« Carte Blanche », l’élégance d’une signature

Temps de lecture : 3 min THÉÂTRE & CO
“Tout est vrai !” affirme Blanche Raynal au sortir de son spectacle. La comédienne est radieuse, et diffuse son bonheur discret. En créant “Carte Blanche”, elle s’est fait le plus beau cadeau qui soit en autorisant la femme qu’elle est devenue à se donner carte blanche pour relater sa carrière et surtout (dé)livrer un cœur en ballottage entre illusions et désillusions. Le 4 avril dernier, au Théâtre du Marais, ce fut une première de qualité où flottait dans l’air un talent indéniable qui happe l’intérêt et séduit le cœur. La comédienne connue grâce à ses nombreux seconds rôles a fait de son seule-en-scène une réussite d’un bout à l’autre d’une vie rude qui a nécessité pugnacité et force de caractère. Elle ne se refuse rien et signe fièrement en bas de cette carte blanche, vierge de compromissions, un autoportrait drôle et authentique qui serre la gorge et ouvre grand les bras.

“Camille contre Claudel”, deux cœurs pour un hommage ardent

Hélène Zidi Camille contre Claudel

Temps de lecture : 4 min ÉVÉNEMENT/ACTU
Camille Claudel est un personnage gravé dans la mémoire collective comme une artiste prodigieuse, étouffée par son mentor et amant Auguste Rodin, et comme une femme réduite au dénuement par sa famille. Avec la publication de sa pièce “Camille contre Claudel”, aux éditions Dacres, Hélène Zidi vient rendre justice à cette artiste spoliée, alors même que l’année 2017 célèbre la commémoration du centième anniversaire de la mort de Rodin. Telle une pichenette insolente à l’omnipotence du sculpteur, ce texte qui élève Camille Claudel aux nues de son art va être rejoué cette année au Festival d’Avignon, après un succès remarqué lors de ce même festival, en 2016. Le public pourra y retrouver une Camille dédoublée s’exprimant à deux stades d’une vie chaotique. Pour y parvenir, il fallait deux femmes aux traits ressemblants, à la même énergie créatrice, à la même sensibilité aiguisée. Une mère et sa fille étaient la combinaison idéale pour embrasser une immense artiste à l’aube et au crépuscule de sa destinée.

« Électre 21 », Romel

Temps de lecture : 2 min CHRONIQUE
Avec son deuxième roman “Électre 21”, Romel s’impose comme un globe-trotteur de l’écriture qui abolit les frontières géographiques et temporelles. Sa vie organisée aujourd’hui en Asie, entre Phnom Penh et Bangkok, et son bagage dans le milieu des affaires et des gouvernements lui sont autant d’atouts pour instiller une atmosphère singulière à ce texte futuriste qui revisite le mythe d’Électre, une vengeance contre un membre de sa famille. Haine, vengeance, violence, un triptyque mythologique modernisé qui, sous l’écriture fulgurante et efficace de l’auteur, prend un tour 2.0 passionnant et addictif. En parallèle, la recherche d’un tableau de Picasso disparu lors de la Seconde Guerre mondiale donne une dimension historique et symbolique inattendue qui dynamise l’intérêt de lecture.

« Issue de secours », la haute-voltige du rire

Issue de secours Théâtre du Marais Benjamin Isel Hadrien Berthaut Comédie critique théâtre chronique

Temps de lecture : 3 min THÉÂTRE & CO
Sur la scène du Théâtre du Marais, le spectacle “Issue de secours” est une aventure planante, fusante, explosive, qui donne dans l’hilarité la plus sidérale, et les gaz n’y sont pour rien ! Tout est prêt pour le dernier vol du commandant… du moins, pour ce qui est du principal : le whisky pour fêter ce voyage qui va clore dix ans de collaboration entre le pilote et le copilote. Pour le reste, advienne que pourra, car la rigueur a déserté le cockpit au profit de l’insouciance d’une prochaine retraite ! Bien entendu, les catastrophes déferlent en escadrille, provoquant des situations loufoques qui dilatent les côtes flottantes. Avant de s’abîmer dans les dunes, l’avion de ligne BH80-90 largue dans le désert africain son fardeau humain, deux corps toniques en manque de gin ou de mojitos. Benjamin Isel et Hadrien Berthaut, les coauteurs des sketches tricotés à quatre mains, puis mis en scène par Georges Beller, vous invitent à un baptême de l’air de haute voltige sans haut-le-cœur garanti. Vive la tête à l’envers du rationnel !

