“L’ange de Dalkey Island”, Alain Teulié

Temps de lecture : 6 min

 

Extrait

“Après la disparition de ses parents, reprit Harry, elle a cessé d’évoluer, de grandir. Elle a mis mentalement un pied de l’autre côté. Molly est hantée par la mort. Fascinée. Voyez-vous, ma femme ne croit pas à la psychanalyse, ni à tous ses dérivés. J’ai longtemps cherché une idée. En vous rencontrant, je l’ai trouvée. Je ne dis pas qu’elle est bonne. Et si vous n’arrivez à rien de bien, croyez-moi, je ne vous en voudrai pas. Ce sera de ma faute. J’en prendrai l’entière responsabilité. Je ne crois pas aux miracles. Mais je crois que nous sommes assez évolués pour en créer…”

Avis de PrestaPlume ♥♥♥♥

“Trois êtres, trois générations, trois miracles”… mais des miracles à l’incarnation bien réelle. N’est-ce pas ceux qui sont les plus merveilleux, inattendus, percutants  ? “L’Ange de Dalkey Island” transporte l’âme et l’imagination vers une contrée pétrie de mystères. Un endroit qui inspire le rêve, qui impose le miracle comme une évidence. S’il devait en y avoir un, ce ne pourrait être que là, sur cette plage de Dalkey Island, en Irlande. Avec intelligence, Alain Teulié se joue des apparences, incline à faire croire et, brutalement, lève le voile du fantastique pour inviter, dans la danse des révélations, une réalité plus troublante, plus manigancée, plus intéressée… mais une réalité révélée au nom de l’amour et de la transmission.

À quatorze ans, Molly a eu son compte de malheurs. Alors âgée de deux ans, un incendie a ravagé la vie de ses parents et son enfance sans parents. Ses grands-parents l’ont recueillie chez eux, à Dalkey Island. Solitude et tristesse accompagnent ses jours qui s’étirent dans un quotidien sans étincelle avec, pour seul ami, son journal intime… et peut-être aussi sa prochaine mort dont elle se plaît à échafauder les multiples circonstances. Un beau jour, sur la plage, elle rencontre un ange sous les traits d’un homme qui ressemble étrangement à son père, un père dont elle ignore tout, qui n’est accroché à aucun souvenir, le temps et le silence sur le drame ayant muselé la curiosité et les pleurs.

Le père de Molly est redescendu sur terre pour la consoler et répondre à toutes ses questions. C’est ce qu’il lui dit. Le miracle est trop beau, le père est trop parfait, si éloigné de ceux qui renvoient toujours les réponses à plus tard. Celui-ci en connaît un rayon sur tout, sur sa vie, ses préférences et sur l’au-delà. Et son âge n’est pas un frein  ! S’enchaînent alors les rendez-vous et les conversations philosophiques qui attachent le père et la fille dans une relation qui se construit jour après jour, sereinement, avec bonheur et simplicité, jusqu’au jour où la supercherie est démasquée.

Dans ce roman choral s’invitent tour à tour Molly qui n’attend rien, Harry le grand-père qui espère tout et Dylan le comédien désargenté. Une belle âme en peine, un grand-père, un comédien avec, pour dénominateur commun, l’amour. Peut-on tout résoudre avec l’amour  ? Peut-on mentir par amour  ? Un conte qui en cache un autre, plus puissant, plus touchant, plus révélateur. L’écriture limpide sublime les sentiments, sans heurt, avec dignité. L’émotion coule de source et abreuve le lecteur de formules, non pas magiques, mais polies par la fulgurance et le travail d’orfèvre. Une ondulation poétique qui berce et emporte le scepticisme loin pour éclairer l’avenir de sourires… et qui invite à s’interroger sur la vie, sur la mort, sur notre place, sur notre capacité à se créer des miracles.

Éditions Michel de Maule, 206 pages, septembre 2016, 18 €.


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 Interview de Alain Teulié, librairie “L’écume des pages”

Nathalie Gendreau. Avec ce septième roman, “L’Ange de Dalkey Island“, vous  flirtez avec le conte philosophique. Est-ce volontaire  ?

Alain Teulié. Oui, c’est à la fois un roman et un conte sur la magie de la vie, sur la synchronicité, sur la mort et la vie, l’au-delà et l’absence, l’amour et la transmission. Plus j’avance en âge, plus je trouve que la vie est miraculeuse. J’aime l’enfance, j’ai commencé l’écriture par un conte pour enfants, “Les bâilleuses” (2002). Ma mère m’a lu beaucoup de livres, et notamment des contes, chaque fois que j’étais malade, et je l’étais souvent. Cela a cultivé mon imagination. Je crois que ma seule chance dans ce monde, c’est l’imaginaire. C’est un cadeau incroyable. Cela m’a servi à écrire des livres et des pièces de théâtre, et parfois même à me sortir de situations que je croyais inextricables. J’ai adoré écrire ce livre, c’est mon préféré. Je l’ai dédié à ma mère. On oublie d’où vient l’idée d’un roman, mais je désirais faire le portrait d’une jeune fille d’aujourd’hui, différente et solitaire, car j’aime la solitude, et qui avait de la poésie en elle.

