« Zaï Zaï Zaï Zaï », une adaptation de la BD qui a du corps et de l’esprit

Salut Zaï haï haï zaï

Temps de lecture : 3 min THÉÂTRE & CO
De l’absurde, en voici, en voilà. Du second degré par brassées. Du détournement par ricochets. À La Comédie de Paris, la lecture incarnée de la BD de Fabcaro est un festival d’inventivité et de réjouissance. Avant d’être un objet théâtral réinventé, « Zaï Zaï Zaï Zaï » est une bande dessinée parue en 2015, aux éditions 6 Pieds sous terre. Dans son succès de librairie, Fabcaro scrute à la loupe déformante et grossissante le comportement de ses contemporains face à un fait divers improbable, qui divise et fait réagir avec fièvre la société dans sa diversité (famille, médias, police, voisinage…). Il y transpose l’essentiel des travers en quelques traits, donnant à sa tragicomédie une dimension démente. Une folie qui se complaît dans une réalité parallèle où l’échelle des valeurs a pris un sérieux coup dans l’aile. C’est l’histoire d’un mec qui s’aperçoit à la caisse d’un supermarché qu’il a oublié sa carte de fidélité. Il n’y a pas de quoi en faire un plat, penserez-vous ! Sauf que, dans cette société-là, c’est un grave délit passible d’emprisonnement. Notre anti-héros distrait choisit la fuite lorsque la caissière appelle le vigile. C’est ce périple burlesque qui a tout d’une satire sociale aussi saignante qu’hilarante que Nicolas Charlet (alias Nicolas) et Bruno Lavaine (alias Bruno) adapte sur scène à grand renfort de bruitage, de voix, de chansons et de bandes originales de Mathias Fédou. La soirée s’annonçait originale et joyeuse. Promesses tenues !

« La Malédiction de Rocalbes », Philippe Grandcoing (éd. De Borée)

Livre La malédiction de Rocalbes

Temps de lecture : 3 min LITTERATURE
Dans ce cinquième tome de la série consacrée aux enquêtes d’Hippolyte Salvignac, Philippe Grandcoing nous entraîne dans une région qui fait pétiller les yeux et les papilles : le Périgord. Dans « La malédiction de Rocalbes » (éd. de Borée), Rocalbes est un château surplombant la vallée de la Vézère, proche des Eyzies, capitale mondiale de la préhistoire. Le père de notre antiquaire enquêteur, notaire à la retraite, s’est mis en tête d’acheter pour son fils ce château et les fermes attenantes. Lors d’un voyage de reconnaissance sur les lieux, le père, le fils et sa compagne, l’impulsive et l’affriolante Léopoldine, accompagnés du cousin du père, vont être confrontés à des tentatives d’intimidation pour abandonner l’idée de l’achat. Réputé hanté et recelant un trésor, le château intéresserait-il au point de tuer ? À moins qu’une autre raison explique les multiples assassinats dans les chantiers de fouille. En ce printemps 1910, à l’époque où les trouvailles archéologiques foisonnent, la région est un carrefour obligé pour les chercheurs de fortune ou de renommée. L’on vient des quatre coins du monde pour se tailler la part du lion. À l’image de la ruée vers l’or en Amérique, c’est la loi du plus belliqueux, du plus fourbe, du plus vaniteux, qui prédomine. De là à imaginer un remake d’Ok Corral, il n’y a qu’un pas que franchit allégrement l’auteur… qui vient abreuver notre soif d’aventures.