« Le Roman d’Elsa », Geneviève Senger

Temps de lecture : 2 min CHRONIQUE
Avec “Le roman d’Elsa”, Geneviève Senger dresse le portrait passionnant d’une femme qui refuse de se soumettre aux conventions qui contraignent les jeunes filles au mariage arrangé. Issue de la grande bourgeoisie, Elsa Samuelson est si jolie et riche qu’elle ne manque pas de prétendants. Pourtant, son rêve vogue très loin des rivages du mariage et de la maternité. Elle voudrait étudier la médecine, un désir obstiné qui déconcerte sa famille. Il n’existe pas encore de femmes médecins. Et si Elsa était la première à ouvrir le chemin ? En parallèle de ce combat qu’elle devra mener sans faillir, elle va connaître ses premiers émois, une attirance forte pour Théo Dupin, un ouvrier syndicaliste à l’écoute de ces quelques voix féminines qui s’élèvent pour gagner leur indépendance.

« Les Deux timides », du comique sans fard ni fardeau

Temps de lecture : 3 min THÉÂTRE & CO
À la comédie Saint-Michel se joue une guillerette et divertissante comédie-vaudeville en un acte court, d’une heure, qui étire le sourire jusqu’aux oreilles. Le texte d’Eugène Labiche “Les Deux timides” date de la fin du XIXe siècle, mais ses timides n’ont pas pris une ride. Les réparties claquent toujours avec bonheur et les deux timorés du XXIe siècle ont le ton et les mimiques qui emportent l’adhésion. Si le thème est universel et intemporel, la Compagnie Hisse-et-eau et ses cinq acteurs savent l’exprimer avec légèreté et facétie.

« Un monde sans moi », Franck Lucas

Temps de lecture : 2 min CHRONIQUE
Il est des caractères qui ne s’épanchent pas. Il est des destinées qui rendent mutiques. Dans les deux cas, le non-dit prend ses aises, s’incruste et se pétrifie dans le corps jusqu’au déclic libérateur, si déclic il y a. “Un monde sans moi”, de Franck Lucas, relate le combat intérieur d’un homme dont les émotions sont figées dans l’horreur des guerres. Instinctivement, il refoulera les mots qui charrient la mort, les cadavres, des sacrifiés à des causes contestables, une histoire qu’il n’arrive pas à partager avec sa femme Marie, son amour d’enfance. Des mots tus qui fissurent la confiance, des mots ravalés qui séparent. Le personnage qui se raconte avec simplicité est inspiré du père de l’auteur. Cet emprunt à la réalité confère au récit la force de conviction et aux mots l’allégresse de la liberté.

Le Prix Régine Deforges pour “Hiver à Sokcho”

Temps de lecture : 4 min ÉVÉNEMENT/ACTU
Élisa Shua Dusapin, auteure de 24 ans, mi-corrézienne mi-coréenne, a vu son premier roman, Hiver à Sokcho (éd. Zoé), couronné par le prix Régine Deforges, lors de la soirée organisée au restaurant Macéo, à Paris, le 13 mars dernier. Qu’on ne se trompe pas sur cette jeune femme aux traits candides. Si la jeunesse se déploie sur un visage au sourire tendre et réservé, les yeux profonds, ombrés de mystères, laissent transparaître un caractère déterminé et une volonté sereine. C’est une femme en quête d’identité, une femme entre-deux, entre deux cultures, entre deux langues, entre deux histoires. Élisa Shua Dusapin a le bonheur intense et discret, à l’image de son ouvrage Hiver à Sokcho. Le bonheur d’être lauréate, bien entendu. Mais redoublé par la symbolique de ce prix qui a été fondé par des enfants en l’honneur de leur mère. “Nous sommes tous enfants de nos pères, souligne l’auteure, au cours de son discours. Certaines cultures le rappellent à chaque instant, comme en Corée, terre de ma mère, terre de confucianisme. J’ai écrit ce livre pour ma mère, ma grand-mère. Je l’ai écrit comme on pose une pierre dans le torrent pour essayer de construire un pont.”

