“Les Producteurs”, un grand cru classé Michalik

Temps de lecture : 4 min

THÉÂTRE & CO 

Avis de PrestaPlume  “Coup de cœur”

Critique éclair

Exit « Les Producteurs », le film culte du grand Mel Brooks (1968) ! La version d’Alexis Michalik au Théâtre de Paris est un millésime exceptionnel, qui fait pétiller les yeux et les synapses, incurvant dans le même temps les zygomatiques entre sourire béat et rire franc. Tel un grand cru classé, la comédie musicale se vit avec délectation et ravissement sans un soupir… sinon d’aise ! Que l’on ait vu le spectacle original ou pas, le plaisir est neuf, intense, mémorable, comparable à l’émotion provoquée par « Edmond » (Théâtre du Palais royal jusqu’au 2 juillet 2022). Espérons que ce show musical d’Alexis Michalik reste longtemps à l’affiche, tout comme ses autres créations (Edmond, Le Cercle des illusionnistes, Le porteur d’Histoire, Intra Muros, une histoire d’amour). Même s’il n’a pas écrit le scénario de ce producteur ruiné qui imagine une arnaque à l’assurance en montant la pire comédie musicale, l’artiste a mis un fabuleux grain de sel dans le ballet que forme la mise en scène. Une signature inimitable qui bouleverse et ravit par alternance. Par les temps qui courent, ce petit bonheur de deux heures est un précieux bouclier contre la morosité et le marasme ambiants.

Résumé

Le scénario est simple, mais dingue, extravagant, savoureux. C’est l’histoire d’une magouille qui vire à la catastrophe. Max Bialystock (Serge Postigo), producteur juif de Broadway est ruiné. L’homme aux succès retentissants ne produit plus que de mauvaises pièces. Pour chaque projet, il batifole – de mauvaise grâce – avec des nymphomanes d’un âge caduc, qui lui assurent ses arrières… financiers. Au cours d’un banal contrôle fiscal, il fait la connaissance de Leo Bloom (Benoît Cauden), un comptable névrotique et timoré. Au cours de son inspection, il souligne – pour rire – que Max gagnerait plus d’argent en montant une pièce qui serait un fiasco dès la première représentation. Il suffirait de récupérer l’argent prévu pour ce spectacle et de partir loin, très loin. Une belle arnaque aux assurances ! Max le prend au mot, le convainc de s’associer avec lui. Les deux partenaires pour le meilleur du pire choisissent une pièce atroce « Des fleurs pour Hitler », une ode fleurie au Führer, dont l’auteur est un nazi fleur bleue et nostalgique, totalement fou… de ses pigeons (Régis Vallée). Puis recrutent un couple homosexuel très maniéré (David Eguren et Andy Cocq), ainsi que les pires chanteurs et danseurs sur le marché. Voilà, rien ne manque à l’arnaque… si ce n’est l’affriolante Suédoise Ulla (Roxane Le Texier), dont Leo s’éprendra. Mais, le jour J, rien ne se passe comme prévu. Le meilleur du pire se transforme en succès retentissant !

Pour approfondir

« Les Producteurs » d’Alexis Michalik ressemble en tout point à la comédie musicale originale, conservant l’esprit burlesque, préservant l’humour juif décapant et impitoyable de Mel Brooks. L’auteur et metteur en scène aux cinq Molières rêvait de monter une comédie musicale. Celle de Mel Brooks, non seulement comblait ses attentes par la démesure, mais lui permettait d’user de ses talents de metteur en scène prolixe et inventif. La comédie musicale conserve sa loufoquerie délirante, désopilante, sans baisse de régime. L’humour caustique, leste et impudent est une balle de tennis que se renvoient les seize formidables comédiens. Coups droits… ou gauches, revers, ace, tous les services sont gagnants ! Le rythme est effréné, chaque seconde est mise à profit. Danses, claquettes et envolées lyriques se succèdent, voire se chevauchent dans une harmonie qui relève de la magie.

