“La plus secrète mémoire des hommes”, Mohamed Mbougar Sarr

Temps de lecture : 3 min

Extrait (page 284)
“Puis, longtemps après, je compris : avoir une blessure n’implique pas qu’on doive l’écrire. Ça ne signifie même pas qu’on songe à l’écrire. Et je ne te parle pas de le pouvoir. Le temps est assassin ? Oui. Il crève en nous l’illusion que nos blessures sont uniques. Elles ne le sont pas. Aucune blessure n’est unique. Rien d’humain n’est unique. Tout devient affreusement commun dans le temps. Voilà l’impasse ; mais c’est dans cette impasse que la littérature a une chance de naître.”

“La plus secrète mémoire des hommes”, Mohamed Mbougar Sarr

Avis de PrestaPlume ♥♥♥♥

« Un grand livre ne parle jamais que de rien, et pourtant, tout y est. » Cette réflexion de l’ami du narrateur Diégane Latyr Faye dans « La plus secrète mémoire des hommes » (coédition Philippe Rey/Jimsaan) éclaire à elle seule l’ambition de ce flamboyant roman initiatique. Mohamed Mbougar Sarr annonce donc la couleur, met ses influences littéraires et tout son être sur table et remporte la mise de la notoriété. La trame naît d’un écrivain malien, Yambo Ouologuem, qui a été accusé de plagiat après avoir reçu le prix Renaudot en 1968 pour « Le Devoir de violence ». Dans son quatrième ouvrage, le lauréat du prix Goncourt 2021 transpose ce fait via le parcours d’un jeune auteur fictif, T.C. Elimane, surnommé le « Rimbaud nègre » à la parution de son ouvrage « Le labyrinthe de l’inhumain » en 1939 et conspué pour plagiat. Fasciné, Diégane Latyr Faye entreprend de retracer la vie de cet écrivain fantôme, marchant dans ses pas aux quatre coins du monde, de piste en piste. Au fil des pages et du temps rebroussé, Mohamed Mbougar Sarr nous immerge dans les tourmentes historiques du XXe siècle. Traversé par une force évocatrice, soutenu par une prose nerveuse et un suspense savamment entretenu, « La plus secrète mémoire des hommes » est tel un fil tendu au-dessus d’un précipice où l’audace et l’imagination exultent, battent d’un même cœur. Ce passionnant plaidoyer pour la littérature africaine et la reconnaissance des écrivains africain est aussi un bel hommage à l’essence même d’écrire, à l’humanité, à la vie… à la naissance d’une œuvre.

Résumé

Jeune écrivain africain, étudiant à Paris, Diégane Latyr Faye s’intéresse au « Labyrinthe de l’inhumain ». Dans les cercles littéraires qu’il fréquente avec ses amis, il défend l’idée qu’il existe, sans en avoir pu lire une seule ligne, sans que personne de sa connaissance ne l’ai lu ou eu en possession. Il décide de mener l’enquête en commençant par les articles de presse de l’époque. Au-delà de l’ouvrage qui lui semble être « le livre essentiel », c’est l’homme qui l’intrigue. Comment écrire un tel livre aussi retentissant et disparaître sans laisser de trace ? Avait-il survécu à l’infamie ? Avait-il écrit un autre livre ? De pistes en rencontres prodigieuses – comme si le livre (ou l’auteur) avait le pouvoir de le guider depuis le néant –, il a le bonheur de l’avoir entre les mains et de le lire, en boucle, décryptant chaque mot, chaque idée, chaque image. Une victoire inespérée qui renforce sa volonté de découvrir ce qu’il est advenu de T.C. Elimane. De voyages en rencontres, de récits en témoignages, Diégane suivra sa piste jusqu’au Sénégal, dans le village natal de T.C. Elimane, où il fera la connaissance de sa famille et connaîtra enfin… la fin de l’histoire.

Pour approfondir

Connaît-on réellement l’homme derrière l’écrivain ? Que racontent les livres sur leurs auteurs ? Pourquoi écrit-on ? Quelle est cette nécessité qui pousse à écrire, alors que tant de choses ont déjà été dites ? Pour Mohamed Mbougar Sarr, il faut « écrire les yeux ouverts, sans résignation ». Écrire et encore écrire, sans lassitude, mais avec ferveur, car l’écriture « exige toujours autre chose, rien ne suffit jamais ». Écrire ne serait donc pas étancher une soif inextinguible, mais être dans un don de soi sans fin, même quand l’histoire s’achève. Ces réflexions, elles-mêmes indéfinies, entraînent aussi le lecteur jusqu’à la frontière de ce no man’s land – ou plutôt no author’s land – du plagiat. La littérature en a fourmillé. Ces emprunts, volontaires ou pas, ne seraient-ils pas des actes de gratitude à l’endroit de l’auteur pour son œuvre si inspirante ? « Le labyrinthe de l’inhumain » en est un exemple remarquable puisque l’auteur a façonné un livre personnel, une œuvre unique, avec presque que des emprunts à des écrivains qu’il aimait. Par la voix d’un de ses personnages, Mohamed Mbougar Sarr avance qu’un grand écrivain n’est peut-être rien de plus que l’art de savoir dissimuler ses plagiats et références. Peu importe la réponse, si tant est qu’elle puisse être tranchée, le propre de l’écrivain n’est-il pas plutôt de ne jamais cesser de se poser des questions ?

Nathalie Gendreau

Coédition Philippe Rey/Jimsaan, 19 août 2021, 448 pages, à 22 euros en version papier et 14,99 euros en version numérique.

1 réflexion au sujet de « “La plus secrète mémoire des hommes”, Mohamed Mbougar Sarr »

  1. J’ai l’impression que « La Plus Secrète Mémoire des Hommes » est aussi une ode à l’écriture. Ce qui ne peut que nous inciter à lire cet ouvrage du Prix Goncourt 2021, Mohamed Mbougar Sarr.
    La promesse d’un chemin initiatique qui s’engage sur une piste africaine pleines de promesses est un plus qui devrait combler les amateurs de belles lettres.

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