“L’Exception”, la force vitale de la mémoire

Temps de lecture : 3 min

 

THÉÂTRE & CO 

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Avis de PrestaPlume ♥♥♥♥

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Dans le cadre des rendez-vous L.A.D (1 Livre, 1 Adaptation, 1 Débat), dès le mois d’octobre reprendra, au théâtre de la Contrescarpe, « L’Exception », un seul en scène interprété avec force et sensibilité par Sandra Duca. Inspirée du livre de Ruth Klüger « Refus de témoigner », la pièce adaptée et mise en scène par Jacky Katu est un bouleversant hommage à toutes les victimes de la barbarie nazie. La comédienne en pyjama rayé propose une interprétation physique et émotionnelle magistrale, donnant aux scènes une brûlante réalité qui fait mal à entendre. Même ses cris les plus sourds transpercent le cœur, mettant à nu l’âpre combat. L’innocence de l’âge face à l’horreur des camps de concentration, le refus de se laisser aller face à la volonté d’exterminer, la force vitale face à l’acharnement à avilir. Sandra Duca campe dans le dénuement scénique absolu le rôle d’une petite fille juive de huit ans, enfermée à Auschwitz avec sa mère. Elle raconte au public leur parcours de prisonnières, depuis leur déportation jusqu’à leur fuite, pendant cette si longue marche de la mort. À travers l’histoire de cette petite fille qui grandit malgré tout et le pire, c’est le triomphe de la vie qui est proclamé. Quand le déjà lu rencontre le jamais vu, c’est l’exception qui jaillit des entrailles de l’oubli.

La petite fille en pyjama rayé étouffe, elle souffle son épuisement rageur, joue des coudes avec l’énergie de l’espoir de survivre. Vainqueur momentané de la mort, son corps en convulsion lutte encore contre ce déchirement entre crier l’horreur pour l’expulser et garder en soi le cri errant qui se fracasse contre son mur de silence. En résistance tendue, la petite fille en pyjama rayé se remémore les temps heureux avec sa famille, avant l’Anschluss, l’étoile jaune et la fuite de son père en Italie. Puis l’arrestation, le voyage dans un wagon suant de terreur, l’arrivée apocalyptique dans le camp, la faim qui dévore le ventre, les poèmes de Schiller qu’elle se récite pour rester vivante lors des interminables appels dans le gel, le refus de se jeter sur les barbelés électrifiés, le mensonge sur son âge qui lui a épargné la chambre à gaz. Un si gros mensonge pour une si petite fille qui a fait d’elle l’exception… et non une victime.

Ruth Klüger est cette petite fille au pyjama rayé. Longtemps, elle s’est tue. Elle refusait d’endosser le rôle de victime. Dans « Refus de témoigner », elle se livre tardivement, apportant une pièce à l’édifice contre la soumission et l’aveuglement. Déportée à dix ans, Ruth Klüger recouvrera sa liberté à seize ans et émigrera aux États-Unis. Adapter ce monument à la voix si personnelle, si tranchée, si réfléchie, était une gageure que Jacky Katu a relevé avec fidélité et imagination. L’histoire de cette frêle enfant, confrontée à la cruauté des adultes, aurait pu écraser les épaules de Sandra Duca. Il n’en est rien. Au contraire, la comédienne s’en est saisie avec un naturel sidérant. Tantôt par des gestes torturés et sporadiques, tantôt par des cris trop gros pour franchir la bouche d’enfant, elle extériorise la souffrance qui n’en peut plus de se taire. Au fil du récit aux longues phrases, qu’elle projette haut en forçant l’articulation, ses intermèdes gestuels semblent ponctuer l’horreur. Cette performance exigeant l’alliance du physique et de l’émotion nous scotche dans le fauteuil du début à la fin du voyage initiatique. La puissance de l’interprétation laisse pantois et sonné, comme si l’on découvrait soudain, ébahis, ce dont l’homme pouvait être capable.

Nathalie Gendreau

©Fabienne Rappeneau



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Dans le cadre des rendez-vous L.A.D “1 Livre, 1 Adaptation, 1 Débat.”

Distribution

Avec : Sandra Duca.

Créateur

Adaptateur et metteur en scène : Jacky Katu 

D’après le roman “Refus de témoigner” de  Ruth Glüger.
M.A.S Production.

Les samedis à 14 h 30, d’octobre à décembre 2019, en alternance une semaine sur deux avec “Comment j’ai dressé un escargot sur tes seins

Au Théâtre de la Contrescarpe, 5 rue Blainville, Paris Ve.

Durée : 1 heure. Débat : 30 minutes.

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2 réflexions au sujet de ““L’Exception”, la force vitale de la mémoire”

  1. Depuis 1945 ce sujet est traité en permanence par la littérature, le cinéma et la performance éphémère de la représentation théâtrale. Le plus souvent avec une telle émotion que l’on finit par oublier (relativiser diraient les chroniqueurs des chaines d’info) les atrocités de Staline qui, pour certains, a dépassé Hitler sur l’échelle de l’horreur.
    Mais le sujet demeure, même si la lumière portée sur les épreuves individuelles projette parfois une ombre hypocrite sur les massacres collectifs. Théâtre vient du mot grec « theatron » qui signifie lieu où l’on regarde. Oui, ouvrons grands nos yeux pour regarder dans toutes les directions et pas seulement celles que nous indiquent nos « maitres à penser cathodiques ».
    « L’Exception » a manifestement bouleversé Nathalie Gendreau au point de lui inspirer une de ses plus belles chroniques.
    Merci à Jacky Tatu et Sandra Duca

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