Extrait
“Je viens de voir la mort !
Ce mot me glace. J’en tressaille. Je ressens mes vêtements mouillés, mon corps transi, le froid, le vacarme, l’eau qui bouillonne, le goût de terre dans la bouche. Les images fond la ronde dans ma tête, pas besoin de télévision et de chaîne d’infos. Cette femme âgée qui cherche son mari, ces gens hagards, ces deux jours de détresse, et moi perdu au milieu de ces zones sans âme.” (page 73)
Avis de PrestaPlume ♥♥♥
C’est un sixième roman pour Dominique Lin, un auteur qui se plaît à observer l’effervescence du monde et les résonances chez l’homme. “Un goût de terre dans la bouche“, aux éditions Elan Sud, pose la question existentielle de son propre parcours sur cette terre, avec son lot de rencontres, d’opportunités saisies et manquées, et celles dont il aurait fallu s’écarter. Un matin, vous vous levez et vous ne vous reconnaissez plus dans le miroir. Quelque chose a bougé dans la nuit, l’enfant que vous avez été s’est réveillé, il vous a pris la main et ne vous lâche plus. Cet inconnu que vous êtes devenu, ce robot qui obéit aux défis imposés par le système, vous n’en voulez plus. Ce roman, aux accents fantastiques du conte, est un road trip intrigant qui se focalise sur le discernement d’un homme sur la vacuité de sa vie, cet inconnu pour ses rêves déchus qui ne retrouvera son identité qu’avec le mot fin.
“J’ai rendez-vous avez moi, mais je ne sais pas encore où je vais me trouver.” L’homme a 35 ans. Il découvre soudain dans le miroir qu’il ne connaît pas l’homme qui le regarde. Il gardera cette inconfortable révélation en lui les jours suivants, sans en parler à quiconque. Il se rendra au séminaire prévu par son entreprise, où il est un cadre dynamique qui court après le temps et les contrats. Il court tellement vite qu’il a perdu en chemin un peu de ses rêves, un peu de son âme. Alors qu’une tempête fait rage à l’extérieur et qu’une inondation menace, il quitte le séminaire et prend sa voiture pour rentrer chez lui. Cette inondation est un formidable prétexte pour s’enfuir, il n’imagine pas qu’il va affronter les éléments qui auront raison de lui… enfin, de son ancien “lui”. Car il décide de marcher droit devant lui, sans s’arrêter ni prévenir personne. Au cours de son périple, l’homme qui a choisi de tout abandonner fait des rencontres et retrouve le goût des autres et surtout de lui-même.
À l’heure du tout connecté et de la génération TGV, Dominique Lin fait l’éloge de la lenteur et de la saveur du temps. “Un goût de terre dans la bouche” se lit avec des images dans la tête. Celles des restaurants et des hôtels sans âme de seconde zone, mais aussi du don d’amour fulgurant et de passage. En cheminant au hasard de ses rencontres, le narrateur renoue avec son passé, les bons moments comme les moins bons, ceux où il avait encore des rêves plein la tête. Il s’interroge sur ses choix, ceux faits par obéissance et par défaut, ceux qu’il pensait être siens. L’abandon de sa vie aisée sans amour véritable lui fait lâcher ses peaux successives de déni et de concession qu’il avait accumulées en couches protectrices. Plus il s’enfonce dans la forêt de ses souvenirs, plus il se découvre. Et quand la nudité apparaît au détour d’un sentier, il devient enfin l’homme qu’il aurait dû être. L’auteur en merveilleux conteur voit de la poésie en toutes choses, oriente le regard différemment et montre la voie de la réconciliation avec son propre double grincheux ou mécontent.
Éditions Élan Sud, octobre 2017, 192 pages, 17 euros.
[wysija_form id=”2″]
Journaliste, biographe, auteure et critique culturel, je partage avec vous mes articles et avis. Si vous aimez, abonnez-vous !
Moi j’ai surtout aimé la galerie de personnages rencontrés, avec un faible pour le petit garçon que le narrateur était. D’accord pour l’éloge de la lenteur mais aussi de la liberté. Un roman à lire de toute urgence avec une fin surprenante.
Oui, la fin est inattendue et magnifique !
Merci pour la finesse de votre regard très bien transcrit dans cette chronique.
J’y ressens toute l’émotion de votre lecture, et j’en suis très touché.