“Mademoiselle”, une comédie de mœurs grand cru bourgeois

Temps de lecture : 3 min

♥♥♥

Une comédie corrosive et légère

Dramaturge du milieu du XXe siècle (1890-1972), Jacques Deval est aujourd’hui quelque peu oublié. Pourtant, ses comédies de mœurs ne manquent pas d’esprit ni de piquant. Écrite en 1932 et plus jouée depuis 1981, « Mademoiselle » est une comédie corrosive et légère qui dépeint la famille bourgeoise par excellence, à l’entre-deux-guerres. Représentatifs d’une époque et d’une condition sociale aisée, les Galvoisier sont des parents aimants, mais négligents. La mère est affairée à ses invitations à dîner et court après la chimère de sa jeunesse. Le père avocat est par monts et par vaux à plaider en province. Leur fils, blagueur et inconséquent, est un joueur chronique. Leur fille, Christiane, non encore majeure, a soif de liberté. Quand sa mère lui annonce qu’elle a engagé une nouvelle gouvernante, la précédente ayant été congédiée, elle est catastrophée. D’autant qu’elle vient d’apprendre qu’elle est enceinte de trois mois. Un souvenir bien encombrant des vacances à la Baule. Mais elle l’est davantage lorsqu’elle rencontre « Mademoiselle », une femme austère à la morale inflexible qu’il lui sera difficile à duper. Contre toute attente, Mademoiselle sera sa meilleure alliée. Un pacte implicite que le Diable n’aurait pas mieux proposé. Christiane en perdra-t-elle son âme, après sa virginité ? Bah ! Tant que les apparences sont sauves… A découvrir jusqu’au 11 mai 2022 au théâtre Montmartre-Galabru.

Les réparties sont pétillantes et drôles

La compagnie « L’étoffe des songes » a été bien inspirée de remonter cette pièce au charme suranné, mais au drame vieux comme le monde. Cette grossesse non voulue, qui jettera l’opprobre sur la famille si elle était divulguée, n’est qu’un argument pour dénoncer le carcan des « bonnes » mœurs, auxquelles la moindre entorse entachait la famille… à jamais. N’ayons pas peur des mots. Les réparties sont pétillantes et drôles, même les remarques acerbes de Mademoiselle, de bon sens mais vachardes. Cette pièce est entraînante par ses urgences qui s’entrechoquent. L’urgence des parents non organisés, qui courent après leur temps propre, survolant l’autre sans vraiment s’arrêter. Cette superficialité ostentatoire les empêchant de voir combien souffre leur fille. L’urgence de Christiane aussi, qui s’arrondit de semaine en semaine et que le désespoir pousse à se souhaiter l’irréparable. La mise en scène de Brigitte Perrier respecte cette balance entre les urgences qui n’emportent pas la même valeur émotionnelle. Ce hiatus scénique suscite un rythme ternaire narratif (trois actes, trois temps, trois émotions). Mais c’est un leurre, puisque l’histoire nous ramène au point zéro, après avoir terminé sa boucle de péripéties. À une situation ante, où légèreté et futilité régnaient avec despotisme sur toute la famille.

Une agréable immersion en vase clos

Mademoiselle de Jacques Deval, avec Brigitte Perrier,

Surhaussée par des costumes et un décor aux couleurs tendres de l’époque, et par une écriture soignée et drôle, la pièce est une agréable immersion en vase clos. Les comédiens qui ne ménagent pas leur personnage nous attachent davantage à leur vie. Brigitte Perrier est une Mme Galvoisier évaporée, dont l’attention, trop centrée sur elle-même, glisse sur les membres de sa famille. Elle la rend pourtant attachante, car exempte d’une once de malice. Philippe Le Gars interprète avec une délicieuse affectation un mari au grand cœur qui trime pour assurer les folies dépensières de sa femme et de son fils. Corinne Isabelle campe avec réalisme une gouvernante sévère, à la morale pointue, aux phrases abruptes, mais qui s’émeut à l’idée qu’elle « pourrait bientôt serrer dans ses bras un petit enfant », elle qui n’a connu ni homme ni maternité. Ce revirement de personnalité est parfaitement bien retranscrit en nuances et finesse. Elle forme avec la jeune Maxime Lior Windisch un duo d’émotions qui retient l’attention. La comédienne compose avec conviction une Christiane ambivalente, tiraillée, exprimant à la fois l’innocence de la jeunesse et une maturité contrainte. Les personnages secondaires n’en sont pas moins essentiels à la dynamique et à la drôlerie de la pièce. Citons Alexandre Mesner (le fils joueur), Paul-Henri Blot (le frère malchanceux de Mademoiselle) Philippe Sablayrolles (le valet qui se rebiffe) et Nathalie Berger (la soubrette tout en fébrilité). Un ensemble cohérent et homogène au ton juste qui fait passer un excellent moment. En dehors du temps.

Nathalie Gendreau
©Nathalie Gendreau


affiche mademoiselle comédie de Jacques devalDistribution
Avec : Corinne ISABELLE, Philippe LE GARS, Brigitte PERRIER, Maxime LIOR WINDISCH, Alexandre MESNER, Paul-Henri BLOT, Philippe SABLAYROLLES, Nathalie BERGER

Créateurs
Auteur : Jacques DEVAL
Metteure en scène : Brigitte PERRIER

La Compagnie L’Étoffe des Songes 
 
 

Tous les mercredis à 21 h 30 jusqu’au 11 mai 2022.

Au théâtre Montmartre-Galabru, 4 rue de l’Armée d’Orient, Paris XVIIIe.

Durée : 1 h 30


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