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L’essentiel des travers en quelques traits
De l’absurde, en voici, en voilà. Du second degré par brassées. Du détournement par ricochets. À La Comédie de Paris, la lecture incarnée de la BD de Fabcaro est un festival d’inventivité et de réjouissance. Avant d’être un objet théâtral réinventé, « Zaï Zaï Zaï Zaï » est une bande dessinée parue en 2015, aux éditions 6 Pieds sous terre. Dans son succès de librairie, Fabcaro scrute à la loupe déformante et grossissante le comportement de ses contemporains face à un fait divers improbable, qui divise et fait réagir avec fièvre la société dans sa diversité (famille, médias, police, voisinage…). Il y transpose l’essentiel des travers en quelques traits, donnant à sa tragicomédie une dimension démente. Une folie qui se complaît dans une réalité parallèle où l’échelle des valeurs a pris un sérieux coup dans l’aile. C’est l’histoire d’un mec qui s’aperçoit à la caisse d’un supermarché qu’il a oublié sa carte de fidélité. Il n’y a pas de quoi en faire un plat, penserez-vous ! Sauf que, dans cette société-là, c’est un grave délit passible d’emprisonnement. Notre anti-héros distrait choisit la fuite lorsque la caissière appelle le vigile. C’est ce périple burlesque qui a tout d’une satire sociale aussi saignante qu’hilarante que Nicolas Charlet (alias Nicolas) et Bruno Lavaine (alias Bruno) adapte sur scène à grand renfort de bruitage, de voix, de chansons et de bandes originales de Mathias Fédou. La soirée s’annonçait originale et joyeuse. Promesses tenues !
Les maîtres du détournement
Créée en septembre 2019 par le Forum des images qui lançait son festival Bédérama, « Zaï Zaï Zaï Zaï » a été un succès tel que la Comédie de Paris a décidé de programmer cette adaptation en forme de lecture vivante. Aux manettes devant leur table de mixage/bruitage, le duo choc Nicolas & Bruno. Le couple vocal, créateur notamment de “Message à caractère informatif” sur Canal+ dans l’émission Nulle part ailleurs, sont les maîtres du détournement. À la fois réalisateurs, dialoguistes, scénaristes, metteurs en scène et comédiens de doublage, ces artistes aux talents protéiformes fourbissent leurs mots et leurs sens depuis les années 1990. Leur tournure d’esprit les rend incisifs, insensés, décalés, jusqu’à l’absurde. Dans « Zaï Zaï Zaï Zaï », ils donnent voix à tous les personnages de la bande dessinée, jouant avec le timbre, l’accent, l’inflexion, entre soupirs et grognements. En support narratif, le musicien Mathias Fédou les accompagne au piano et à la guitare avec énergie et sensibilité, comme le faisait jadis le pianiste pour les films muets. Discret et indispensable.
Une bonne humeur contagieuse
Avec cette lecture incarnée, les cases de BD affichées à l’écran ricochent sur les vagues d’une bonne humeur contagieuse avec des figures de style à ressorts. Par ressorts, je ne fais pas allusion à la prise imparable dite « roulade arrière » des forces de l’ordre qui rate à tous les coups. Je parle plutôt des euphémismes propres à la langue de bois, les métaphores filées à mailles serrées et les hyperboles où se complaisent l’outrance et l’extravagance. Grâce au jeu hilarant, au rythme trépidant et aux effets sonores, Nicolas Charlet et Bruno Lavaine donnent corps à la plume acerbe et imagée de Fabcaro. Tout porte à rires, les gestes, les images, les voix, les bruitages, les chants, la musique, même les soupirs. L’alternance entre dialogues bavards et silences soutient le suspense. L’absurdité est aux trousses du coupable involontaire. Même aux fins fonds d’une région mal connectée, l’information circule, sinue entre les réseaux à l’image d’une rivière emportant le coupable dans son haut débit. À mi-chemin entre film et théâtre, ce délire littéraire se mue en un étrange road movie incarné sur scène. Le public est embarqué irrésistiblement dans ce récit fantasque dénonçant la bien-pensance, les failles de l’organisation sociale, les valeurs dévoyées. Des thèmes bien sérieux qui nous sont donnés à entendre avec humour et gaîté, mais surtout à voir et à ressentir. L’heure passe beaucoup trop vite, mais le sourire béat, lui, reste imprimé en plusieurs exemplaires.
Nathalie Gendreau
©Pascal Aimar
Distribution
Avec : Nicolas & Bruno
Créateurs
Auteur : d’après la BD de Fabcaro
Metteur en scène : Nicolas Charlet et Bruno Lavaine
Musique : Mathias Fédou
Bédé aux éditions : 6 Pieds Sous Terre.
Du mercredi au samedi à 21 heures, séance supplémentaire le samedi à 17 heures, jusqu’au 9 juillet 2022. En relâche du 4 au 7 mai 2022.
A la Comédie de Paris, 48 rue Fontaine, Paris IXe.
Durée : 1 h
Journaliste, biographe, auteure et critique culturel, je partage avec vous mes articles et avis. Si vous aimez, abonnez-vous !