“Ramsès II”, où la perversion sublimée

Temps de lecture : 3 min

 

THÉÂTRE & CO 

Avis de PrestaPlume ♥♥♥♥♥

Être fou ou ne pas l’être, telle est la question que l’on se pose au sortir de Ramsès II, une pièce tragi-comique qui se donne aux Bouffes Parisiens. La question est claire, les réponses sont troubles. Habitué des scénarios torturés, d’apparence sans queue ni tête, l’auteur Sébastien Thiéry s’est encore surpassé en empruntant au monde de l’absurde une situation hitchcockienne perturbante. Bon sang ! Mais qui est fou dans l’histoire ? Les personnages ? L’auteur ? Ou les spectateurs ahuris, sonnés, désorientés ? Ont-ils vraiment vu ce qu’ils ont vu ? Si oui, pourquoi les personnages font-ils semblant ? Y a-t-il vraiment manipulation ? La perversité qui se dévoile jusqu’à l’outrance est-elle réelle ? On raisonne, on se raisonne, on veut résister à la déraison. Mais le drame familial qui déclenche des émotions contradictoires, entre rires et horreur, arraisonne les évidences, brouille la lucidité, et finit par échouer votre raison sur une plage d’insondables perplexités. Un coup de génie !

Matthieu (Éric Elmosnino), le gendre, apparemment frappé soudainement de démence, assène une phrase au premier acte qui pourrait être la clé de cette histoire labyrinthique qui conduit droit au tombeau pharaonique : « Lexplication se trouve au commencement, pas à la fin ». Le début est pourtant limpide. Jean (François Berléand) et Élisabeth (Évelyne Buyle) sont un couple de notables qui vit retiré à la campagne. À la suite d’un grave accident de voiture, quatre ans plus tôt, Jean est condamné à se déplacer en fauteuil roulant. C’est un homme diminué qui a deux passions dans la vie : l’Égypte et sa fille Bénédicte (Élise Diamant). Pour fêter le retour de leur fille et leur gendre Matthieu qui reviennent justement du pays des pyramides, ils les ont invités à déjeuner. Seulement voilà, Matthieu arrive seul et son comportement inquiète les parents. Mais où est Bénédicte ? Que lui est-il arrivé ? Ils craignent pour sa vie. L’aveu tombe : il l’a assassinée… Mais Bénédicte surgit à ce moment-là. Confusion et renversement de la situation. Alors le trouble s’installe, s’incruste et ne lâche pas sa proie. Mais à quel jeu joue-t-on ?

L’histoire est vertigineuse, interstellaire. Elle se joue en trois actes qui montent crescendo jusqu’au point de rupture de la folie. Elle est servie par un décor somptueux de Jacques Gabel. Un haut plafond, un étage que dessert un escalier appareillé d’un siège électrique, et des murs qui s’animent sous le jeu des projections tout en ombres et mystères. Peu à peu, la maison isolée s’apparente à un mausolée où flottent des relents de malédiction dans ce lieu qui vient de recueillir une réplique du masque mortuaire de Ramsès II. La mise en scène de Stéphane Hillel est le vaisseau qui permet d’embarquer le public dans ce voyage de la sidération pure. Tout est réglé à l’aune de l’absurdité qui change les polarités du normal et de l’anormal, où l’intrigue peut s’épanouir et s’émanciper de toute logique. Mais le plus impressionnant, c’est la présence concomitante d’émotions contradictoires. L’auteur et le metteur en scène ont réussi un cocktail détonant, rarissime, qui a donné vie à des répliques provoquant le rire et la stupeur tout à la fois.

Quant aux comédiens, ils flottent en apesanteur, le démentiel a l’air d’être leur élément naturel. Le stupéfiant Éric Elmosnino incarne un gendre à la perversité diabolique qui ferait pâlir d’envie Machiavel ou le marquis de Sade. Son ton à la fois traînant et candide, faussement étonné, à mi-chemin entre le benêt de service et la sainte-nitouche, provoque le malaise, l’inquiétude, puis l’angoisse. François Berléand, bien que jouant assis, est imposant dans son jeu de colère, d’incrédulité, puis de comploteur pour confondre son gendre tyrannique. Mais sa femme est sourde à sa raison, elle le croit devenu sénile. Ou alors, ça l’arrange de le croire ! Évelyne Buyle campe avec bonheur cette petite bourgeoise effacée seulement préoccupée par l’unité de la famille, même au prix de l’enfermement de son mari dans un asile psychiatrique. Quant à Bénédicte, quel masque porte-t-elle ? Celui d’une complice immonde qui fait semblant d’être trucidée pour rendre fou son père… à moins que ce ne soit une illusion, une hallucination de Jean et donc… du public ! Oh Secours ! Ramsès II est une pièce irrésistiblement drôle et terriblement dérangeante. Quelle claque !

Nathalie Gendreau

©Celine Nieszawer

Distribution
Avec : François Berléand, Évelyne Buyle, Éric Elmosnino, Élise Diamant.

Créateurs
Auteur : Sébastien Thiéry
Mise en scène : Stéphane Hillel
Assistante mise en scène : Marjolaine Aizpiri
Vidéo : Léonard 

Lumières : Dominique Borrini
Son : François Peyrony
Décor : Jacques Gabel
Costumes : Anne Schotte

Du mercredi au dimanche selon les jours à 15h, 17h ou 21h. En prolongation du 2 mai au 3 juin 2018.

Au Bouffes Parisiens, 4 rue Monsigny, Paris 75002.

Durée : 1h40.

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