« Lettre à l’autre », Colette Bitker

Temps de lecture : 2 min CHRONIQUE
“Pour moi écrire et peindre c’est vivre et lutter chaque jour contre la mort… Mais c’est aussi rêver.” Dans cette courte phrase relevée dans son dernier ouvrage “Lettre à L’autre” (éd. Michel de Maule), l’artiste peintre Colette Bitker a ramassé en peu de mots ce qui la constitue, et la fait avancer et s’interroger. Une mise à nu subliminale entre textes en fragments et dessins de femmes le plus souvent dénudées qui s’adresse à un autre, à cet inconnu à la consistance énigmatique, un “Monsieur” connu d’elle seule, apprivoisé par sa solitude infinie face à l’œuvre. Un Autre sublime et parfait qui s’offre en miroir de son âme créatrice. Un amour profond et vivifiant, coloré et doux, pour cet Autre qui la guide sur son chemin pictural. Un livre poétique, beau à regarder et à lire, qui pousse à la rêverie des émois et à la nonchalance du corps. Sensuel et nostalgique.

« On t’appelle Vénus », une ode à la féminité sans frontière

Temps de lecture : 3 min THÉÂTRE & CO
Chantal Loïal a emporté tous les suffrages émus d’une salle comble au Conservatoire du XIIIe arrondissement de Paris qui organise depuis dix ans une rencontre pluridisciplinaire de danse appelée “Histoire d’elles”, sous l’impulsion de la mairie. La danseuse et chorégraphe s’est produite dans le cadre de la Semaine internationale des droits de la femme, le 10 mars dernier. Le solo de cette Guadeloupéenne engagée évoque l’ombre flamboyante d’une femme martyre déchirée par l’obscurantisme scientifique du XVIIIe siècle. Son personnage, la Vénus hottentote aux courbes prononcées. Son récit, le destin tragique de cette femme callipyge, Saartjie Baartman (1789-1815) arrachée de son pays (Afrique du Sud) pour être livrée à la curiosité malsaine et aux appétits scientifiques de l’Europe.

« Le Génie du vin », un cru sorti de derrière les fagots !

Temps de lecture : 2 min THÉÂTRE & CO
Au théâtre du Gymnase Marie Bell se joue un “wine woman show” chaleureux, généreux et effervescent. Le Génie du vin est une comédie imaginée sous le signe de Bacchus, par l’artiste Sylvie Malys et le metteur en scène Michel Thibaud. Sylvie Malys, seule en scène, s’impose en hôtesse des lieux, la crinière flamboyante, la lèvre boudeuse, les yeux malicieux, la robe rouge écarlate qui agrippe le regard. La scène dans un chai. Le ton capiteux. Les gestes infatigables. La comédienne exaltée campe trois femmes, outrées au burlesque, sans s’emmêler les ceps de vigne. Une farce viticole d’origine contrôlée originale, bourrée de jeux de mots vinaires, qui excite d’abord les papilles du public, avant de le conduire à l’ivresse des arômes dans le bar à vin du coin avec une dégustation de vins d’Alsace offerte par la cave de Turckheim. Crémant de dieu !

« Un fils parfait », Mathieu Ménégaux

Temps de lecture : 2 min CHRONIQUE
La perfection n’est pas de ce monde. Dans son deuxième roman inspiré de faits réels, “Un fils parfait”, Mathieu Ménégaux le grave au coin de l’éloquence dramatique qu’il sait instiller dans ses histoires. Après “Je me suis tue”, ce nouveau roman prête encore sa voix à une femme. Cette fois-ci, cette femme est comblée. Elle a un mari aimant et brillant, deux petites filles adorables et une carrière qui prend son essor. Son Paradis sur terre va pourtant s’engloutir dans les entrailles de l’Enfer lorsqu’une de ses filles lui confie qu’elle a peur du loup quand elle s’absente pour son travail. Le loup, c’est le père. Un père qui abuse de l’affection de ses filles. “Un fils parfait” est le témoignage poignant de cette femme qui confie sa version du drame à sa belle-mère dont le fils unique a toute l’apparence du fils parfait.