 

N. G. Dans un précédent roman “Pensées d’un père pour la fille qu’il n’a pas eue“, vous donnez des conseils à une fille imaginaire. Êtes-vous devenu le père que vous n’avez pas été en créant le personnage de Molly ?

A. T. Il y a un lien, forcément. J’avoue que j’aurais bien aimé avoir une fille qui aurait 18 ou 20 ans, pour lui transmettre quelque chose. J’ai été au bout de cette transmission avec ce livre. J’ai plus de 55 ans. C’est un âge où l’on a envie de transmettre. À travers moi, ce père décédé essaie de transmettre la paix à Molly. C’est bien cette paix intérieure que devraient transmettre les parents afin que leurs enfants s’aiment eux-mêmes pour pouvoir semer de belles choses et les faire pousser plus tard. Ce père est exactement celui que j’aurais pu essayer d’être. Mais j’aurais été certainement moins intelligent que le personnage, parce que trop inquiet. Et peut-être suis-je triste de ne pas être parent, parce que je n’aurais pas cette dignité de pouvoir laisser la place. Je n’ai peut-être pas eu cette humilité de créer un être pour ensuite lui laisser la place.

 

N. G. Pourquoi avoir choisi une Molly adolescente ?

 A. T. Je souhaitais parler aussi de l’adolescence. C’est un moment de grâce où l’on est traversé par des courants d’une violence inouïe. L’ado n’est plus qu’une fenêtre qui s’ouvre. C’est ce qui se passe pour Molly. Elle n’est plus qu’une grande fenêtre ouverte sur les miracles. L’adolescence est ce qu’il y a de plus dur et de plus beau. On ne s’en remet jamais vraiment. J’avoue qu’en devenant écrivain, on garde cette adolescence en soi. Je suis une Molly en puissance, toujours émerveillé.

 

N. G. Votre roman parle d’anges et de miracles. Quel est votre sentiment réel sur la question  ?

A. T. Ce qui me plaît dans ce roman, c’est que les trois personnages sont anti-conformistes à leur manière. Ils ne vivent pas selon des préceptes moraux. Ils essayent de saisir la magie de la vie au vol. J’ai pu faire dire à ce père revenu de l’au-delà toute cette magie de la vie, mais c’était difficile de le faire par un soi-disant vivant. Je crois à 100  % le discours du père de Molly. C’est le résultat de beaucoup de lectures, de voyages, de notes. Parler de la vie sans parler de la mort est une folie. Nous sommes tous vecteurs et créateurs de miracles. Je ne doute pas une seconde que ceux qui sont partis nous environnent. Je crois beaucoup à la pensée positive, à l’esprit créateur. Je crois que nous créons des miracles en dormant. Je suis même étonné que la plupart des humains ne se posent pas plus de questions sur leurs propres capacités.

 

N. G. Quel est votre processus d’écriture ?

A. T. Quand j’écris un roman, je tire le fil. Je ne sais pas où je vais, je construis mais à mesure. Je me suis inspiré d’une phrase magnifique, dont je n’ai pas retenu l’auteur, qui dit en substance que même si vous traversez les États-Unis d’est en ouest la nuit, même si vous savez que vous allez de New York à San Francisco, les phares n’éclairent que quelques mètres devant vous. Pour moi, écrire, c’est comme rouler la nuit avec des phares qui n’éclairent qu’à deux mètres, pas plus. Il faut accepter de savoir où l’on va sans savoir encore ce qui va nous arriver sur cette route. Et trop prévoir un roman, c’est comme trop prévoir sa vie. Il faut prévoir un peu et laisser faire la providence.

 

N. G. Quels sont vos projets  ?

A. T. Je viens d’achever deux pièces de théâtre que je vais essayer de faire monter  : “Un matin dans la vie” et “Une maison près de la mer“. Ce sont des pièces contemporaines, contrairement au “Dernier baiser de Mozart” joué actuellement au Théâtre du Petit Montparnasse. J’ai commencé un roman sur une histoire d’amour très particulière, dans laquelle je voudrais démontrer qu’entre le sexe et l’amour il y a une paroi étanche. Nous vivons depuis des siècles une grande erreur, surtout au XXe et XXIe siècle, depuis que nous sommes libres de nous marier. Nous sommes à la quête de l’être que nous allons aimer comme des frères, des sœurs, et à la fois nous voulons les désirer et pendant trente ans si possible. Ce livre donnera de petites solutions pour l’avenir, parce que nous évoluons dans tous les domaines, sauf dans les mœurs. Je suis donc en train d’écrire ce roman idéal d’une histoire d’amour où le couple va essayer de trouver une nouvelle solution de relation. Pour moi, tous ces sites de rencontres ne sont que la preuve de cette misère amoureuse et sexuelle, ils sont la preuve de son absence.


 

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