“Sylvia Bataille”, Angie David

Temps de lecture : 3 min

 

Résumé

Issue d’une famille de juifs roumains immigrés en France, Sylvia Bataille est la cadette de quatre filles, les sœurs Maklès. Elles vivent à Paris, qui est alors la capitale de l’avant-garde, attirant les artistes du monde entier. L’aînée, Bianca, se marie avec Théodore Fraenkel, l’ami d’André Breton et des surréalistes, Rose devient l’épouse du peintre André Masson, Simone, celle de Jean Piel qui dirigera la revue Critique, et Sylvia est d’abord la femme de Georges Bataille avant d’être celle de Jacques Lacan. Autour de Sylvia Bataille se réunit tout ce que l’époque compte de talents. Celle dont le visage est resté gravé dans les mémoires grâce au chef-d’oeuvre de Jean Renoir, Partie de campagne, est une véritable égérie de l’entre-deux-guerres, l’une de ces femmes libres que l’on voit poser, seins nus, telles Lee Miller ou Nush Éluard.

 

Avis de PrestaPlume ♥♥

Quelle bien troublante biographie que voilà ! La couverture affriolante suggère liberté de ton et liberté de mœurs. En cela, le contenu est conforme à la photographie. Mais rien ne prépare le lecteur à ce maelström délicieusement infernal qui ne cesse qu’avec le mot fin. Quoi que, cesser est un bien grand mot tant la frustration gagne : la biographie de Sylvia Bataille couvre de sa jeunesse à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Mais après, rien n’est dit, alors qu’elle a poursuivi sa passionnante vie mondaine, rencontrant moult personnages qui ont marqué la vie culturelle de Paris. Après son mariage avec le psychanalyste Jacques Lacan, c’est le silence. Toute malice à part, Lacan aurait-il polarisé toute l’attention ? La bouillante Sylvia s’efface, la comédienne n’existe plus pour le grand écran et pour l’auteur qui, pourtant, lui voue une évidente admiration. Sylvia aurait brûlé toute sa correspondance, hélas ! Qu’aurait-on pu lire ? Une vie tempétueuse, faite de rencontres historiques, de déchirements et de désirs. C’est un parti pris respectable, mais qui interroge.

L’ambitieuse Sylvia Maklès rêve de lumière à l’heure où le monde s’assombrit. Jeune femme dans les années 20, à la beauté qui restera obstinément juvénile, elle se voit plongée dans un univers artistique et intellectuel gouverné par les Dadas, les surréalistes et les communistes. Elle y tutoie des hommes à l’esprit révolutionnaire et au prestige en devenir qui vont l’entourer, éduquer sa sensibilité, lui apportant ouverture et nourriture de l’esprit. Elle assiste, tout en y participant, à l’explosion de leur art dans ce creuset culturel en ébullition à l’heure où l’après-guerre catalyse exubérance et abus tant dans la créativité que dans les mœurs. Écrivains, peintres, cinéastes, comédiens, philosophes… s’aiment puis se déchirent, se réconcilient puis s’éloignent, certains meurent d’avoir trop vécu, d’autres  se soustraient au monde. C’est une époque où l’abondance et les rivalités artistiques et politiques n’épuisent que ses auteurs. Autant de génies autour de cette femme au caractère affirmé qui n’aspire qu’à gagner sa vie. Grâce à ses connaissances passionnelles, elle deviendra une comédienne adulée, mais jouant de malchance et abonnée aux rôles de l’éternelle amoureuse trompée, à la vierge effarouchée, qui la brideront dans sa carrière.

Si elle était vue comme la sœur cadette de Bianca, alors maîtresse de Théodore Fraenkel, l’ami d’André Breton et des surréalistes, elle s’imposera réellement en devenant la femme de Georges Bataille qu’elle épouse le 20 mars 1928 à la mairie de Courbevoie. Leur entourage les y avait incités, pensant que Sylvia et sa personnalité vive l’assagiraient, et le sortiraient « de cette spirale de débauche, sous peine d’y laisser sa peau ». Sylvia n’y voit pas d’inconvénient, détectant chez cet homme qu’elle trouve beau et plaisant quel brillant écrivain, quoique torturé, il est prêt à devenir. Sylvia a ce merveilleux don de discernement… pour les êtres d’exception. Lasse des infidélités, elle se séparera de ce génial dépravé, qu’elle avait pourtant fini par aimer, pour jeter son dévolu sur le psychanalyste Jacques Lacan, un irrésistible velléitaire qui finira par l’épouser.

Angie David, écrivain et éditrice aux Éditions Léo Scheer, adore à n’en pas douter les femmes au parcours d’exception. Sylvia Bataille est sa deuxième biographie après celle de l’écrivain Dominique Aury (“Histoire d’O“). Une histoire richement documentée, qui lui a valu le Goncourt de la biographie en 2006. “Sylvia Bataille” se distingue par sa narration plutôt inspirée du roman. J’ai aimé me laisser submerger par l’atmosphère d’une époque surexcitante, foisonnante, délirante, irraisonnable. Seulement, il n’est pas question d’une seule vie, mais de plusieurs dizaines. L’énumération semble ne jamais finir, à l’image des étoiles du système solaire… Masson, Breton, Prévert, Leiris, Desnos, Aragon, Limbour, Vilar, Valéry, Salacrou, Hemingway, Paulhan, Mallarmé, Carroll, Poe, Sade, Crevel, Miró, Éluard, Jouhandeau, Queneau, Duhamel… L’auteur passe de leur vie à leurs œuvres avec adresse et virtuosité indiscutables. Mais le vertige gagne, la confusion submerge. Heureusement, en filigrane, on s’attache à Sylvia l’éblouissante que la biographe hisse au statut d’étoile polaire, lui offrant un premier rôle digne de ses aspirations : sa vie assumée de femme émancipée, insoumise et libre.

Éd. Léo Scheer, septembre 2013, 285 pages, 20 €.

 

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