La mise en scène est ébouriffante, sans temps mort, au point tel que les accessoires semblent se mouvoir de leur propre chef, comme doués de vie. Les costumes soulignent les formes ou les déforment, nous racontant leur propre histoire sur ceux qui les revêtent. Les décors tombent du ciel, transformant les univers prolifiques. On se croirait au cinéma ! Ici et là, Alexis Michalik sème des références contemporaines comme les cailloux du Petit Poucet, non pas pour retrouver le bon chemin, mais au contraire pour ouvrir l’esprit à une multitude de chemins imaginaires. Ses chorégraphies sont truffées de clin d’œil  : là, « Thriller », « la cage aux folles » et « Rabbi Jacob », là encore une queue-leu-leu des Village People ou une danseuse avec une tenue constituée, non pas uniquement de bananes, à la Joséphine Baker, mais de saucisses de Frankfort ! Sans compter la bourrée nazie qui, elle, est à se tordre. Osons le dire, on peut rire de tout… même de nos jours ! c’est vital ! Nombreux sont les artistes ayant pris le parti de faire rire avec le nazisme, pour mieux le tourner en dérision et le combattre, à commencer par Charlie Chaplin avec son fameux « Dictateur », également évoqué. Et, dans cette comédie musicale, tout le monde en prend pour son grade (les juifs, les nazis, les homosexuels, le monde du showbiz…).

Pour ouvrir ce bal fantaisiste, sept musiciens sous la direction de Thierry Boulanger, répartis dans les quatre loges surplombant la scène. À la même enseigne que les comédiens, ils ne chôment pas ; les airs entraînants s’enchaînent entre de courtes pauses. La musique emplit ainsi la salle en stéréo, amplifie la résonance musicale sans atténuer les chants ou les voix parlées. Dans la troupe de comédiens, pas de tête d’affiche. Égalité parfaite, performance égale. Alexis Michalik a choisi les meilleurs, contrairement au producteur véreux qu’on se surprend à aimer. Ils savent tout faire, à la perfection, au tempo voulu, sans montrer le moindre essoufflement. Pourtant, le train est diablement déchaîné, les réparties font l’effet d’un boomerang. Ils sont tous parfaits, d’autant que certains campent plusieurs rôles !

Dans les rôles principaux, Serge Postigo et Benoît Cauden, les deux escrocs, sont sensationnels. Le duo est convaincant, la complicité est palpable. Autre duo, qui rappelle ceux de « La Cage aux folles », David Eguren et Andy Cocq sont à pleurer de rire, littéralement ! Leur jeu est magistral, avec une préférence pour le second qui est plus vrai que nature. Régis Vallée campe un nazi aux nuances surprenantes. On le déteste pour ce qu’il représente, mais avec une grande réserve de sympathie. Quant à Roxane Le Texier, la silhouette longiligne rappelant Jessica Rabbit, mais en blonde, elle joue parfaitement de sa plastique et de son accent charmant. Chapeau bas pour prononcer son nom à rallonge sans l’écorcher (Ulla Inga Hansen Bensen Yonsen Tallen-Hallen Svaden-Svanson) ! Cette troupe fort sympathique forme un tout équilibré et radieux. Reconnaissance infinie à ces magiciens qui nous sont essentiels à notre survie émotionnelle !

Nathalie Gendreau
©Alessandro Pinna


Distribution
Comédiens : Serge POSTIGO, Benoît CAUDEN, Régis VALLEE, David EGUREN, Andy COCQ, Roxane LE TEXIER, Alexandre BERNOT, Véronique HATAT, Léo MAINDRON, Marianne ORLOWSKI, Loaï RAHMAN, Carla DONA, Hervé LEWANDOWSKI, Mélissa LINTON, Sébastien PAULET, Eva TESIOROWSKI

Musiciens  : Thierry BOULANGER, Benoit URBAIN, Benoit DUNOYER, Franck STECKAR, François CHAMBERT, Jean-Pierre SOLVES, Jean-François QUELLEC

Créateurs
Auteur : 
Mel BROOKS
Metteur en scène : Alexis MICHALIK
Chorégraphie originales : Susan STROMAN
Musique et paroles de Mel BROOKS
Livret de Mel BROOKS et Thomas MEEHAN
Costumes : MARION REBMANN

Du mardi au dimanche à 20 h et une séance supplémentaire le dimanche à 16 heures jusqu’au 8 mai 2022.

Au Théâtre de Paris, 15 rue Blanche, Paris IXe.

Durée : 2 h

1 réflexion au sujet de « “Les Producteurs”, un grand cru classé Michalik »

  1. Waouh ! Si la pièce « Les Producteurs » est semblable à l’enthousiasme de Nathalie Gendreau, cette création d’Alexis Michalik est manifestement le joyau des divertissements proposés sur les scènes parisiennes.

    Comme le détaille la critique de Nathalie Gendreau, cette pièce est l’adaptation théâtrale du mythique film burlesque de Mel Brooks sorti en 1968, année où le burlesque régnait aussi dans les rues dépavées par les étudiants du quartier latin.

    Hasard du calendrier, alors que la culture Woke, héritière des « soixante-huitards », s’installe tragiquement dans notre paysage, Alexis Michalik nous propose ce contre poison sous forme d’un gigantesque éclat de rire…

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