« La langue oubliée de Dieu », Saïd Ghazal

Temps de lecture : 3 min CHRONIQUE
Il est des livres qui tonitruent dans la tête sans discontinuer. Même après le mot fin. Au point de vouloir en rependre la lecture pour s’immoler encore, cette fois-ci volontairement, en toute connaissance de cause. Après avoir apprivoisé le style, quel plaisir de se laisser porter, page après page, vers cette douce mort de l’essence des mots ! “La langue oubliée de Dieu” fait partie des livres à part, un ovni littéraire qui vient repousser les frontières des mots. L’auteur Saïd Ghazal leur étrille la peau, les éventre, les dépèce, les étire au rouleau compresseur pour ensuite les faire siens, vierges de sens. Il leur offre une nouvelle vie sous sa plume poétiquement réaliste, qu’il trempe à l’encrier de sa mémoire ensanglantée. L’auteur a mal à ses ancêtres syriaques, chassés par les massacres des Turcs et exilés au Liban. Son travail de mémoire, telle une psychothérapie, se colore de la fiction pour s’extraire d’une éventuelle pudeur censoriale. Entre ses doigts patients, l’indicible douleur se débarricade du silence pour s’épancher dans le réconfort d’un confessionnal saturé de mots absous.

« Mascarades », pour vaincre la solitude !

Temps de lecture : 3 min THÉÂTRE & CO
La pièce “Mascarades”, qui se joue au théâtre Galabru, se distingue par les thèmes abordés, réalistes et toujours d’actualité : la vieillesse solitaire et le poids du mensonge dans une existence. Sur ce sujet ambitieux et lourd de sens, l’écriture ciselée et enlevée de la jeune Marina Gauthier, attisant le froid et le chaud, frappe par sa maturité. Performance à relever, “Mascarades” étant sa première pièce ! Le cadencement entre comédie et drame, qui alterne rires et émotions, ajoute à la puissance du propos narratif. Si l’humour grinçant domine dans ce huis clos intense, venant atténuer les répliques corrosives, la légèreté de la jeunesse et sa joie invasive soufflent sur la scène un vent d’espérance en l’âme humaine. La confrontation passé/présent de deux anciennes amies (Roselyne Geslot et Lydie Rigaud) est explosive et touchante. Et laisse le public pantois devant l’enchaînement des répliques qui se précipitent, inéluctablement, vers le drame final… Quoique !

« Les Harmoniques », Gérald Tenenbaum

Temps de lecture : 2 min CHRONIQUE
Avec “Les harmoniques” (éd. l’Aube), l’auteur et mathématicien Gérald Tenenbaum transporte la rêverie dans un voyage immobile qui enjambe les années et les lieux au gré des rencontres de deux couples d’amis qui vont et viennent dans le récit au rythme d’un océan soumis au flux et au reflux du hasard. Keïla, Belen, Pierre et Samuel forment un carré de personnages touchants qui interagissent en miroir, s’additionnant et se divisant par le jeu du destin. S’invite également dans l’équation une belle inconnue, l’amour. Un amour si éperdu que “la texture du temps s’en trouve incurvée”. Un pur amour que l’histoire d’un pays va s’ingénier à dissoudre dans un temps figé, dont la texture va s’en trouver rectifiée à jamais. Tant qu’un drame familial ne trouve pas sa résolution, c’est tout le pouvoir d’attraction de l’amour qui est annihilé.

« L’aigle à deux têtes », l’essor des cœurs mêlés

Temps de lecture : 3 min THÉÂTRE & CO
“L’aigle à deux têtes” est un drame historico-fantastique de Jean Cocteau qui a été joué pour la première fois au théâtre en 1946. Touché par la volonté farouche des personnages à rester maîtres de leur destin, le metteur en scène Issame Chayle, assisté d’Aurélie Augier, propose un nouvel écho passionné à cette pièce peu connue qui rend hommage à un texte nerveux et lyrique. Pour cette œuvre inspirée des drames de la maison d’Autriche de la fin du XIXe siècle, le théâtre du Ranelagh était l’écrin idéal. Les magnifiques boiseries se prêtent aux envolées tragiques, et les lourdes tentures rouge sang au drame qui se tisse avec le fil du souvenir d’un fantôme. Delphine Depardieu et Alexis Moncorgé y campent une reine “anarchiste” grave et mystérieuse et un anarchiste “royal” vibrant de haine et d’amour. Des acteurs superbes qui sont portés par leurs personnages au tempérament vif qui se confrontent, s’aiment, se manipulent pour une fin délibérée… hors d’une destinée tracée.

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