« L’aigle à deux têtes », l’essor des cœurs mêlés

Temps de lecture : 3 min

 

THÉÂTRE & CO 

Avis de PrestaPlume ♥♥♥

L’aigle à deux têtes” est un drame historico-fantastique de Jean Cocteau qui a été joué pour la première fois au théâtre en 1946. Touché par la volonté farouche des personnages à rester maîtres de leur destin, le metteur en scène Issame Chayle, assisté d’Aurélie Augier, propose un nouvel écho passionné à cette pièce peu connue qui rend hommage à un texte nerveux et lyrique. Pour cette œuvre inspirée des drames de la maison d’Autriche de la fin du XIXe siècle, le théâtre du Ranelagh était l’écrin idéal. Les magnifiques boiseries se prêtent aux envolées tragiques, et les lourdes tentures rouge sang au drame qui se tisse avec le fil du souvenir d’un fantôme. Delphine Depardieu et Alexis Moncorgé y campent une reine “anarchiste” grave et mystérieuse et un anarchiste “royal” vibrant de haine et d’amour. Des acteurs superbes qui sont portés par leurs personnages au tempérament vif qui se confrontent, s’aiment, se manipulent pour une fin délibérée… hors d’une destinée tracée.

Une jeune reine d’un pays imaginaire s’est retirée de la cour depuis l’assassinat de son époux Frédéric au matin de leurs noces. Inconsolable, elle vit recluse depuis dix ans dans ses châteaux, à l’abri des intrigues et dans le souvenir exacerbé d’un amour avorté. Elle soustrait son visage à la curiosité de ceux qui l’approchent, ne consentant à retirer sa voilette que devant Édith de Berg, sa lectrice. Bien qu’éplorée, elle n’est pas dupe de la véritable mission de cette femme qui l’espionne pour le compte de l’Archiduchesse. Cette dernière gère le pays d’un cœur inflexible et entend ne pas partager le trône. Ce fragile équilibre du pouvoir chancelle quand, le jour de l’anniversaire de la mort du Roi, un inconnu surgit dans la chambre de la Reine, blessé, poursuivi par la police du royaume. C’est un poète anarchiste. Il est venu tuer celle que le peuple exècre, persuadé qu’elle est la cause de tous ses maux. Seulement, le terroriste est le sosie du roi défunt ! Serait-ce un signe ?

La sobriété de la chambre de la reine offre une surprenante caisse de résonnance à l’orage qui gronde au-dessus du château et dans les cœurs. Le drame étend sa toile, avec méthode et minutie. Les instruments de la machination s’affûtent à la pierre de la trahison, de la rancœur et de l’ambition. La Reine et Stanislas se jaugent, se heurtent, se découvrent, se plaisent. C’est l’amour fou, qui prétend faire fi de la raison d’État. Au mépris de sa sécurité, le poète s’évertue à tirer la Reine des griffes des ténèbres pour la ramener à la vie et aux commandes du pays. La Reine le manipule pour qu’il accomplisse son bien sombre dessein, et ainsi la libérer d’une vie sans attrait.

C’est un combat intense et tumultueux qui se joue dans l’arène du désespoir, terreau fertile à tous les excès passionnels. Delphine Depardieu et Alexis Moncorgé incarnent avec conviction des personnages dignes de la mythologie grecque louvoyant entre la fatalité du destin et le libre arbitre. Les caractères sont entiers, emportés dans la colère, enflammés dans les sentiments. Le Comte (François Nimbot), suppôt de l’Archiduchesse, illumine d’un soleil noir sa présence inquiétante. Un regard, un mot, un geste, et c’est un orage lourd de menaces qui continue à gronder et qui est nourri par sa complice, Édith de Berg (Salomé Villiers). Quant au loyal domestique (Julien Urrutia), qui voue un amour respectueux à la Reine, il assiste impuissant au piège qui se referme sur elle. N’y aura-t-il personne pour la sauver ? La bonne question est de savoir si elle le désire !

©Photos Ben Dumas


« L’Aigle à deux têtes », de Jean Cocteau.
Mise en scène de Issame Chayle, assisté d’Aurélie Augier.
Avec Delphine Depardieu, Alexis Moncorgé, François Nambot, Julien Urrutia, Salomé Villiers.
Scénographie et Costumes : Muriel Delamotte
Lumière :  Denis Koransky
Musique : Jules Poucet

Du mercredi au samedi à 20h45 + dimanche 17h. Supplémentaire à 17h : samedi 18 mars. Supplémentaires à 19h : mardi 21 février et vendredi 10 mars. Supplémentaires à 20h45 : lundi 13, 20 et 27 mars.
Au Théâtre du Ranelagh, 5 rue des vignes – 75016 Paris.

Durée : 1 h40

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