“Pour unique soleil”, Joseph Agostini

Temps de lecture : 3 min

Extrait (page 41)
“Ludivine se retourne brusquement. S’écoulent de longues secondes d’un temps figé, dans une improbable répétition, recouverte d’un sédiment identificatoire si intime qu’il n’est partageable par personne. Elle hésite, vacille. Et pour la première fois, dit oui. Et si c’était ça, changer ? Cette approbation va au-delà d’elle. Elle doit s’affranchir d’une compulsion à décevoir. Par ce oui, elle transgresse un réflexe fatiguée. Elle habite une langue étrangère. A partir de ce moment-là, elle est devenue une machine à dire “oui”. C’est devenu une ivresse, un jeu brûlant. “J’ai accepté de prendre un café au bistrot avec cette petite conne”, dira-t-elle plus tard à son psychanalyste. C’était comme si… elle se regardait dans les yeux de l’autre… Et sans réclamer quoi que ce soit…”

“Pour unique soleil”, Joseph Agostini

Avis de PrestaPlume ♥♥♥♥

Dans son dernier roman, Joseph Agostini nous parle de la fascination qu’exercent des personnes médiatiques sur leurs « fans ». Celle qui peut virer à l’obsession, et même à un entrelacement d’obsessions. « Pour unique soleil » (Éd. Envolume) aurait pu s’intituler « Pour le miroir au soleil » – comprendre miroir aux alouettes – tant l’objet de la fascination se démultiplie, provoquant des imbroglios à répétition. L’auteur, également psychologue clinicien, élabore sa trame comme un jeu de dupes où les trois personnages se passent la balle autour du fantasme représenté par Daniela Lumbroso, laquelle ignorera jusqu’à la fin avoir été l’enjeu d’un trio névrotique. D’un côté, deux femmes qui l’idolâtrent et de l’autre une troisième qui emprunte son identité. La construction est assez astucieuse pour susciter le suspense et renforcer son intime conviction que ce jeu dramatique ne pourra durer une éternité. C’est le match psychologique et son résultat qui font tout le sel de ce roman qui aborde un fait de société intemporel  : le pouvoir des uns sur les autres. Brillant et captivant.

Résumé

Cathy a une passion dévorante pour Daniela Lumbroso. Elle connaît tout de la journaliste de télévision, elle ne vit que par elle, elle la compare à une étoile qui la guiderait dans ses actes et pensées. Son rêve de la rencontrer et de lui parler est en passe de se réaliser, lorsqu’elle croit la croiser par hasard au détour d’une rue. Elle a son allure, son sourire ; la jeune femme la trouve même seyante avec son foulard sur la tête. Seulement, cette femme s’appelle Ludivine, elle vient de se raser la tête sur un coup de tête. Elle est le sosie Daniela Lumbroso, elle ne le sait que trop ; elle est d’ailleurs déprimée d’être prise pour une autre et de devoir sans cesse infirmer. Ce qu’elle vit est si désespérant qu’elle se traîne dans sa vie, sans relations amoureuses ni désir. Lorsque Cathy – qui est prête à tout pour gagner un peu d’attention de son idole – l’accoste, Ludivine n’hésite plus  : elle confirme qu’elle est bien Daniela Lumbroso. Elle est bientôt tenue pieds et mains liés par cette réaction irrationnelle, irréfléchie, mais incontrôlable, qui vient combler la vacuité de son existence. Par ricochets, ses mensonges délibérés entraînent même des répercussions sur l’attitude de Diane, l’assistante de la journaliste, qui, à l’image de Cathy, est son esclave volontaire et ravie.

Pour approfondir

Avec « Pour unique soleil », Joseph Agostini aborde sans jugement les causes racines et les déviances de comportements que fait naître la fascination pour un être. Compte-t-elle différents degrés ? Sans doute. Est-elle une maladie ? Pour Cathy, c’est un antidote. Si le psychologue clinicien excelle dans la décortication de ce trouble névrotique, l’auteur nous passionne. Son récit intérieur à trois voix illustre avec force et habilité narrative les difficultés à préserver son libre arbitre, son indépendance affective. Mais il nous donne aussi à penser que si quiconque peut être absorbé par un objet de fascination, il peut tout autant reconquérir le sujet qu’il fut. Ainsi, les deux héroïnes vont jusqu’au bout de leur monomanie, de même que le sosie qui s’enlise dans l’emprise d’être un objet de fascination. Chacune, selon son parcours et ses failles, aura une prise de conscience salvatrice progressive. Bien sûr, le chemin de la guérison sera long et pénible. Mais l’important n’est-il pas de faire le premier pas ? C’est celui qui coûte, mais aussi qui libère… ou plutôt qui dissout l’obsession comme neige au soleil !

Nathalie Gendreau

Éditions Envolume, 11 mai 2021, 200 pages, à 17,90 euros.

1 réflexion au sujet de « “Pour unique soleil”, Joseph Agostini »

  1. Quelle bonne idée que ce roman. Utiliser un vrai phantasme masculin, je suis témoin mais je ne dirais rien, pour le transformer en phantasme féminin et traiter (l’auteur est aussi psychologue) le phénomène des fans qui ne sont pas toujours à l’école de Jacques Martin. Car un fan est parfois dépendant de son idole et cela peut le conduire jusqu’à la névrose… et parfois même jusqu’à une forme d’esclavage dont l’idole peut être tentée de profiter.

    Dans ce roman-malin l’idole n’est pas l’idole… mais le phantasme est le phantasme. On ne peut qu’être curieux de voir comment l’auteur va s’en sortir. Apparemment très bien puisqu’il a retenu l’attention de Nathalie Gendreau, qui donc connait le dénouement. Mais, chut ! C’est une surprise…

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