“Les Filles de la section Caméléon”, Martine Marie Muller

Temps de lecture : 3 min LITTERATURE
Un roman comme je les aime, mêlant l’histoire de l’humanité à celle des hommes qui la composent tout en abordant un aspect méconnu. « Les Filles de la section Caméléon » (Les Presses de la Cité), de Martine Marie Muller, nous transporte dans les coulisses de la guerre 14-18, vécues à travers le quotidien d’ouvrières, une communauté formée de veuves, d’orphelines, de filles-mères sans logis et d’une ribambelle d’enfants. Elles n’avaient pour toute richesse que leurs souffrances et leur courage. Elles deviendront expertes dans l’art du camouflage en intégrant la Section Caméléon sous la direction du peintre Lucien-Victor Guirand de Scévola, de décorateurs de théâtre et de l’illustrateur Joseph Pinchon (Bécassine). Chapitre de l’histoire peu connu, le camouflage militaire a sauvé nombre de soldats au front qui, pantalon garance et capote bleue, étaient des cibles de choix pour l’ennemi. Il a fallu toute l’ardeur et la ténacité du peintre Scévola pour faire accepter au haut commandement toute la valeur tactique de son invention face à l’hécatombe. Un roman passionnant, fouillé, documenté, s’attachant à la véracité des faits, même si quelques licences parsèment le récit ici ou là pour colorer la grande histoire des émotions, des sentiments, des valeurs constitutives de notre humanité. Un bel hommage qui fait passer un très bon moment.

“La domestication”, Nuno Gomes Garcia

Temps de lecture : 2 min LITTERATURE
Au risque de me fourvoyer dans un lieu commun, « La domestication » est un ovni littéraire, balançant entre l’expérimental et la réalité. Le troisième roman de Nuno Gomes Garcia (Editions iXe) joue dans la cour de l’anticipation sans y être vraiment. Il est résolument contemporain par les termes abordés, mais original par leur traitement. L’auteur imagine un monde inversé, où la femme l’emporte sur le masculin en tout, aussi bien dans le quotidien que sur la scène politique. Mais surtout dans le langage. L’auteur privilégie le pronom personnel féminin, une émasculation nette et sans bavure, dans les règles de l’art grammatical. Il imagine une société matriarcale en construction, après le Grand Fléau et l’avènement de la Nouvelle République. Dans cette société, les hommes sont éduqués à « L’Institut des maris » pour devenir un mari au foyer, effacé et obéissant. Pour sortir, ils sont accompagnés et portent un cache-tout (semblable à la burqa). Ils possèdent dans leurs gènes modifiés la sensibilité autrefois attribuée aux femmes. Ainsi tanguent-ils entre la peur et les pleurs. Les femmes ont tout pouvoir sur ces maris ravalés au rang d’objet. Dans cette société, la gestation est entre les mains de la science et la « fornication » est prohibée. Enfin, la peine de mort est réservée aux hommes. Une société autoritaire et sans saveur qui préfigurent un extrémisme, certes différent, mais plausible, tant la domination est inhérente à l’être humain, qu’il soit il, elle ou iel.

“Bulle de savon”, Sylvia Hansel

Temps de lecture : 2 min LITTERATURE
Voilà un roman qui colle au titre aussi bien dans sa forme que dans son fond. « Bulle de savon » est le récit dense et intense d’une plongée dans l’abîme d’une jalousie, d’une relation toxique faite de passion et d’abandon. L’auteure, Sylvia Hansel, qui travaille dans la presse musicale, tout en chantant et jouant dans des groupes de rock, s’était déjà essayée à la satire sociale avec « Les adultes n’existent pas ». Dans « Bulle de savon », elle traite de l’amour éphémère, aussi fragile qu’une bulle de savon. Notre héroïne est une jeune femme indépendante, préférant les relations d’un soir à des histoires perdues d’avance. Pourtant, d’un regard, elle tombe en pâmoison devant un Britannique plus jeune qu’elle, au charme indéniable. Mais, après une courte liaison enfiévrée, l’amant met fin à l’idylle, brutalement, sans tact ni explications qui vaillent. C’est alors la lente chute libre jusqu’à l’autodestruction. Livre très court, à l’écriture nerveuse et impertinente. Sylvia Hansel n’y mâche pas ses mots, elle les choisit crus et imagés, sans s’encombrer de fioritures. Tout est dans le choc que les mots produisent au contact des émotions. Le tout est assaisonné d’un humour ravageur. L’auteure lui donne ce ton direct, nature, qui apporte au drame un versant comique, si irrésistible qu’on aurait aimé que ce soit un tout petit plus long. Mais peut-on regretter qu’une bulle de savon éclate bien trop tôt ? Où serait le plaisir sinon ?

