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Une incursion passionnante et sidérante dans la Rome antique
Deuxième opus d’une série (après « Modus operandi »), le thriller historique de Nathalie Cohen « Un fauve dans Rome » (éd. Flammarion) est une incursion passionnante et sidérante dans la Rome Antique, sous le règne de Néron (de 54 à 68 après J.-C.). Cet empereur est connu pour avoir été un bourreau sanguinaire, débauché et pervers qui s’imaginait artiste. Serait-ce lui, le fauve ? À moins que ce soit cet incendie dévastateur qui ravagea Rome du 18 au 24 juillet 64 après J.-C et fit des milliers de morts et plus de 200 000 sans-abri ? Mais ce fauve peut être tout aussi bien l’une des âmes damnées de l’empereur, Lucius Cornelius Lupus, un pourvoyeur d’enfants pour les lupanars de la Cité aux sept collines et les fêtes orgiaques de Néron. Dans cette époque brutale, la vertu des stoïciens résiste, même si elle n’est pas en odeur de sainteté auprès de l’Empereur. Parmi ces hommes, Marcus Tiberius Alexander, qui fut, enfant, un esclave et un martyr sexuel. Aujourd’hui, il est un haut gradé dans le corps des « Vigiles Romae », ces « yeux de Rome » chargés de maintenir la paix publique et de lutter contre les incendies. Attaché à son travail, il est parvenu à ensevelir en lui les traumatismes de l’enfance. Mais, lorsqu’il apprend que des enfants romains de bonne famille sont subtilisés à leurs parents pour les vendre, les horreurs qu’il a subies par le passé refont surface. Il n’aura alors de cesse de retrouver ces enfants jusque dans l’antre du fauve… quitte à y laisser la vie.
Un incendie meurtrier d’un réaliste saisissant
Sous le prétexte d’une nouvelle enquête du tribun Marcus Tiberius Alexander, Nathalie Cohen nous fait revivre avec un réalisme saisissant un incendie meurtrier que certains attribuent faussement à Néron. Les départs de feu en été étaient quasi journaliers, notamment en raison de la topographie de la ville, à ses rues étroites et tortueuses, à ses nombreuses maisons de bois et aux braseros allumés la nuit par les esclaves. L’entrelacement des intrigues qui s’affrontent sur fond d’amours contrariées donne à voir et comprendre une Cité sous tension, qui dépose à nos pieds ses lois, ses abus et défaillances, mais aussi la furie obsessionnelle d’un despote. À une époque où une partie de la société était considérée comme une marchandise, l’enfant était vu comme quantité négligeable. Ainsi, apprend-on qu’un père avait le droit d’abandonner son enfant parce qu’il était né avec une tare ou qu’il doutait qu’il fût le sien. Mais, au temps du despote Néron, où les lupanars pullulaient, nombre d’enfants étaient aussi vendus comme esclaves sexuels. Une ignominie qu’il cautionnait, encourageait… et dont il profitait.
Complots, vengeance, décadence, perversion, antisémitisme…
Agrégée de lettres classiques et auteure de l’essai « Une étrange rencontre : Juifs, Grecs et Romains » (2017), Nathalie Cohen a effectué des recherches en judaïsme hellénistique et en patristique grecque. Un bagage de connaissance et de références idéal pour se lancer dans un tel défi littéraire. Elle nous livre ce fragment d’histoire d’une ampleur inédite à travers une écriture nerveuse, fluide, imagée et érudite, tout en étant accessible… une fois bien intégré les noms latins des personnages et des fonctions. Le ton est moderne, le langage aussi. Les ressorts du thriller sont là : complots, vengeance, décadence, perversion, antisémitisme… Le suspense domine. L’auteure parvient à nous faire coudoyer l’horreur et les atrocités sans pathos. La mort y est crue et réaliste, tout comme la haine. On ne peut s’empêcher de faire un parallèle avec notre société moderne. L’histoire aime à se répéter, chaque siècle le démontre, chaque génération l’expérimente. Mais, à distance de deux millénaires, nous aurions pu prétendre à un monde un peu moins sous l’empire de l’hybris, la démesure, les excès en tout genre, ceux du pouvoir égocentré, de l’appât du gain, de la haine et des déviances sexuelles. Mais aussi un monde où la tolérance religieuse serait acquise et respectée. Même si notre civilisation a évolué à bien des égards, que de chemin encore à parcourir ! « Un fauve dans Rome » aura l’avantage de nous rappeler qu’un homme accroché au pouvoir, quoi qu’il en coûte, peut dévisser de la réalité, à tout moment.
Nathalie Gendreau
Éditions Flammarion, 23 février 2022, 352 pages, à 22 euros.
Journaliste, biographe, auteure et critique culturel, je partage avec vous mes articles et avis. Si vous aimez, abonnez-vous !
« Un fauve dans Rome » est déjà un titre bien trouvé. Il remue les quelques souvenirs sauvegardés de l’école et du cinéma qui nous éduqua aussi à travers ses péplums dont Cécil B. DeMille fût un des meilleurs artisan.
Le résumé proposé par Nathalie Gendreau continue de nous attirer et sa conclusion, qui souligne le parallèle avec l’époque Romaine dépravée, nous rappelle douloureusement que l’enfance n’est pas protégée comme il le faudrait aujourd’hui.
En revanche, les pervers (sataniques affirment certains) de notre monde civilisé sont particulièrement à l’abri grâce aux réseaux des puissants qui se tissent à travers de nombreux « clubs » dont les noms apparaissent parfois dans les rubriques de faits divers.
Enfin, les références de l’auteur sont une raison définitive de plonger dans ce roman qui est aussi une leçon d’histoire semble t-il.