“Mademoiselle”, une comédie de mœurs grand cru bourgeois

Mademoiselle, comédie de Jacques Deva

Temps de lecture : 3 min THÉÂTRE & CO
Dramaturge du milieu du XXe siècle (1890-1972), Jacques Deval est aujourd’hui quelque peu oublié. Pourtant, ses comédies de mœurs ne manquent pas d’esprit ni de piquant. Écrite en 1932 et plus jouée depuis 1981, « Mademoiselle » est une comédie corrosive et légère qui dépeint la famille bourgeoise par excellence, à l’entre-deux-guerres. Représentatifs d’une époque et d’une condition sociale aisée, les Galvoisier sont des parents aimants, mais négligents. La mère est affairée à ses invitations à dîner et court après la chimère de sa jeunesse. Le père avocat est par monts et par vaux à plaider en province. Leur fils, blagueur et inconséquent, est un joueur chronique. Leur fille, Christiane, non encore majeure, a soif de liberté. Quand sa mère lui annonce qu’elle a engagé une nouvelle gouvernante, la précédente ayant été congédiée, elle est catastrophée. D’autant qu’elle vient d’apprendre qu’elle est enceinte de trois mois. Un souvenir bien encombrant des vacances à la Baule. Mais elle l’est davantage lorsqu’elle rencontre « Mademoiselle », une femme austère à la morale inflexible qu’il lui sera difficile à duper. Contre toute attente, Mademoiselle sera sa meilleure alliée. Un pacte implicite que le Diable n’aurait pas mieux proposé. Christiane en perdra-t-elle son âme, après sa virginité ? Bah ! Tant que les apparences sont sauves… A découvrir jusqu’au 11 mai 2022 au théâtre Montmartre-Galabru.

Critique – “Pour rien au monde”, Ken Follett (Robert Laffont)

Couverture Pour rien au monde Ken Follett Edition Robert Laffont

Temps de lecture : 3 min LITTERATURE
Pour rien au monde l’escalade. Pour rien au monde une troisième guerre mondiale. Pour rien au monde la fin du monde. Faire paraître un roman de géopolitique fiction quelques mois avant l’invasion russe en Ukraine relève d’une coïncidence extraordinaire ou d’une prémonition qui ne l’est pas moins. « Pour rien au monde » (éd. Robert Laffont) est une projection dans un futur rapproché. Si proche avec l’actualité qu’il en devient un présent fantasmé. Avec ses nombreux personnages, Ken Follett nous embarque dans une aventure, folle, rythmée, intense, risquée. Avec lui, nous parcourons les quatre coins d’une planète qui n’a l’air ni plus ni moins malade qu’aujourd’hui, mais dont la maladie est dans l’air du temps. Il nous immisce dans les secrets des alcôves gouvernementales, des états-majors, des théâtres d’opération militaire, de la diplomatie, du renseignement et des réseaux d’espionnage luttant contre le terrorisme. Tous les ingrédients sont convoqués pour faire de ce récit apocalyptique un roman passionnant.

“Berlin, Berlin”, Le Mur de la dérision

Temps de lecture : 3 min THÉÂTRE & CO
Faire rire de la Guerre froide, de la Stasi, du Mur de Berlin est un joyeux fait d’armes des deux compères d’écriture, Patrick Haudecœur et Gérald Sibleyras. Après l’extravagante comédie « Silence, on tourne ! », les deux auteurs se liguent une nouvelle fois contre la morosité et l’austérité au théâtre Fontaine avec « Berlin Berlin ». Leur cible est de choix puisque nous voici immergés au cœur d’une intrigue rocambolesque et loufoque à Berlin Est. C’est l’histoire d’un couple d’amoureux, Emma et Ludwig, qui cherchent à s’enfuir pour se marier à l’Ouest. La jeune femme a réussi à se faire embaucher comme aide-soignante chez Werner Hofmann pour s’occuper de sa mère grabataire. Pour elle, l’appartement est d’un précieux intérêt, car le passage secret dissimulé derrière la bibliothèque mène au Mur tout proche…

“Les Incorrigibles”, Patrice Quélard (éd. Plon)

