♥♥♥♥♥
Un vaudeville transposé dans les années 50, sur fond jazzy
Amateurs de portes qui claquent, de courses-poursuites, d’éclats de voix et de coups d’éclat, vous serez servis. La comédie de Georges Feydeau en trois actes, représentée pour la première fois en 1894, au théâtre du Palais-Royal, à Paris, est un inclassable. Joué et rejoué, parfois surjoué, à user la corde du suspense, mais jamais les cordes vocales. Au théâtre Hébertot, c’est un vaudeville transposé dans les années 50, sur fond jazzy et de music-hall, que le metteur en scène Christophe Lidon nous propose de redécouvrir (création au théâtre Montparnasse en 2018).
Pour réinventer un Feydeau, qui ne compte pas parmi les plus affûtés, mais qui est archi connu, il fallait faire preuve d’une créativité audacieuse. Transposer à une époque ne suffit pas, évidemment. L’artifice de réinvention doit avoir du sens, une valeur ajoutée, servir la pièce pour la porter encore plus haut. Un défi qu’a relevé “haut les mains” Christophe Lidon avec une scénographie incluant des images vidéo en fond de scène prolongeant les décors et le jeu hors plateau. Ainsi, une fenêtre du salon du château de la baronne Duverger donne sur l’allée gravillonnée. Avant l’entrée des invités, nous assistons à leur arrivée, qui en voiture d’époque, qui à bicyclette, qui à pieds. Cet effet astucieux de passer du live à la vidéo, et vice versa, étire l’action tout en instaurant une respiration de quelques secondes… avant le retour à l’effervescence. Le tout soutenu par une bande-son jazzy qui fait danser les rires !
Le fil est à la patte de l’infortuné séducteur Fernand de Bois d’Enghien
Même si « Un fil à la patte » est dans tous les esprits, rappelons les faits pour éviter toute confusion légitime. En référence à l’expression argotique signifiant que l’on n’est pas libre de ses mouvements, le fil est à la patte de l’infortuné séducteur Fernand de Bois d’Enghien (Jean-Pierre Michaël). Impossible pour lui de rompre l’attache qui le lie à sa maîtresse Lucette Gautier (Noémie Elbaz), une chanteuse de café-concert à la mode qui l’aime à en mourir. C’est qu’il est un peu pleutre ce cuistre désargenté ! Mais peut-on se payer le luxe d’avoir une maîtresse lorsqu’on s’apprête à convoler en si opportunes noces ? Ce mariage arrangé devant l’extraire de son impécuniosité embarrassante.
Alors qu’il se débat contre son impuissance à rompre, la charmante chanteuse est invitée par la baronne Duverger (Catherine Jacob) pour fêter la signature du contrat de mariage de sa fille Viviane avec le si bien nommé Bois d’Enghien. À ces difficultés insurmontables s’ajoutent des enquiquineurs qui ne facilitent pas la vie de Fernand. Bouzin (Sylvain Katan), un clerc lunaire qui se pique de composer des chansons légères qui brillent par leur vacuité. Le général bolivien Irrigua (Bernard Malaka), l’infortuné amoureux de Lucette prêt à tuer quiconque briserait son rêve de la conquérir. La baronne Duverger, une mère aux idées pas si arrêtées sur les convenances. Et Viviane (Emma Gamet), la future mariée qui juge son fiancé un peu trop lisse, à la réputation bien trop propre sur lui, jusqu’à ce que les masques soient arrachés par un destin joueur. Sans compter les indispensables pique-assiettes et valets de chambre qui envoient du bois d’ambiance, interprétés par Stéphane Cottin, Patrick Chayriguès et Jeoffrey Bourdenet.
Le divertissement est joyeux, entraînant…
Ce Feydeau-là est exigeant, car nécessitant une énergie sans faille. C’est un tourbillon de vie, à l’image de l’époque d’un Paris festif, où la joie est débridée et les complexes rangés au vestiaire. En tout neuf comédiens qui tiennent leur personnage, voire plusieurs personnages, à bout de répliques fusées. Pas de rôles secondaires, chacun ayant son importance, ses traits particuliers et son capital comique spécifique.
Catherine Jacob joue la bourgeoise par excellence, tout en retenue feinte, lèvres pincées mais voleuses de baisers. Le corps sans cesse en mouvement, Noémie Elbaz incarne la sensualité que le frou-frou des robes « façon Christian Dior » renforce. Tantôt papillon, elle volète d’homme en homme pour y butiner une position sociale enviée. Tantôt mante religieuse, elle s’accroche à son Fernand pour aspirer toute résistance et en faire son homme. Cette attitude duale est parfaitement soulignée. Citons encore Sylvain Katan (Bouzin), qui parvient à rendre irrésistibles les travers de son personnage azimuté ou encore Bernard Malaka, le général à l’accent aussi tranché que son caractère ombrageux. Évoquons les performances d’Emma Gamet qui compose une malicieuse fiancée qui aspire à une vie dérangée, de Patrick Chayriguès qui parvient à rendre digne un être à l’haleine fétide, de Stéphane Cottin un parfait dandy superficiel et de Jeoffrey Bourdenet, un valet de chambre impertinent. Avec cette troupe aux rôles bien rodés, le divertissement est joyeux, entraînant et aussi attachant… que neuf fils à la patte.
Nathalie Gendreau
©Laurencine Lot
Distribution
Avec : Catherine Jacob, Jean-Pierre Michaël, Bernard Malaka, Noémie Elbaz, Emma Gamet, Jeoffrey Bourdenet, Patrick Chayriguès, Stéphane Cottin, Sylvain Katan
Créateurs
Auteur : Georges Feydeau
Metteur en scène et scénographe : Christophe Lidon
Assistante de mise en scène : Valentine Gallais
Lumières : Florent Barnaud
Costumes : Chouchane ABELLO-Tcherpachian
Musique : Cyril Giroux
Chorégraphie : Sophie Tellier
Vidéo : Léonard
Une création du Cado
Du mardi au samedi à 21 h et le dimanche à 15 h, jusqu’au 26 juin 2022.
Relâche le 1er et 11 mai.
Au théâtre Hébertot, 78 bis Boulevard des Batignolles, Paris XVIIe.
Durée : 1 h 50
Journaliste, biographe, auteure et critique culturel, je partage avec vous mes articles et avis. Si vous aimez, abonnez-vous !