Une pièce oscillant entre drame et comédie
Dans un climat de guerre latente, ponctuée d’attentats, la vie s’écoule à Beyrouth. Comme elle peut. Comme son peuple l’entend. Pour survivre, pour conjurer le malheur larvé qui plane sur ce beau pays. Jouée au théâtre du Gymnase, la pièce de Rémi De Vos, « Beyrouth Hôtel », s’inscrit dans ce paysage de conflits qui donne le ton et le sel à un choc culturel entre l’Occident et l’Orient. Il imagine une rencontre entre un auteur dramatique français, un égocentrique raté et désabusé, et une réceptionniste libanaise affriolante, boulimique de fêtes et d’insouciance. Pendant cinq jours, cet auteur attend son rendez-vous avec un metteur en scène local qui se disait intéressé par sa pièce, mais qui demeurera aux abonnés absents. Une confrontation culturelle, émaillée d’incompréhensions, alternant entre rapprochement et rejet, s’installe alors entre la jeune femme dont l’appétit de vie fait injure à l’humeur chagrine et anxieuse de son client. Oscillant entre drame et comédie, « Beyrouth Hôtel » est une invitation à un duel entre deux états d’esprit face au réel, deux êtres en attente d’un meilleur, une femme et un homme que leur culture sépare, mais réunis dans cette quête insatiable d’amour. Le tout bercé au rythme d’un juke-box capricieux, qui valse entre musique orientale et occidentale, comme si l’intention première était de faciliter la relation de ce couple improbable. À tout prix. Pour leur bien. L’espace d’un cessez-le-feu intérieur.
Une dimension dramatique flotte au-dessus de l’histoire
Dans le contexte de guerre que mène la Russie contre un pays frère, « Beyrouth Hôtel » nous renvoie brutalement à l’actualité explosive en Ukraine. Plus actuel, c’est impossible. Cette dimension dramatique flotte au-dessus de l’histoire, d’autant plus qu’à l’étage se joue l’épique Laurence d’Arabie, dont les lointains combats font résonner, par moments, un tremblement étouffé. Nous voilà quasi plongés dans une réalité déportée, qui étreint et retient sous les voutes de la salle Marie Bell. Cet invité surprise acoustique ajoute une tension dramatique à la comédie. L’atmosphère en devient étrange et sert à propos le thème de la pièce, que quelques réparties comiques atténuent. Peu à peu, ce lieu confiné circonscrit à la réception d’hôtel, où tentent de s’apprivoiser deux êtres en perdition, devient un cocon protecteur où chacun déposera ses humeurs, joyeuses ou sombres, ses craintes et ses espoirs, et ses attentes de l’autre. De celui qui n’existe pas encore et de celle qui n’existe plus. Le décor léché et les lumières mouvantes subliment l’intimité. La mise en scène d’Olivier Douau utilise l’espace restreint avec intelligence. En attribuant le côté jardin à la réceptionniste et le côté cour à l’auteur, il permet à leurs entrées et sorties de rythmer les jours et les heures qui s’égrènent inexorablement vers une issue incertaine.
Des comédiens incarnés
La magie opère grâce à la sincérité et à la justesse des deux comédiens qui déploient un jeu subtil. Nathalie Comtat et Olivier Douau forment un duo de choc pour ce huis clos, où légèreté voisine avec gravité. la comédienne incarne une Libanaise affriolante, aux déhanchés langoureux et à la joie de vivre vorace et insatiable. Elle représente une jeunesse qui vit au jour le jour, le cœur en fête, malgré les attentats récurrents. Son insouciance est piquante, exotique, rafraîchissante. Elle donne une leçon d’espoir désespérée qui remue les tripes. La comédienne est flamboyante dans ce rôle, comme taillé sur mesure. Par opposition, Olivier Douau revêt le costume du vieux grincheux, dépressif, conscient de sa vacuité émotionnelle. Il pourrait se battre pour être heureux, mais il se complaît dans sa nature ombrageuse, plaintive, désorientée. De détestable, le comédien parvient à rendre son personnage émouvant. On se surprend à être indulgent, en observant son lent réveil à lui-même, à travers ses coups de fil à son ami Marco et à sa femme qui vient de le quitter. Olivier Douau irradie d’une densité émotionnelle équivalente à celle qu’il dispensait dans « Un contrat », un excellent polar théâtral de Tonino Benacquista (1999).
Nathalie Gendreau
©Nathalie Gendreau
Distribution
Avec : Olivier Douau, Nathalie Comtat
Créateurs
Auteur : Rémi De Vos
Metteur en scène : Olivier Douau
Création lumière : David Ripon
Décor : Jean-Bernard Tessier, Monia Nabli
Le mardi 22 et le mercredi 23 mars à 20 heures
Avril 2022 (2 dates) : Théâtre de l’Adresse (Festival Indépendances – Avignon)
Du 7 au 30 juillet 2022 : Théâtre de l’Adresse (Festival OFF – Avignon)
27 janvier 2023 : Théâtre Le HangArt (13004 – Marseille).
Au théâtre du Gymnase – Salle Marie Bell, 38 Boulevard Bonne Nouvelle, Paris Xe.
Durée : 1 h 10
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Nathalie Gendreau a raison de noter que cette pièce, « Beyrouth Hôtel », nous renvoie à l’actualité dramatique qui se déroule en Ukraine, pauvre pays transformé en prétexte à l’agression de son ombrageux voisin…
Car le multiculturalisme qu’on nous propose aujourd’hui en Europe ressemble fort à celui qui à quasiment détruit le Liban en moins de 50 ans. Choc entre chrétiens et musulmans hier au Liban, choc entre russophiles et europhiles aujourd’hui en Ukraine, quelle différence si l’un veut toujours asservir et remplacer l’autre ?
Dans « Beyrouth Hotel » Nathalie Gendreau note la projection du film « Lawrence d’Arabie » qui raconte l’intervention surprise d’un officier anglais envoyé pour organiser la révolte des arabes contre les Ottomans. En Ukraine aussi l’élection surprise d’un acteur à la Présidence de la République produit des résultats imprévus et aujourd’hui dramatiques.
Ce décor et ces références semblent bien convenir aux deux acteurs qui se cherchent dans cette pièce de Rémi de Vos.