Roman Les Incorrigibles

Temps de lecture : 3 min CRITIQUE LITTÉRAIRE
À travers une enquête criminelle dans les tranchées, l’auteur Patrice Quélard avait abordé dans son premier opus « Place aux immortels » un aspect méconnu de la Guerre 14-18 : le rôle et le quotidien des gendarmes. Nous avions fait la connaissance du lieutenant Léon Cognard, un homme sanguin à la poigne humaniste et à l’humour caustique. « Les Incorrigibles » (éd. Plon) entraîne ce personnage haut en originalité en Guyane française, en 1919. Affecté par les horreurs de la guerre, il aspire à une retraite dans un endroit reculé. Son choix n’est pas anodin, car il a une obsession : sauver le bagnard Marcel Talhouarn, condamné à vingt ans de travaux forcés par une succession… de malchances. À l’appui d’une documentation riche et de témoignages littéraires, Patrice Quélard nous plonge dans l’univers effroyable des bagnes coloniaux, celui de Biribi en Algérie, puis de Cayenne en Guyane française. Là, le régime n’est pas à l’eau ni au pain sec, il est aux sévices corporels et psychologiques. L’auteur nous met face à ce genre d’hommes qui, doués de sauvagerie primitive, savent la raviver quand la bride civile est lâchée. Leur haleine puante de haine et de rage nous laisse haletants. Par bonheur, cette suffocation émotionnelle est tempérée par une écriture qui se coule dans la limpidité et l’intemporalité. L’humanisme indigné de Léon Cognard est aussi un contrepoids salvateur à l’ignominie du système carcéral qui corrompt tout et (presque) tous, des matons à la plus haute hiérarchie.

Critique de “Un grand serviteur”, Dimitris Sotakis (♥♥♥♥)

Critique Un grand serviteur prestaplume

Temps de lecture : 3 min LITTERATURE
Lire Dimitris Sotakis revient à s’immerger dans un ailleurs étrange et intrigant, une conscience démultipliée qui s’égare dans un labyrinthe. Dans « Un grand serviteur » (éd. Intervalles), l’auteur file l’absurdité d’une relation toxique en miroir jusqu’à une fin… logique, même si décalée. La trame est un rapport de force entre deux hommes qui s’inverse. Le premier est un patron aisé qui se montre de plus en plus autoritaire et exigeant face à un serviteur qui coche toutes les cases de la perfection. Ce serviteur s’appelle Marios, il lui ressemble fortement, laissant supposer que les deux hommes sont frères. Il est soumis, discret, taiseux, reconnaissant même. Peu à peu, par peur, le premier délèguera des pans de sa vie au second. Dans un style vif et direct, Dimitris Sotakis crée dès les premières pages une atmosphère inquiétante, dérangeante. On s’attend à l’analyse introspective d’une soumission à un tiers maltraitant. Mais il y a plus, il y a mieux, il y a une permutation des situations jusqu’au-boutisme. Le glissement s’opère à petits traits, inexorables, implacables. Pour qui est la descente aux enfers ? Le lecteur doit se rendre à l’évidence : sa déduction est prise à revers. Il doit reconnaître sa défaite face à une fin qui tranche net tout espoir. Quoi que… Et c’est là toute la jubilation de ce roman habilement construit.

Famille Hamet(t), dans les coulisses d’une transmission artistique

Lui haret et Rosalie Hamet

Temps de lecture : 5 min ARTICLE
Pour Luq Hamett, maintenant que Rosalie « est » le personnage et qu’elle a été acceptée par l’équipe, il ne voit aucun nuage au-dessus du théâtre d’Edgar. Sa mère non plus : « Je l’ai élevée en lui disant que les femmes ne sont pas des petites choses fragiles et que ses émotions étaient son trésor. Elle sait qu’elle pourra toujours compter sur mon soutien si elle en a besoin. » Les parents espèrent juste qu’elle saura saisir les occasions et interpréter les signes qui passeront à sa portée. « J’en ai connu des comédiens, pourtant excellents, qui n’ont pas fait carrière parce qu’ils ont refusé “le rôle” qui les aurait pourtant rendus célèbres », remarque Luq Hamett, circonspect. C’est le destin, mais aussi l’instinct. Pour l’instant, Rosalie Hamet ne boude pas son plaisir d’être sur les planches. « À partir du jour où j’ai posé le pied sur scène, j’ai trouvé une énergie dont j’ignorais tout. Celle que les spectateurs me donnent. Je n’ai pas très envie de les quitter ». Pourtant, la jeune comédienne prépare pour 2023 le Conservatoire national d’art dramatique, ce qui l’empêchera, si elle est reçue, de travailler ailleurs. Un choix cornélien qu’elle envisage avec philosophie : si elle est acceptée, ce sera très bien ; si elle est refusée, ce sera aussi très bien. Pourvu qu’elle apprenne, pourvu qu’elle vive le théâtre !

