“Times Square”, un quatuor en Majestic

Temps de lecture : 3 min

THÉÂTRE & CO 

Avis de PrestaPlume  – Coup de cœur

Critique express

Manhattan. Un vieux loft new-yorkais. Matt Donovan (Guillaume de Tonquédec), un professeur d’art dramatique tout aussi défraîchi et craquelé que son appartement et qui noie ses illusions dans l’alcool. Robert Donovan (Marc Fayet), un homme mal marié, soumis à une vie trop terne depuis que son frère qu’il vénère refuse tous les scénarios. Sara « sans h » Bump (Camille Aguilar), une pétulante serveuse qui fait appel au professeur Donovan pour préparer le rôle de Juliette dans Roméo et Juliette, qui se donnera au Majestic. Tyler (Axel Auriant), un ex-GI au cœur pur qui cache ses troubles de stress post-traumatique dans le costume de Bunny. Ce quatuor improbable, aussi exubérant et loufoque que grave et tendre, a comme points communs une blessure non cicatrisée, le manque ou la perte de confiance en soi et la passion pour le théâtre. À la faveur de l’audition, ces quatre êtres vont se rapprocher, tenter de se tolérer, voire de s’apprivoiser. Merveilleusement soutenue par une écriture exigeante et intelligente, la nouvelle comédie de Clément Koch, « Times Square » (Théâtre Montparnasse) véhicule une puissance et une sensibilité d’égale intensité. Les répliques font mouche, les caractères antinomiques sont ciselés et leurs évolutions progressives. Les solitudes se frottent les unes aux autres avec bonheur, dans la fusion ou la scission, mais toujours avec l’ardeur des passions.

Pour approfondir

Après « La Garçonnière », Guillaume de Tonquédec est de nouveau sous la direction précise et inspirée de José Paul dans cette pièce qui nous donne à entrevoir les dessous du théâtre, et notamment l’apprentissage au métier de comédien. La méthode de son personnage est pour le moins baroque, mais efficace, si on en juge la métamorphose de Sara Bump qui apprendra à ses dépens qu’il ne suffit pas de connaître un texte par cœur pour se déclarer comédienne. Encore faut-il incarner une posture, un port de tête, un port de voix. D’ailleurs, pour cela, rien de mieux que de se mouvoir avec un Bottin sur le crâne et de le lire rapidement avec conviction. Que des exercices, apparemment sans rapport pour cette jeune aspirante à la réussite, mais qui paieront. Matt Donovan n’est-il pas le meilleur de tous les profs, même un peu défraichi et craquelé… et surtout imbibé de Whisky ?

« Times Square » est un cadeau par sa drôlerie, sa pertinence, son rythme effréné, ses réparties piquantes, par le plaisir qu’il diffuse. Les personnages sont tous perdus, chacun à sa manière. Leur rencontre leur ouvrira à tous un autre chemin, qu’il suffira d’emprunter. Encore faut-il le vouloir ! Faire le premier pas, à commencer par celui qui va vers soi, n’est pas si facile, surtout quand beaucoup de pas se sont égarés, pour ne pas dire fourvoyés. Cette comédie contemporaine est certes un immense hommage aux métiers du théâtre, à la nécessité de son existence pour le bien de tous, mais c’est aussi un regard tendre qui explore les relations fraternelles. Quand les liens se distendent, avec le temps qui déforme, avec l’usure des mots, que reste-t-il d’une entente, de la complicité de jadis, même quand l’amour est toujours là ? Le scénario de Clément Koch évoque en filigrane ce lien usé à la corde, qui ne tient plus que par un fil, et que la démonstration d’amour de l’un pour l’autre contribuera à retisser.

La performance des comédiens est à relever. Guillaume de Tonquédec peut décidément tout incarner. Il est magistral dans son rôle de prof bougon, de mauvaise foi, alcoolique, dépensant ses dernières forces à colmater les brèches d’un cœur qui n’aspire pourtant qu’à reprendre le cours de sa passion, qu’à s’attacher à l’autre, sans faux semblants. Le personnage de Camille Aguilar dans sa soif de brûler les planches est universel, il concentre à lui seul tous les espoirs, la candeur, la ferveur et la ténacité des débutants qui volent d’audition en audition, le cœur lourd et léger à la fois. Cette jeune et talentueuse comédienne est le symbole de ce combat quotidien pour sortir du lot. Elle y met toute son énergie et sa sincérité. Marc Fayet parvient à donner de l’épaisseur à son personnage dénué de personnalité. Il le rend attendrissant dans ses efforts à réveiller son frère de sa torpeur mortifère. Quant à Axel Auriant, excellent dans le biopic théâtral « Saint-Exupéry, le mystère de l’aviateur », il est attachant dans ce rôle taillé sur mesure – à l’image de son costume de Bunny. Sortie du fin fond de l’enfance, cette représentation amplifie le traumatisme vécu par Tyler, mettant en opposition l’innocence volée et les horreurs de la guerre qu’il a vécues.

Nathalie Gendreau
©Fabienne Rappeneau


Distribution
Avec : Guillaume de Tonquédec, Camille Aguilar, Marc Fayet, Axel Auriant

Créateurs
Auteur : Clément Koch
Metteur en scène :  José Paul
Assistant à la mise en scène : Guillaume RUBEAUD 

Scénographie : Edouard LAUG,
Lumières : Laurent BÉAL
Costumes : Anna BELEN PALACIOS
Vidéo : Stéphane COTTIN
Musique et son : Romain TROUILLET

Du mardi au samedi à 20 h 30 – Matinées le samedi à 17 h & dimanche à 15 h 30 jusqu’au 31 juillet 2021.

Théâtre Montparnasse, 31 rue de la Gaîté, Paris XIVe.

Durée : 1 h 30

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Pin It on Pinterest