Famille Hamet(t), dans les coulisses d’une transmission artistique

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Si, de nos jours, la transmission familiale des métiers est rare, il y a bien un domaine où la tradition perdure : l’art, et notamment le spectacle. Les Hamet(t) en sont un bel exemple. Leur fille Rosalie monte pour la première fois sur scène avec un Feydeau et joue avec son père. Mais comment être acceptée par la troupe ? Comment aplanir toutes les difficultés inhérentes à un travail « en famille » ? La tribu des Hamet(t) nous l’explique avec la passion qui les caractérise.

Luq Hamett et Emmanuelle Hamet
Luq Hamett et Emmanuelle Hamet

Dans le jeu des sept familles du spectacle, un nouveau patronyme s’ajoute à la liste  : celui des Hamet(t). On connaissait le père, Luq, pour avoir été respectivement humoriste, comédien, metteur en scène, directeur d’une société de production de tournées et, depuis 2014, directeur du théâtre Edgar à Paris, mais aussi doubleur. Jason Priestley (Brandon Walsh) dans Beverly Hills, c’est lui. Marty McFly (Michael J. Fox) dans Retour vers le futur, c’est encore lui. À ses côtés, la mère, Emmanuelle Hamet (avec un seul « t »), comédienne, voix off, artiste peintre, auteure d’un manuel de survie pour les mamans (Maman Organisée) et de comédies. On lui doit la création de « La croisière, ça use » et l’adaptation d’un Feydeau, « Ciel, ma belle-belle ! », actuellement au théâtre d’Edgar. C’est justement dans ce vaudeville burlesque que la fille, Rosalie, fait ses premières armes sur les planches, où elle revêt le costume d’une ingénue de vingt ans, vouée à être mariée à un barbon qui a le triple de son âge.

Seule Rosalie a été touchée par l’appel de la scène

Grandir avec des parents artistes peut constituer une voie royale pour une lignée désireuse d’emboîter leurs pas, mais ce chemin n’est pas systématique. Sur les trois enfants du couple, seule Rosalie a été touchée par l’appel de la scène, Léonard étant réalisateur et poète et Siméon ostréiculteur. « J’ai toujours eu envie d’être comédienne », se souvient-elle. À l’adolescence, elle entre à l’Aicom, une école de comédie musicale renommée, où elle apprend à chanter, à danser, à respirer, à jouer… à ressentir le théâtre. C’est le bonheur. Pourtant, elle choisit philo et droit, pensant que les métiers de l’art ne lui étaient pas forcément destinés. « À un moment, je me suis demandé si je voulais faire ce métier pour moi, et non pour faire comme papa et maman », raconte-t-elle. La Covid-19 aidant, sa bonne volonté et ses certitudes sont stoppées nettes, comme ses interactions sociales  : « Cet univers ne me convenait pas, d’autant qu’il nous était interdit de nous rencontrer entre étudiants. Il a fallu que je me perde sur ce chemin pour comprendre que l’artistique était mon monde et que j’avais envie de m’y plonger totalement. »

“Il n’y a pas de meilleure première fois que de jouer avec son père.

Rosalie Hamet et son père Luq Hamett

Tandis que le métier même d’artiste vacillait avec la crise sanitaire, avec la fougue de la jeunesse, Rosalie suit les cours de Jean-Bernard Feitussi (« Les enfants terribles »). Mais le virus contrecarre une nouvelle fois ses plans. L’école ferme au bout de quelques mois. Elle est alors acceptée à l’École Internationale Théâtre Beatrice Brou. « Là, c’est la révélation, poursuit-elle, tout sourire. J’étais désormais certaine de vouloir faire ce métier. Je me sentais à ma place ! » Un bonheur n’arrivant jamais seul, son père décide de reprendre la pièce « Ciel, ma belle-mère ! », fauchée en plein vol comme tant de spectacles en 2019. « Nous avons dû stopper l’exploitation le 14 mars, alors que c’était complet tous les soirs ! explique Luq Hamett. Mais, sur les sept comédiens, nous devions en remplacer trois, dont Valentine. » Au moment de choisir celle qui tiendrait ce rôle, c’est Emmanuelle Hamet qui glisse à sa fille l’idée qu’elle pourrait se porter volontaire. Pour Rosalie, c’était un cadeau du ciel. « Interpréter du Georges Feydeau pour une première pièce n’avait que des avantages ! Ainsi, j’allais apprendre à bouger mon corps, à avoir un rythme, à faire rire les gens, ce qui n’est pas si simple ! En plus, il n’y avait pas de meilleure première fois que de jouer avec son père. »

