« L’enfant dormira bientôt », François-Xavier Dillard

Temps de lecture : 3 minLITTERATURE
Son domaine de prédilection est la parentalité, l’enfance… et, par capillarité, la maltraitance. Son genre, polar et thriller. Pour son nouvel opus, « L’enfant dormira bientôt » (éd. Plon), François-Xavier Dillard met le curseur de la tension/l’attention à son maximum. L’évocation macabre, qui n’est pas sans rappeler l’affaire des « bébés congelés » et du syndrome du « déni de grossesse », si difficile à se le figurer, est puissante et prégnante tout au long de la lecture. De multiples personnages se croisent, semblent évoluer sans accointance, mais leurs histoires singulières et tumultueuses sont autant de petits torrents déferlant la montagne qui se rejoignent pour chuter en cataracte saisissante. Du suspense d’un bout à l’autre et une chute renversante. Des larmes, on n’en verse pas. Pas le temps. Le style est un courant nerveux qui vous entraîne dans ses tourbillons. L’histoire aux moult rebondissements aspire toutes les émotions pour les concentrer en un sentiment : la sidération.

« Le monde appartient à ceux qui le fabriquent », l’introspection d’un saltimbanque échevelé

Temps de lecture : 3 minTHÉÂTRE & CO
Qui ne connaît pas encore Bun Hay Mean peut être surpris. Dans un stand-up trépidant, au débit de parole rapide et au langage emprunté aux jeunes, ce quadragénaire à la success story ose tout dire, le meilleur comme le pire… et surtout le pire. En communion avec la salle, il ressent les états d’âme, notamment lorsqu’il franchit la ligne de l’entendable. Qu’importe ! S’il y a des frontières à ne pas dépasser, il les saute allégrement, tout sourire, un rien désinvolte comme l’enfant pris le doigt dans la confiture… et qui n’en a rien à faire de se faire réprimander. À cet humoriste déjanté, la scène manquait, les applaudissements – source non négligeable de son mieux-être –, manquaient aussi. Il lui tardait de remonter sur scène, après son dernier spectacle, « Chinois marrant ». Avec « Le monde appartient à ceux qui le fabriquent », à l’Européen jusqu’au 18 décembre 2021, il propose un show plus introspectif évoquant ses débuts d’humoriste, ses rencontres, mais aussi sa famille. Est-ce le résultat d’une disette de rencontres avec son public ? Toujours est-il que cet ex-clochard – à l’avis d’imposition désormais hallucinant, de son propre aveu – et qui a une faim d’ogre de scène et d’interactions avec son public se livre à nu, sans censure, préférant la langue affranchie à la langue de bois. L’exubérance échevelée, les propos outranciers, Bun Hay Mean aurait tout pour déplaire, mais il est très drôle, parfois irrésistible. Alors… on lui pardonne pour nos oreilles écorchées et on applaudit de bon cœur.

« Tueurs en série sur le divan », Jean-Benoît Dumonteix et Joseph Agostini

Temps de lecture : 3 minLITTERATURE
Dans « Tueurs en série sur le divan » (éd. Envolume), Joseph Agostini et Jean-Benoît Dumonteix reviennent sur quatre affaires aussi sordides que sidérantes du XXe siècle. Dans cet essai passionnant, très fouillé et documenté, ces deux psychologues cliniciens et psychanalystes décryptent les itinéraires criminels de Michel Fourniret, de Marcel Petiot, de Guy Georges et de Thierry Paulin, leurs ressorts psychologiques et la bascule dans leur passage à l’acte. Avec sa collection « Sur le divan », l’objectif des éditions Envolume est « de rendre une certaine forme de pensée accessible à tous ». À travers ces études de cas, l’essai remplit assurément toutes les cases, qu’il s’agisse de l’intérêt du sujet ou de l’accessibilité aux rouages de la pensée perverse. Dans un langage globalement accessible (hormis quelques passages conceptuels ardus), les auteurs livrent des analyses édifiantes sur la construction mentale de ces individus incapables d’éprouver le moindre sentiment d’empathie ni de respecter l’intégrité de l’autre. Certes, déplier la carte du cerveau pervers d’un tueur en série n’est pas sans susciter des émotions dérangeantes, pouvant alterner entre le dégoût et l’horreur. Mais, rapidement, une saine curiosité – celle de l’intellect – s’empare du sujet dans son plus noble projet qui est de s’instruire et de comprendre… voire de mieux repérer les formes plurielles de la perversité lorsqu’elle montre son sourire le plus engageant.

