“Mes adorées”, ou comment renaître de son histoire

Temps de lecture : 3 min

THÉÂTRE & CO 

Avis de PrestaPlume  Coup de cœur”

Critique express

« Lisse », « Lisse », bien trop « lisse » ! « Abîme-toi un peu ! », lui dit-on dans le milieu. La maturité dans le regard, l’authenticité accrochée au sourire, le comédien Édouard Collin n’a pourtant de lisse que le corps délié, que d’aucuns pourraient qualifier d’Apollon. Mais la plastique de celui qui joua « Panique au ministère » avec Amanda Lear est loin d’être son seul atout, car pour ce qui est du « cabossage », il en connaît un rayon ! Sa jeunesse est un parcours de « pumptrack(1) », une affolante variation de bosses et de creux, où le plat a eu du mal à se frayer un chemin. Ce parcours mouvementé, il nous le conte au travers de son premier seul en scène, « Mes Adorées » (Théâtre du Marais). Tout y est vrai, le comédien refusant l’approximation, le mensonge et les vérités arrangées. Dirigé en sobriété et sensibilité par la comédienne et metteure en scène Izabelle Laporte, il nous livre un texte intime, dense et captivant, où la légèreté et l’humour ne cèdent pas leur place. Son jeu tout en puissance et en fêlures éclate en une myriade de rôles. En une heure, l’artiste fait la démonstration magistrale d’un jeu, complexe, varié, en nuances, où l’essence de ce qu’il est affleure à la surface de sa peau… lisse, la faisant vibrer tel un tambour. Bien qu’interne, ce cri subliminal est émouvant, pudique, assourdissant de justesse.

Pour approfondir

« Mes adorées » est surtout un hommage à ses deux grands-mères  : « Mon adorée » et « Cocotte », qui l’ont pris sous leurs ailes alors qu’il était entraîné par sa mère dans un précipice de malheurs. Sa mère l’aimait sans aucun doute, mais elle n’a su faire face aux épreuves. Alors qu’il était encore très jeune, elle fait une très mauvaise chute de cheval dont elle se remet difficilement ; son mari en profite pour la quitter pour une autre. Le début de l’enfer pour elle, et par ricochets pour son fils. Cette femme qui avait été comédienne ne peut plus jouer. Alors elle joue à la vie en l’interprétant à la folie, compromettant celle de son fils  : sans le sou, elle squatte, se drogue, enrage, se démène, dépérit, sombre. Le jeune Édouard apprend très tôt à louvoyer, à mentir, notamment pour épargner la prison à sa mère.

L’anxiété ne lui lâchera plus la main jusqu’à ce que le tribunal le confie à sa grand-mère maternelle, « Mon adorée ». Son autre grand-mère « Cocotte » assume aussi sa part en programmant des rituels hebdomadaires, qu’il détestera avant de les attendre avec impatience. Tout les différenciait  : leurs origines, leur éducation, leur parcours de vie, leur caractère. Mais elles avaient en commun l’amour qu’elles vouaient à leur petit-fils. Pour lui, elles représentaient deux piliers auprès desquels il déposait un poids trop lourd à porter, mais aussi deux ailes qui le guidaient vers des ailleurs possibles, un peu plus lumineux. Et puis, un jour, le théâtre de Boulevard débarqua dans sa vie  : un autre parcours à cahots, mais qu’il envisage comme un terrain de jeu formidable grâce auquel il peut s’extraire de ce qu’il a vécu pour mieux nourrir ses personnages.

À l’ouverture du rideau, le comédien se tient debout, bien ancré dans le sol, et pose son regard sur chacun de nous. Il se dégage de lui une tranquillité profonde, rassurante, silencieuse. À ce moment-là, on n’imagine pas la déferlante qui va s’abattre sur lui et les personnages qu’il campera. Car, Édouard n’est pas seul, il a convoqué sa famille pour nous relater son histoire. Les portraits qu’il en fait sont émouvants, drôles, piquants, un rien malicieux, qui laissent entrevoir tout l’amour qu’il leur porte. Soulignant le trait particulier (et drôle) de chacun, le comédien les interprète avec engagement, générosité et tendresse. Le décor minimaliste, la sobriété de la mise en scène ajoute à la solennité des fragments de vie qui s’aboutent, tel un puzzle reconstitué. À la fin, le tableau est saisissant, beau, apaisé. La qualité du silence d’une salle n’est-elle pas la meilleure preuve qu’une surface apparemment lisse n’est, en fait, que la patine des épreuves sublimées ?

(1) Parcours de VTT ou de BMX en boucle fermée, constitué de plusieurs bosses consécutives et de virages relevés.

Nathalie Gendreau
©Steve Bouteiller/Captation.fr


Distribution

Avec : Edouard Collin

Créateurs

Auteur : Edouard Collin

Metteure en scène : Izabelle Laporte 

 

Les samedis à 21 h jusqu’au 26 juin 2022.

Au Théâtre du Marais, 37 rue Volta, Paris IIIe.

Durée : 1 h

1 réflexion au sujet de « “Mes adorées”, ou comment renaître de son histoire »

  1. Le personnage interprété par Edouard Collin est déjà étonnant mais ce qui m’a particulièrement intéressé ce sont les grands mères et le descriptif de ce lien mystérieux qui saute une génération pour apporter expérience, sagesse et bienveillance.
    Merci Edouard Collin de nous rappeler le rôle essentiel des grands parents trop souvent sacrifié aujourd’hui par la crise du logement.

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