Rosalie Hamet apporte de la fraîcheur et du caractère à Valentine

Rosalie Hamet dans Ciel, ma belle-mère
Rosalie Hamet entre Gwénola De Luze et David Martin (Ciel, ma belle-mère)

Mais comment la troupe allait-elle réagir ? C’était délicat. Ni les parents ni leur fille ne souhaitaient imposer ce lien du sang. « J’ai l’habitude en tant que metteur en scène de prendre mes décisions seul, mais là je m’y refusais », précise Luq Hamett. Ainsi, à l’issue d’une audition, à laquelle trois candidates s’étaient présentées, les comédiens ont collégialement intégré Rosalie dans l’aventure, sans avoir eu recours à la complaisance familiale. « Au début, j’étais partagé, se rappelle-t-il, car ce personnage d’ingénue doit se marier avec Barillon, campé par David Martin. Je craignais que la trop grande différence d’âge soit un inconvénient. Mais, au contraire. La jeunesse de Rosalie lui permet de jouer le rôle, simplement. Elle n’a pas à composer l’âge, contrairement à la comédienne précédente qui avait la trentaine. Elle apporte ainsi de la fraîcheur et du caractère à Valentine, qui est effrontée et manipulatrice pour parvenir à ses fins  : épouser l’homme qu’elle aime. » Ce qui, au demeurant, était d’un modernisme audacieux au XIXe siècle !

Une connivence qui nourrit l’énergie du groupe

N’étant plus la fille de, mais une débutante adoptée par une troupe, Rosalie a trouvé immédiatement ses marques, avec l’assentiment de ses parents, et notamment de sa mère. « Si elle m’avait dit “je veux être coiffeuse”, j’aurais été rassurée, car il y a toujours du travail dans ce secteur, dit-elle. Mais j’aurais été terrifiée à l’idée de voir gâcher un tel talent. Rosalie capte la lumière comme le buvard l’encre. Elle est si vivante sur scène ! » Ainsi, c’est en toute confiance que la jeune fille est portée par le jeu de ses compagnons qui l’inspirent et lui permettent de prendre des initiatives. Après la représentation, chacun s’offre la possibilité de donner son avis, de rectifier, voire de s’opposer « en toute bienveillance ». Cette connivence nourrit l’énergie du groupe, qui ne forme qu’un tout pour prendre le pouls du public et le satisfaire. Pour préserver cette osmose, pendant la pièce, le père et la fille s’en tiennent à Luq et Rosalie. « Pour moi, sur scène, c’est un comédien, confie-t-elle. J’oublie totalement que je suis sa fille. Mais, comme c’est à la fois mon metteur en scène et mon père, j’ai deux attentes. Celle du premier ne me dérange pas, parce que c’est facile de bien travailler avec une bonne entente. En revanche, pour celle du second, c’est autre chose. Les sentiments entrent en ligne de compte. » Sa seule difficulté, admet-elle, en plaisantant, étant de garder son sérieux quand son père le perd sur scène.

Saisir les occasions et interpréter les signes

Pour Luq Hamett, maintenant que Rosalie « est » le personnage et qu’elle a été acceptée par l’équipe, il ne voit aucun nuage au-dessus du théâtre d’Edgar. Sa mère non plus  : « Je l’ai élevée en lui disant que les femmes ne sont pas des petites choses fragiles et que ses émotions étaient son trésor. Elle sait qu’elle pourra toujours compter sur mon soutien si elle en a besoin. » Les parents espèrent juste qu’elle saura saisir les occasions et interpréter les signes qui passeront à sa portée. « J’en ai connu des comédiens, pourtant excellents, qui n’ont pas fait carrière parce qu’ils ont refusé “le rôle” qui les aurait pourtant rendus célèbres », remarque Luq Hamett, circonspect. C’est le destin, mais aussi l’instinct. Pour l’instant, Rosalie Hamet ne boude pas son plaisir d’être sur les planches. « À partir du jour où j’ai posé le pied sur scène, j’ai trouvé une énergie dont j’ignorais tout. Celle que les spectateurs me donnent. Je n’ai pas très envie de les quitter ». Pourtant, la jeune comédienne prépare pour 2023 le Conservatoire national d’art dramatique, ce qui l’empêchera, si elle est reçue, de travailler ailleurs. Un choix cornélien qu’elle envisage avec philosophie  : si elle est acceptée, ce sera très bien ; si elle est refusée, ce sera aussi très bien. Pourvu qu’elle apprenne, pourvu qu’elle vive le théâtre !

Nathalie Gendreau
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