THÉÂTRE & CO
Avis de PrestaPlume “Coup de cœur”
Impensable, ambitieux, fou, périlleux. Sur le papier, tous ces qualificatifs sur le spectacle Horowitz, le pianiste du siècle battent la démesure. Sur scène, ce 3 février 2018 à la Salle Gaveau, à Paris, ils s’inclinent devant la simplicité des talents réunis et la pureté des interprétations, au premier rang duquel Vladimir Horowitz. Le virtuose à la vie tourmentée, l’explorateur de l’ombre et de la lumière. L’aventurier ardent défenseur de sa différence. Un homme qui a traversé le XXe siècle avec la musique comme seul guide. Pour restituer le jeu de ce pianiste disparu en 1989, Claire-Marie Le Guay incarne ce même cœur qui bat le tempo avec fougue et dextérité. Pour soutenir cette âme forte, Francis Huster offre son timbre sans nul autre pareil, qui fait remonter des profondeurs de l’oubli une histoire passionnante et singulière. Après avoir accordé le pianiste à sa musique et à son parcours, le metteur en scène Steve Suissa lui insuffle la vie grâce à un mur d’images et de séquences filmées. Des souvenirs d’un monde sépia, des instantanés de drames et des éclats de notes. La trinité indivise d’un destin glorieux.
La Salle Gaveau bruisse de murmures et d’impatience. Bientôt, le rideau va se lever sur Claire-Marie Le Guay et Francis Huster qui vont raviver l’âme de Vladimir Horowitz, un artiste admiré de son vivant et de nos jours, autant par le public que par ses pairs. Au cours de ses récitals, il aura fait moisson de surnoms qui font échos à sa puissance de jeu et ses prouesses techniques : Roi des rois parmi les pianistes, L’ouragan des steppes ou encore Le dernier romantique. Le souffle semble comme suspendu à l’idée d’assister à l’apparition d’un monstre sacré réincarné dans la modernité de l’instant. Le rassembler autour des mots qui relayent une existence hors du commun, des musiques que le pianiste aimait jouer et de l’album photo de ses souvenirs cristallise l’ardent désir de Francis Huster d’expliquer l’homme en miroir de sa carrière retentissante entrecoupée de tristes pauses. Il restait à associer un cœur animé de justice et dix doigts fuselés exaltés de beauté pour restituer la grandeur d’un musicien à l’aune d’une personnalité complexe et fascinante.
Soudain, le silence et des flots de lumière se concentrent sur un piano Steinway & Sons et un confident, siège en forme de S. Puis les mots, les notes et les images conjugués font irruption, donnant l’illusion de l’entrée en scène du virtuose. D’un côté Claire-Marie Le Guay prête ses mains légères et fougueuses aux airs préférés du Roi des rois parmi les pianistes. De l’autre, l’hôte de l’âme d’Horowitz, Francis Huster porte l’élégance jusqu’à l’économie de gestes, jusqu’au velours de la voix, jusqu’aux emportements du cœur. En fond de scène, deux écrans en quinconce donnent corps à l’homme né en 1903 en Ukraine qui aura approché de nombreuses fois la mort, traversant des régimes autoritaires et la révolution bolchevique, fuyant les conflits mondiaux et combattant la dépression chronique avec le même courage. Sont aussi évoqués ses parents aimants, son envie d’apprendre le piano à cinq ans, son entrée au conservatoire de Kiev, sa passion pour la musique, ses premiers récitals à Berlin et Hambourg, Paris et les États-Unis, ses rencontres décisives (son professeur Alexandre Scriabin ou le chef d’orchestre italien Arturo Toscanini), les disparitions tragiques de ses parents, de ses sœurs et frères et surtout de sa fille Sonia à 40 ans. Pour rapporter cette existence blessée, les grands airs des compositeurs comme Mozart, Liszt, Chopin, Schumann, Rachmaninov, Bizet, Ravel… accompagnent tous ses moments de vie, aussi bien dans la peine que dans la joie.
Le tourbillon de la musique s’impose-t-il à Vladimir Horowitz pour conjurer le malheur, transcender la douleur ou l’entourer de douceur ? En signant un texte d’une musicalité et d’une délicatesse inouïe, Francis Huster propose un livret à la mesure des partitions interprétées pour réunifier sans fioritures l’homme et le virtuose. Alternant fermeté et légèreté, intensité et fragilité, truculence et simplicité, les mots résonnent par leur évidence et les idées par leur justesse. Ils bouleversent et marquent les esprits. L’écriture factuelle embellie de poésie et d’humour parle à tous les cœurs, qu’ils aient été bercés ou non par le Concerto n° 1 de Tchaïkovski. En apportant ce souffle épique artistique au parcours incroyable d’un homme seul sans papiers sans argent parvenu au faîte de la reconnaissance, les deux artistes et le metteur en scène réussissent leur pari d’un spectacle exceptionnel vibrant au diapason d’Horowitz, lequel n’aimait que l’inaccessible. De là à croire que l’inaccessible pousse à l’atteindre !
Texte et photos de Nathalie Gendreau
Petit plus : Francis Huster a publié récemment “N’abandonnez jamais, ne renoncez à rien“, au Cherche-Midi Editeur.
Petit plus : Les dates des concerts à venir de la pianiste Claire-Marie Le Guay.
Pour en savoir plus sur Vladimir Horowitz : Biographie.
Distribution
Avec Francis Huster et Claire-Marie Le Guay au piano.
Créateurs
Auteur : Francis Huster
Mise en scène : Steve Suissa
Production : Jean-Marc Dumontet Productions
En tournée en 2019 pour une soixantaine de dates.
Durée : 1h30.
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1 réflexion au sujet de « “Horowitz, le pianiste du siècle”, l’inaccessible à portée de mains »