“Tourisme en péril – Redonner à la France la capacité de séduire”, Jérôme Tourbier

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Conférence aux Étangs de Corot (Ville-d’Avray), le 20 mars 2016

 

L’économie touristique française est un chef-d’œuvre en péril. C’est le constat que dresse dans cet essai Jérôme Tourbier, administrateur de la chaîne hôtelière internationale Small Luxury Hotels of the World et dirigeant de deux hôtels alliant luxe et charme avec Alice, son épouse (1). Avec cet état des lieux fouillé et argumenté, qui sonne comme une alerte, il entend ne pas se laisser abuser par des chiffres encore très flatteurs, mais qui cachent une réalité plus préoccupante.

Voici 15 ans que ce couple s’est hissé dans l’offre touristique à la plus haute marche de l’excellence. Ardent défenseur du patrimoine et de l’art de vivre français, il parcourt le monde pour promouvoir la France et ses régions comme une destination haut de gamme. C’est justement lors d’un de ces voyages que l’idée d’écrire un tel livre a germé dans l’esprit de Jérôme Tourbier. À Sao Paulo au Brésil, l’une des villes au monde où la criminalité est la plus forte, une responsable d’agence de voyages lui a confié qu’elle préférait désormais envoyer ses clients à Dubaï, parce que Paris était trop dangereuse. Et cette perception de l’insécurité n’est pas isolée. Dans les salons du tourisme, il s’est rendu à l’évidence que le désir de France s’érodait. Et si sa culture, sa gastronomie, ses vins et ses paysages diversifiés ne suffisaient plus à la France pour séduire ?

Les chiffres officiels sont pourtant bons. 2014 aurait été une année record d’affluence, passant de 83 millions en 2013 à 85 millions de touristes. Pour Jérôme Tourbier, ces chiffres sont trompeurs. L’augmentation de fréquentation ne représente que 2 % alors que, dans le même temps, la croissance du tourisme dans le monde a été de 5 %. De plus, entre mai 2012 et septembre 2014, le secteur de l’hôtellerie a perdu 4,5 millions de nuitées. De surcroît, dans les nuitées sont comptés les voyageurs qui traversent seulement le pays et également les routiers ! Enfin, la France est le seul pays développé à reculer en revenus. « Est-il normal que les touristes dépensent trois fois plus en Allemagne ou en Espagne ?” interroge l’auteur.

Plusieurs facteurs participeraient de ce déclin lent et progressif, que traduisent les nombreux sondages qui déclassent la France dans plusieurs domaines. À commencer par l’hospitalité qui n’est pas au niveau exigé. Ce n’est un secret pour personne, chacun en aura fait son expérience. Sur le rapport émotion/prix, la France fait figure de très mauvaise élève. Les tarifs sont trop élevés pour un service qui ne fait pas la différence. Plus inquiétant, la France arrive en tête des pays les plus désagréables, selon un sondage Forbes. Ce serait la faute de Robespierre qui avait exigé de servir sans sourire, pour éliminer tout signe censé rappeler l’asservissement au roi. Dans son ouvrage “Petit éloge de la gentillesse“, le philosophe Emmanuel Jaffelin confirme cette vision. « La démocratie s’oppose à toute forme d’inégalité. On considère donc la gentillesse comme une attitude négative », écrit-il. Rendre service conduirait donc à une situation d’infériorité. De nos jours, cette froideur relèverait aussi d’une mode qui voudrait que le sourire soit la marque d’un manque de profondeur. Interviendrait enfin un aspect plus psychologique, le sourire étant le reflet trop visible des émotions. Il y a donc du travail sur la planche pour s’affranchir de ces atavismes !

Bien entendu, l’absence de sourire n’est pas la seule fautive, des causes structurelles sont également en jeu. « L’industrie du tourisme n’a pas échappé au recul de l’économie française depuis quinze ans, précise Jérôme Tourbier. Il y a eu un déficit d’offres et d’investissement principalement en région ». À cela s’ajoutent une fiscalité accablante, une administration lourde, des normes astreignantes, un plan haut débit qui peine à se déployer, une mauvaise coordination des organismes de promotion, une désaffection des jeunes pour ces métiers qui se fait plus cruelle encore dans le service. « Il y a un mépris culturel pour le métier de salle », regrette l’auteur. L’Éducation nationale et plus largement les autorités doivent réhabiliter la filière, accentuer la formation en langues. Charge aux patrons de valoriser le service en le rémunérant mieux, préconise-t-il.

Autre forme de mépris, le tourisme a longtemps été dilué dans un simple secrétariat d’État, alors qu’il mériterait bien un ministère à part entière pour représenter les 7,4 % du PIB, soit 150 milliards d’euros. De plus, il est le premier employeur en France ! « Cette activité pèse 1,2 million d’emplois salariés non délocalisables et 1 million d’emplois indirects. Il pourrait rapporter un point de PIB supplémentaire à la France et créer 100 000 emplois par an », souligne Jérôme Tourbier, convaincu que ce serait là une formidable opportunité de croissance en cette période de disette économique. Or, pendant que la France s’endort sur ses lauriers, la concurrence s’organise. Les USA et la Chine déploient de vastes plans dédiés au développement du tourisme.

Cependant, l’intervention de Laurent Fabius, alors ministre des Affaires étrangères chargé du Tourisme, déclarant le tourisme comme « trésor national », a ravivé les espoirs des professionnels du secteur. En juin 2014 aux Assises du Tourisme réunissant 400 acteurs de la filière a été dévoilé un plan de bataille de trente mesures de bon sens, dont certaines pouvaient être appliquées sur-le-champ : amélioration de l’accueil, investissement dans les infrastructures, sécurité, déploiement et accès facilité au numérique, simplification des normes, formations aux métiers de la restauration et l’hôtellerie, avec un baccalauréat technologique, etc. De bonnes intentions pour redonner à la France sa capacité de séduire dont Jérôme Tourbier espère qu’elles ne se perdront pas dans le maquis administratif. Une relance d’autant plus nécessaire qu’elle permettra d’insuffler une nouvelle dynamique jusqu’au plus profond des territoires à ces milliers d’entreprises artisanales et familiales asphyxiées par la crise économique.

« On ne paie pas les salaires avec des touristes, mais avec des euros », poursuit l’auteur, en évoquant le tourisme de masse. Il préconise de miser aussi sur les touristes internationaux à forte contribution. Pour cela, il est impératif de satisfaire aux attentes et aux exigences du client haut de gamme qui ont évolué. Désormais, cette catégorie de voyageurs souhaite une expérience unique, une offre authentique, sur mesure, diversifiée, locale et connectée. Une offre à laquelle la France peut parfaitement répondre. C’est à ce prix qu’elle pourra retrouver son rang de première destination touristique du monde.

(1) Les Sources de Caudalie, un ensemble qui regroupe un hôtel 5*, trois restaurants et le premier Spa Vinothérapie® au monde, sur le domaine viticole bordelais et “Les Étangs de Corot“, hôtel Spa 4* à Ville-d’Avray, aux portes de Paris.

 

Éditions JCLattès, février 2016, 120 pages, 15 €.

 

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