« Les collégiens », l’hommage qui rend heureux

Temps de lecture : 3 minTHÉÂTRE & CO
Une fois n’est pas coutume, parlons musique. Parce qu’elle est joyeuse. Parce qu’elle fait battre la mesure du pied, sans y penser. Parce qu’elle raccroche à un passé où l’insouciance était dans l’air du temps. Vendredi 12 novembre dernier, au Pan Piper (Paris XIe), une soirée exceptionnelle était organisée pour lancer la sortie du CD « Hommage à Ray Ventura & Sacha Distel ». Dix chansons emblématiques et une inédite ont réuni les « Collégiens », dans la même formation qu’en 1993, sous la direction de Ramon Gimenes, en associant les voix chaudes et jazzy de Franck Sitbon et Charlotte Perrin. Depuis « Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux » (1938) à « La belle vie » (1964), en passant par « Ça vaut mieux que d’attraper la scarlatine » (1937) ou encore l’increvable « Tout va très bien, Madame la Marquise » (1935) chantée dans les colos ! Tout aussi increvables, les Collégiens d’aujourd’hui sont aussi pimpants et enjoués qu’il y a presque trente ans. Le swing et la décontraction sont au rendez-vous des retrouvailles. Ils jouent et se répondent du tac au tac, mais s’amusent aussi avec le public qui en redemande en claquant des mains. À noter la présence d’une femme au sein des Collégiens, une « collégienne » de talent qu’on aimerait entendre davantage. Outre sa voix de velours, Charlotte Perrin apporte une touche de fraîcheur indéniable. Bref, une ambiance bonne enfant qui réchauffe les souvenirs. Du spectacle vivant qui déborde de vie comme pour conjurer les peines futures.

« Premier sang », Amélie Nothomb

Premier Sang Amélie Nothomb

Temps de lecture : 3 minLITTERATURE
Trentième livre d’Amélie Nothomb, « Premier sang » (éd. Albin Michel) vient de recevoir le prestigieux prix littéraire Renaudot. Elle y évoque son père sous forme d’instantanées de vie depuis son enfance jusqu’à la prise d’otages de Stanleyville au Congo en 1964, qui a retenu plus de 1 600 personnes prisonnières pendant trois mois et demi. Une semaine après sa première affectation, le jeune diplomate se retrouve ainsi confronté à la mort, suspendue par le bon vouloir de rebelles congolais avec lesquels il est censé négocier. Repasse-t-on son histoire lorsque la vie ne tient plus qu’à une flexion de doigt sur la détente d’une arme ? La romancière belge l’imagine en se glissant dans la peau de son père. Au-delà de la qualité intrinsèque de ce roman d’amour filial, tissé d’intensité, de cocasseries et d’émotions teintées d’humour, c’est un témoignage d’amour universel qui est transmis, dans lequel chacun se reconnaîtra. L’hommage à ce père disparu le premier jour du confinement à l’âge de 83 ans ne peut que raisonner dans le cœur de tous ceux qui n’ont pu faire leurs adieux à leurs proches partis en parfait anonyme. Les exigences sanitaires condamnant au manque irrémédiable.

« Douce France », la politique sous le prisme de l’humour

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Dans « Douce France », au théâtre Tristan Bernard, tout ce qui est dit est véridique, nous dit-on ! Rehaussée de ce préambule, la pièce se revêt d’une dimension originale et prend une saveur délectable. Avec fougue et jubilation, les comédiens et auteurs Stéphane Olivié-Bisson, David Salles et la comédienne Delphine Baril nous font visiter les coulisses du palais de l’Élysée, le centre névralgique du pouvoir. À l’appui de documents d’archives et de faits historiques choisis, ils balayent sur un ton grinçant et humoristique la politique des huit présidents de la Ve République française, mais surtout ils brossent leur personnalité à grands traits vifs, tranchants, impertinents et ironiques. Les mots cinglants sont éloquents. Qu’ils heurtent ou émeuvent, qu’ils provoquent de l’urticaire ou déclenchent du rire à répétitions, ils voltigent dans des arabesques sémantiques audacieuses. Ils se jouent de la bien-pensance, font feu de tous les partis sans langue de bois. Ils réveillent des souvenirs, tantôt lointains tantôt flous. Mais surtout ils dessillent nos yeux sur l’histoire véritable de nos chers présidents qui ont fait la France d’aujourd’hui, une France devenue douce-amère. S’il fallait démontrer combien notre mémoire politique pouvait être courte et sélective, c’est fait !

« Isabeau de Limeuil, la scandaleuse », Isabelle Artiges

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Avec ce dernier roman historique, « Isabeau de Limeuil, la scandaleuse », aux éditions De Borée, Isabelle Artiges plonge son héroïne en pleine guerre de religion. Au-delà du destin prodigieusement romantique d’Isabeau de Limeuil, ce sont les fractures intestines d’un peuple français désuni devant Dieu qui sont décrites. L’écriture imagée, cinématographique, nous donne à visualiser les scènes, les plus torrides comme les plus cruelles. Les hommes sont des loups entre eux, c’est bien connu. Mais, dans ce roman, la scission religieuse apparaît comme une scission plus politique – notamment la guerre sans merci que se sont livrés les de Guise et les Condés – qui a provoqué des milliers de morts, des gens de hautes lignées comme de pauvres quidams. Racontée à deux voix, en alternance entre le narrateur et Isabelle, la servante et également sœur de lait d’Isabeau, l’histoire se construit dans une temporalité double et progressive entre 1550 et 1610. Enlevé, documenté et passionnant, ce roman maintient l’intérêt jusqu’au bout, donnant du grain à moudre à la curiosité qu’il suscite. Que l’on soit familier ou pas de cette époque particulière de la Renaissance, on ne peut qu’être happé par la grande et la petite histoire qui s’enchâssent si bien.

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