Babouchka apporte un supplément d’âme à l’œuvre de Dumas ». Jonction spirituelle réussie pour une œuvre à qui le qualificatif « immortelle » semble presque faible.

    Mais Nathalie Gendreau parvient à nous intriguer sur cette nouvelle adaptation du roman le plus célèbre de Dumas père, publié en 1844. Presque deux siècles que cette œuvre suscite de multiples interprétations dans de nombreux genres et pourtant il semble bien que les parents de cette nouvelle transposition soient parvenus à sortir une nouvelle épée du fourreau des Mousquetaires.

    A n’en point douter un spectacle idéal pour cette période de fêtes.

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