“Un contrat”, du polar dans les règles de l’art duelliste

Temps de lecture : 3 min

THÉÂTRE & CO 

Avis de PrestaPlume  “Coup de cœur”

Critique éclair

Manquer ce duel psychanalytique eut été dommage. « Un contrat », seule pièce de théâtre (1999) de Tonino Benacquista, est un polar théâtral hors norme, aux dialogues percutants, à l’humour noir et au raisonnement subtil. Défini par son auteur comme un « western psychanalytique », la tension et le suspense montent crescendo dans une salve ininterrompue de répliques qui font mouche et percent les carapaces des deux protagonistes. C’est un duel au sommet de l’intelligence qui se déroule en deux actes et un épilogue au théâtre du Gymnase Marie-Bell, où le silence est polymorphe. D’un côté, la loi du silence du chef de gang angoissé et, de l’autre, le secret professionnel du psychanalyste de renom. Haletante et captivante à la fois, la confrontation est menée avec des nuances de jeu d’une justesse rare de la part des deux comédiens, allant pour l’un de l’écoute bienveillante à l’écoute contrainte, et pour l’autre des menaces aux révélations. Ce duel psychologique, dont l’issue reste imprévisible, atteint son apogée à la dernière réplique. Du grand art ! Patrick Seminor (le psychanalyste) et Olivier Douau (le chef de gang) font montre d’une belle présence scénique, judicieusement orientée par le metteur en scène Stanislas Rosemin. Économie de gestes, silences éloquents, peur à fleur de peau, regards pénétrants forment un tout palpable qui donne corps aux mots et à leurs conséquences. Remarquable !

Résumé

Sous la menace, un psychanalyste se voit contraint d’accepter un nouveau patient. Ce dernier détonne de sa patientèle, c’est un tueur devenu patron d’une organisation criminelle. Son quotidien est de faire exécuter des contrats pour la bonne marche des affaires de ses clients. Dans sa position, toute fêlure tant physique que mentale conduit à une voie de garage. Dans ces milieux-là, l’autorité est fragile. Ses crises d’angoisse sont apparues subitement, apparemment sans raison. Elles s’expriment par l’emballement du cœur, le mal au ventre et la suffocation. Guérir et guérir vite lui est vital  ! Pour cela, il est prêt à tout déballer, sans pour autant s’allonger sur le divan. « S’allonger » dans son milieu est le début de la fin  ! Mais, tout déballer pour celui dont la survie dépend du silence n’est pas sans danger pour celui qui écoute, bien que tenu par le secret professionnel. Peu à peu, le duel se met en place, où chacun touche son adversaire, marque des points, esquive les pièges, botte en touche, se ramasse pour mieux asséner l’argument qui… tue. Les forces sont égales, l’intelligence de même vivacité. Nul ne peut prédire qui prendra définitivement le dessus. Le psychanalyste enfreint alors la règle de l’écoute pour guider le tueur vers ce qu’il croit être le nœud du problème de son patient bien impatient. Il s’implique plus que de raison pour en être débarrassé au plus vite. Mais la fin de l’analyse ne signifie-t-elle pas sa propre fin ?

Pour approfondir

Un bureau et un divan pour tout décor signent d’emblée le contrat narratif entre les comédiens et les spectateurs. Justement nommé, « Un contrat » met en opposition deux codes professionnels sur la loi du silence qui se fait, dans cette pièce, à la fois arme et protection. Dans une joute morale et psychologique, les deux personnages en viennent à s’identifier l’un à l’autre, dans un système de transfert bien connu. Placés dans une situation hors de leur champ habituel, le psychanalyste et le tueur font des entorses à leurs règles pourtant vitales dans leur profession respective. L’affrontement dialectique prend les détours d’une partie d’échecs dangereuse, où chacun questionne la conscience de l’autre sur les thèmes de la peur de la mort, de l’impunité et de la culpabilité.

Dans le rôle du psychanalyste, Patrick Seminor joue avec le silence et les mouvements minimalistes du corps. Tout en prudence et retenue, que lui confère son statut de praticien. Sous la menace, le silence cède le pas à la parole, pour se faire guide. L’angoisse psychosomatique du tueur change de camp pendant les séances. Le jeu de Patrick Seminor est de transposer cette angoisse sourde et pourtant palpable, ce qu’il parvient à exécuter avec force et sobriété, pour s’en libérer. Olivier Douau est un chef de gang crédible, redoutable et drôle à la fois. Sans fioritures, il mène son personnage pressé, qui s’interroge sur son choix de vie, son premier menu larcin – une montre pourtant usée et invendable –, son premier mort et les suivants. Rien de plus normal, n’était-ce pas son métier de tuer ? Olivier Douau ménage ses effets d’une grande variété, projetant tour à tour le trouble et l’empathie. Malgré soi, on s’entiche du personnage, qui ne manque pas de facétie décalée. Par moments, de manière impromptue, le jeu d’Olivier Douau rappelle celui de Jean-Pierre Marielle. Sidérant au point d’être accroché aux mots et à leurs échos émotionnels qui ricochent en soi.

Nathalie Gendreau
© Patrick Denis


Distribution

Avec : Patrick Seminor et Olivier Douau

Créateurs

Auteur : Tonino Benacquista
Metteur en scène :  Stanislas Rosemin
Lumières : David Ripon 

Du jeudi au samedi à 20 H 30 jusqu’au 21 mars.

Au théâtre du Gymnase Marie-Bell, 38, boulevard de Bonne Nouvelle, Paris Xe.

Durée : 1 h 15

2 réflexions au sujet de ““Un contrat”, du polar dans les règles de l’art duelliste”

  1. « Remarquable ! » écrit Nathalie Gendreau dans sa critique à propos de « Le Contrat ». En attendant de voir la pièce c’est le mot que je choisirais pour qualifier cette critique qui, comme dans un strip tease intégral, dévoile minutieusement, et presque amoureusement, les qualités de l’œuvre en gardant pour la fin ce que beaucoup nomment « le meilleur ». Et ce meilleur c’est au théâtre Gymnase Marie-Bell que vous le trouverez. Nulle part ailleurs. Remarquable !

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