Critique de « Les mots d’Électre » : une tragi-comédie moderne et captivante (♥♥♥♥♥)

Les mots d'Electre théâtre de l'Atelier

Temps de lecture : 3 min THÉÂTRE & CO
Faut-il choisir entre la résonance funeste des mots tus et leur verbalisation dévastatrice ? Si tant est qu’on ait le choix ! Si tant est qu’on puisse les dire ! Les mots sont ravageurs, parfois tueurs, à petit feu ou à boulet rouge. La pièce tragi-comique « Les mots d’Electre » (au Théâtre de l’Atelier, à Paris), montée par La compagnie hors du temps, en est un magistral exemple. Ces mots sont ceux d’Électre qui trame pour que la vérité fût, quitte à provoquer un cataclysme, et qui diffuse sa haine contre une mère manipulatrice. Ce sont ceux d’Oreste qu’il oppose à sa sœur pour la convaincre de renoncer à sa vindicte et, ainsi, éviter d’être son bras vengeur. Ponctuant ce duel fraternel, un autre langage s’intercale, fade, euphémique, trompeur. Celui du langage stéréotypé du corps médical, de l’Église, de la politique. Fourbisseur hors pair d’éléments de langage, Oreste écrit des discours prêt-à-porter, sans chair ni consistance. À l’écouter, les promesses non tenues ne seraient pas des mensonges. À croire le Diacre, il faudrait prier, faute de comprendre. On se raconte bien des histoires pour ne pas les entendre, ces mots qui disent la vérité, qui font mal, mais qui portent en eux la délivrance, la renaissance… Que de mots, que de mots, me direz-vous ! Mais ceux de La compagnie hors du temps nous élèvent autant qu’ils nous réjouissent.

Critique sur “Moi aussi, j’ai vécu”, tendresse au panthéon des souvenirs (Coup de cœur)

Temps de lecture : 4 min THÉÂTRE & CO
Sur la scène de la salle Jean-Topor, au théâtre du Rond-Point, un homme se livre. À moins que ce soit la part de l’enfant qui n’a pas grandi. De son livre autofictionnel éponyme, « Moi aussi, j’ai vécu » (éd. Flammarion), Hélios Azoulay a tiré un seul-en-scène poétique, tendre, bouleversant, captivant. Accompagné dans cette écriture par le metteur en scène Steve Suissa, l’humoriste-romancier nous conte le clair-obscur de ses tourments à travers une narration où l’imaginaire et la fantaisie se taillent la part belle. Ce compositeur et clarinettiste, également directeur de l’Ensemble de Musique Incidentale, nourrit ses propres sonorités intérieures qu’il nous transmet, sous l’empire d’une désarmante extravagance. Ainsi, le comédien relate ses retrouvailles avec son père, mort trente-cinq ans plus tôt, en Inde. Chaque fois, il le perd et le retrouve lorsque celui-ci se rend aux toilettes, comme si c’était le passage le plus direct pour rejoindre l’Eden des nostalgiques fantômes. Ce scénario aux étranges tonalités du souvenir réincarné est le prétexte souverain pour le comédien de défricher le chemin de son enfance, qu’il dit éclatée. Ainsi se réconcilie-t-il avec ses douleurs, son manque et ses failles. Ce retour en arrière porté tant par les mots que par les notes de musique lui est nécessaire pour crier à la face du monde, et donc de lui-même, que, lui aussi, il a vécu. Malgré tout.

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