“Tu es vraiment si pressé ?”, ou l’éloge du temps suspendu

Temps de lecture : 3 min

THÉÂTRE & CO 

Avis de PrestaPlume  ♥♥♥

Critique éclair

« Que faisons-nous de nos vies ? Comment vivre la solitude ? Comment aborder la vieillesse ? » Ainsi se présente l’argument de cette pièce d’une tendresse inouïe, où le passé et le présent se confrontent dans le confort d’un boudoir et l’inconfort des sentiments. Si les thèmes de « Tu es vraiment si pressé ? » sont universels et imposés par la marche du temps, Chantal Péninon et Denis Tison les évoquent avec poésie et une pertinence cruelle. Les émotions évoluent tel un menuet décalé, qui n’est que la transcription tangible et élégante d’un moment rare, hors du temps moderne, où la belle langue éclate en floraison, comme au temps où tenir salon avait du sens et de l’à-propos. Ce plaisir délicieux d’entendre une langue bien ourlée s’accompagne d’un jeu tout en finesse et réalisme. Le personnage de Chantal Péninon est une femme à la retraite qui loue une chambre de son appartement, habituellement pour de courts séjours. Or là, le client occasionnel (Denis Tison) semble vouloir prendre ses aises. Il s’installe dans la durée, questionne beaucoup autour d’une tasse de thé ou d’un verre de Pineau des Charentes, l’air de rien, mais inspiré par tout… jusqu’à ce que le masque tombe sur une vérité douloureuse. Les histoires du passé peuvent-elles être pansées, rafistolées, guéries ? « Tu es vraiment si pressé ? », au théâtre de Belleville jusqu’au 29 octobre, ouvre le chemin à des réponses aussi universelles que plurielles.

Résumé

Madame Lefort est veuve et sans enfant, parce que cela ne fait que des malheureux. Elle sait de quoi elle parle, elle-même ayant été abandonnée par sa mère dans un orphelinat religieux à l’âge de huit ans. Parce qu’elle souhaite compléter sa maigre retraite, elle loue une chambre à des voyageurs de passage. Ainsi ponctue-t-elle son quotidien de rencontres, dont le caractère éphémère préserve ses habitudes auxquelles elle tient. Monsieur Robin est un client venu pour affaire, dont il ne dit rien. Les jours passant, il s’installe dans les habitudes de la maisonnée, est présent au moment de la collation et fait volontiers la conversation. Chacun se raconte et déborde peu à peu des généralités sociales ou politiques pour évoquer la sphère privée. Les premiers amours, l’enfance, la vie d’adulte, la nostalgie, les regrets, la culpabilité, les fragilités, les douleurs, les manques, etc. Autant de sujets délicats à se remémorer pour l’un et l’autre, chacun explorant sa vie au rebours du temps et des non-dits. Monsieur Robin insiste, il ne se contente pas de souvenirs vagues, et s’ingénie à déclencher les confidences. Aurait-il le béguin pour sa logeuse ? Quoi qu’il en soit, il a une longueur d’avance sur Madame Lefort qui ne se doute de rien. Aura-t-il le courage de faire le premier pas vers elle ?

Pour approfondir

« Tu es vraiment si pressé ? » est une métaphore subtile du temps et de toutes ses variantes. Celui qui passe ; celui qui dure ; celui qui égrène les saisons et fait éclater les couleurs. Mais c’est aussi celui qui guérit les blessures ou qui les réveille à la faveur d’une rencontre fortuite. Au crépuscule des vies, certaines plaies mal fermées démangent le présent. Rares sont ceux qui ont l’occasion de le regarder en face pour y apporter enfin un baume. Avec talent et acuité, Chantal Péninon et Denis Tison mettent en mots ce moment inespéré où une réconciliation avec la douleur est à portée de confidences. Confronté à son passé, le personnage prendra-t-il le parti de l’affronter ou le balayera-t-il d’un refus définitif ?

Le suspense est ménagé avec finesse jusqu’à la confession de M. Robin. À ce moment-là, l’intensité des échanges monte d’un cran, chacun se dévoile dans son caractère nu, laissant libre cours aux émotions, sans plus de retenue ni de convenances. Les comédiens sont criants de sincérité et de naturel. Leurs échanges créent une intimité avec le public telle que l’empathie pour les personnages ne faiblit pas jusqu’à la fin. La mise en scène de Claudine Guittet est efficace par sa sobriété. La scénographie ne donne pas dans le factice. On se croirait dans l’appartement de Madame Lefort, tant le tableau est réel, impression confortée par la variété des accessoires et les nombreuses tasses de thé et verres de Pineau des Charentes savourés. On aimerait tant trinquer à leur santé ! Par attachement pour les personnages, mais aussi par reconnaissance de nous avoir donné à voir et à entendre une pièce sur le temps d’une vie, un sujet universel qui a suspendu le temps à leurs lèvres l’espace d’une heure et quart.

Nathalie Gendreau
©Chantal Péninon


Distribution

Avec : Chantal Péninon et Denis Tison

Créateurs

Auteurs : Chantal Péninon et Denis Tison

Metteuse en scène : Claudine Guittet

Les mercredis et jeudis à 19 heures, jusqu’au 29 octobre.

Au théâtre La croisée des Chemins – Salle Paris-Belleville , 120 Bis, rue Haxo, Paris XIXe.

Durée : 1 h 15.

1 réflexion au sujet de « “Tu es vraiment si pressé ?”, ou l’éloge du temps suspendu »

  1. Scenario original, interprétation émouvante, voilà encore une bonne recommandation de Nathalie Gendreau. En lisant ses lignes, et entre les lignes, j’ajouterais un motif supplémentaire pour aller voir ce spectacle qui, manifestement, interpelle et propose à chaque spectateur de se pencher lucidement sur son passé. Une consultation psychanalytique ? Peut être, mais bien agréable…

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