« Merci vasectomie », le spectacle qui ouvre grand les vannes !

Temps de lecture : 3 min THÉÂTRE & CO
Qui penserait faire rire de la vasectomie, vous savez, cette méthode contraceptive… un peu radicale, même si pas totalement irréversible ? Michaël Delacour a osé. Franchement. Avec légèreté et impertinence. En total accord avec lui-même, il ouvre grand les vannes du plaisir d’être sur scène. « Merci vasectomie », vu en avant-première à La Nouvelle Seine, est un one-man-show enlevé, décomplexé et sincère sur cette volonté, que d’aucuns pourraient qualifier d’étrange, de se mutiler pour ne plus procréer. Le titre sonne comme un oxymore philosophique. Il reflète juste les convictions de l’humoriste qui l’avoue d’emblée : la vasectomie est un choix, réfléchi et consenti pour son propre bien, mais aussi pour celui de la planète. Chemin faisant en sa si sympathique compagnie, on réalise le poids de l’entourage qui fait peser sur ces hommes leur perplexité sur cette « mutilation » et leur refus de fonder une famille, sans parler de la société qui a tendance à juger ces femmes et hommes qui s’octroient la liberté de ne pas devenir parents. Cette pratique étant plus rare chez les hommes (0,3 % contre 3,9 % de femmes y ont eu recours en France en 2013), le jugement fait place à la curiosité. Se qualifiant de gentil misanthrope, voire de bisounours sociopathe, Michaël Delacour témoigne des raisons qui l’ont incité à ne pas devenir père. Car oui, si vous ne l’aviez pas encore compris, ce trentenaire l’a fait ! En pleine conscience et avec un soulagement ! C’est peut-être d’ailleurs pour cela qu’il en plaisante aussi bien.

“Titanic, la folle traversée”, une fantaisie immersive qui fera couler beaucoup d’encre !

Temps de lecture : 3 min THÉÂTRE & CO
Le suspense est éventé : le Titanic sera éventré par un iceberg dans l’océan Atlantique Nord le 14 avril 1912. Mais qu’importe le suspense, pourvu qu’on ait l’ivresse d’une folle traversée dans « le vaisseau des rêves ». Au théâtre de la Renaissance, la folie musicale de la Compagnie des Moutons noirs commence dès l’arrivée des spectateurs soudain élevés au rang de passagers. Des passagers chanceux qui s’apprêtent à vivre une croisière houleuse, loufoque, tanguant entre drame et comédie, mais surtout divertissante. Ainsi, le capitaine au style vieux loup de mer nous accueille avec bonhomie, accompagné d’un trio de musiciens, et l’équipage – constitué d’hôtesses vêtues à la « moussaillonne » – est fin prêt sur le pont pour nous guider jusqu’à notre place. Il y a comme un air de fête qui flotte. On sentirait presque les embruns sur le visage ! Forcément, cela donne confiance dans l’insubmersibilité de ce projet insensé de transposer le naufrage du Titanic sur une scène de théâtre. Le projet paraît fou. Il est ambitieux et exige des trésors d’inventivité, non seulement pour coller à la réalité, mais surtout pour nous entraîner dans son sillage homérique et burlesque.

