ÉVÉNEMENT/ACTU
Pour son édition 2018, le prix Régine Deforges a récompensé Grand frère de Mahir Guven, aux éditions Philippe Rey. Ce roman percutant et bouleversant sur la déchirure d’une famille confrontée au départ d’un fils pour la Syrie a marqué sa différence par l’originalité du sujet traité et le style d’une mixité littéraire inédite. Le prix, doté de 3 000 euros, sera remis officiellement à l’auteur lors du Salon du livre Lire à Limoges, le 27 avril prochain.
Mahir Guven rêvait d’écrire, sans oser réaliser ce désir… jusqu’à ce que l’éditeur Philippe Rey lui donne cette nécessaire impulsion pour passer à l’acte. Essai réussi, puisque son premier roman Grand frère se voit couronné par le Prix Régine Deforges 2018. C’est officiel depuis le 3 avril dernier, au restaurant le Macéo, Mahir Guven est le troisième lauréat de ce prix qui récompense un premier roman écrit par un auteur francophone et qui se distingue par l’histoire et le style. “Je suis persuadée que ma mère aurait aimé ce roman à l’écriture très contemporaine, d’une actualité brûlante, politique et très engagé, confie Camille Deforges-Pauvert, fille de l’auteur de La bicyclette bleue et membre du jury. C’est un roman très touchant, sans pathos, ni jugement.“
L’écrit de l’universel
Avec Grand frère, ce journaliste et directeur-délégué de l’hebdomadaire Le 1 livre une histoire forte sur la fraternité, l’amour filial et l’absence. Il donne corps et âme à une famille franco-syrienne vivant en banlieue parisienne. Le père et le fils aîné déroulent leur triste quotidien sur le macadam. Ils sont chauffeurs, le premier de taxi, le second de VTC. Entre les deux, il y a l’absence du Petit frère, un infirmier parti en Syrie avec une organisation humanitaire musulmane. Lorsque ce dernier revient trois ans plus tard, il est transformé et sème le doute dans l’esprit du Grand frère.
Cette fiction qui décrit de l’intérieur une réalité tragiquement actuelle est portée par un style très personnel. L’écriture de Mahir Guven est un savoureux mélange qui donne au langage des banlieues une musique qui a toute sa place dans la littérature française. Sur cette harmonieuse mixité des mots, Daniel Picouly, également membre du jury, laisse pointer de l’admiration en parlant d’une forme de sublimation dans le style. Pour lui, ce roman est “l’écrit de l’universel, un message adressé aux petits gars de banlieue de conserver ce trésor que constituent leur culture, leurs origines, leurs racines, mais aussi de tendre vers cet universel“, c’est-à-dire s’ouvrir au monde qui les entoure.
“… sans misérabilisme, montrer leur humanité…”
De mère turque et de père kurde, réfugiés en France, Mahir Guven est né sans nationalité en 1986 à Saint-Sébastien-sur-Loire, près de Nantes. Le thème du livre s’est imposé de lui-même, spontanément. L’auteur souhaitait raconter l’univers des banlieues et cette partie de la population qui vit en marge de la société. “Je désirais, sans misérabilisme, montrer leur humanité, le rire et l’humour“, souligne l’auteur. Pour connecter son roman à la réalité du vécu, l’auteur a enquêté auprès des chauffeurs de VTC, n’hésitant pas à se faire passer pour un aspirant Uber. Il s’est également renseigné sur ces Français qui rejoignaient la Syrie en parcourant des blogs de personnes concernées et s’est nourri aux journaux étrangers bien documentés sur le terrorisme.
Effroyable incompréhension sur le départ de l’un des siens pour la Syrie
En sachant doser humour et gravité, Grand frère voit donc son acte de naissance inscrit dans l’état civil de la reconnaissance. Une reconnaissance de ses pairs méritée tant par l’audace du sujet traité que par la narration rythmée qui alterne deux points de vue : celui du “Grand frère” et celui du “Petit frère”. L’emploi de deux polices d’écriture les différencie, comme deux univers hermétiques, tel un signe qui décrète visuellement un point de non-retour. Mahir Guven a su décrire par le subtil et la nuance les sentiments des trois personnages, leurs ambiguïtés, leur détresse, leur vulnérabilité, leur soif d’absolu. Et cette effroyable incompréhension sur le départ de l’un des siens pour la Syrie ! Grand frère est aussi un hymne à la vie qui réussit à projeter un éclat de lumière, si nécessaire à l’espoir. Un espoir que l’on retrouvera peut-être dans son prochain roman sur les relations hommes/femmes ! S’il reste discret sur l’histoire, Mahir Guven nous assure que ce deuxième livre sera différent. Espérons que le style si incisif et imagé de ce premier roman gardera toute sa puissance dans le prochain.
À noter : Mahir Guven succède à Élisa Shua Dusapin, récompensée en 2017 pour Hiver à Sokcho (éd. Zoé) et à Astrid Manfredi en 2016 pour La Petite Barbare (éd. Belfond).
Texte et photos Nathalie Gendreau
Photos de la Une : Les membres du jury du prix Régine Deforges 2018 : Camille Deforges-Pauvert, Léa Wiazemsky, Franck Spengler, Marina Carrère d’Encausse, Noëlle Châtelet, Daniel Picouly, Eric Portais. Et le lauréat Mahir Guven.
Éditions Philippe Rey, 5 octobre 2017, 272 pages, à 19 euros.
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