« Le Compagnon idéal », Isabelle Minière

Temps de lecture : 2 min LITTERATURE
Éva est une rêveuse invétérée. Éveillée ou endormie, ses rêves l’habitent en permanence. Ainsi peut-elle jouer à habiter sa vie, donner le change. Tout est comédie, mais elle passée maître dans l’illusion, la dissimulation. Son entourage la trouve réservée, parfois mélancolique, voire renfermée, mais sympathique et très serviable. Alors qu’elle se désespère d’être comprise et aimée pour ce qu’elle est, Éva rencontre Jeff – ou Jimmy, selon les jours –, le frère de sa patronne, Cloé. Il est l’exact opposé de sa sœur : gentil, ouvert, drôle, attentif, compréhensif. Il a toutes les qualités requises aux yeux d’Éva qui n’ose tomber sous le charme de peur de se réveiller dans la dure réalité d’être rejetée. Mais l’homme est charmant et le restera. Ils vivront même le confinement ensemble dans le petit appartement d’Éva. C’est le bonheur complet, inédit, caché, jusqu’à ce que leurs familles respectives les harcèlent de questions et empiètent sur leur liberté. Celle d’Éva la tient pour instable et craint pour sa santé mentale. Celle de Jeff – ou de Jimmy – est bien trop possessive. Ces inquisitions familiales réussiront-elles à menacer l’équilibre fragile de ce beau rêve qui a pris corps dans la vie d’Éva ?

“Maître, vous avez la parole”, haro sur les clichés pour le bonheur d’en rire !

Temps de lecture : 3 min THÉÂTRE & CO
Lors d’une soirée exceptionnelle au théâtre BO Saint-Martin, à Paris, et en prévision du Festival Off d’Avignon, Sébastien Wust nous a présenté avec brio son « one-avocat-show » original et hilarant, « Maître, vous avez la parole ». Avec ce spectacle dédié à la justice qu’il a écrit en 2018, l’avocat et comédien démonte les clichés et les fantasmes que véhicule ce métier, notamment à travers les séries de télévision. « Suits – Avocats sur mesure » ne reflète évidemment pas la réalité ! Pour nous le prouver ou nous en convaincre, Sébastien Wust use d’un arsenal redoutable : l’intelligence, l’autodérision, le rire, la légèreté et un soupçon de gaudriole. Nous voici soudain public d’une salle d’audience, projeté dans une salle du tribunal, attendant la tenue du procès « Pivert contre Iceberg ». Être pris en otage de ces confidences est un ravissement. Nous passons un magnifique moment avec cet avocat de droit civil depuis vingt ans qui s’amuse sans complexe à égratigner la profession, en commençant par lui-même.

“A.I.R”, un show sur les dérives du progrès où rires et intelligence n’ont rien d’artificiel

Temps de lecture : 3 min THÉÂTRE & CO
Vu au théâtre du Funambule pour une soirée exceptionnelle et programmé au Festival Off d’Avignon, « A.I.R » (Artifices intelligence et rires) est un seul en scène d’anticipation, d’un comique fulgurant et libérateur. Guillaume Loublier imagine un monde futur sans violence, une fois nos âmes vendues à la déesse Intelligence artificielle qui prône le tout technologique, une fois nous être coupés de toutes les émotions. Anticipation… vraiment ? Ce chemin vers le progrès n’est-il pas déjà bien engagé ? Est-ce un bien ? Un mal ? Que restera-t-il d’humanité en l’homme dans une société hyper connectée ? Connaîtrons-nous mieux nos machines que nous-mêmes ? L’humoriste réunit ses deux passions que sont la recherche et la comédie pour nous projeter dans une version de notre civilisation assujettie au transhumanisme. Il ne s’agit pas d’être pour ou contre, mais de comprendre vers quoi la technologie nous mène si nous n’associons pas la vision des savants (science dure) à celle des philosophes (science molle). À travers son spectacle « A.I.R », un thème de société sérieux mais traité sur un ton léger, Guillaume Loublier nous entraîne sur ce chemin tortueux dans une folie narrative avec intelligence, drôlerie et poésie… puissance mille !

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