PORTRAIT PASSION
Pour la bonté, le beau et le bonheur, Marianne Guillerand a un formidable appétit. Chef d’entreprise à la vingtaine, comédienne et auteure à la trentaine, elle se révèle artiste plasticienne à la quarantaine. L’art du collage s’est imposé à elle comme une évidence qui n’attendait que son heure. Aujourd’hui, elle offre une renaissance à des objets voués au rebut. Elle les enveloppe de coupures de magazines et les ourle à la feuille d’or. Sa dernière exposition, « L’Arche imaginaire de Marianne », est un bestiaire lesté de symboles. Ce vaste projet a éclos en elle en 2015, après les funestes heures de Charlie et du Bataclan, comme un besoin viscéral de passer par le monde animal pour se réconcilier avec l’homme. Rencontre.
À la Galerie d’Art & Design de Sophie Lacasse, à Paris, on croise de bien extraordinaires animaux dans l’exposition « L’Arche imaginaire de Marianne », une création de la plasticienne Marianne Guillerand. Habillés d’or et de couleurs, et témoins d’un temps qui fut, ils nous content une histoire fabuleuse empreinte de symboles. Là, un poisson frétillant de lumière qui a survécu au Déluge. Là encore, une tortue à la carapace enluminée qui vous invite du regard à cheminer en paix, à pas lents, mais sûrement. Plus haut, sur une étagère, une hirondelle avec des éclats de ciel sur les ailes qui rassure les marins d’une terre prochaine. Sinon la Promise, au moins un asile. Ici, tout près, un cheval fougueux qui s’élance, libre de vivre ses désirs. Ou encore, un éléphant la trompe levée, l’énergie massive tendue vers l’avenir. La lumière, la paix, le foyer, la liberté et l’avenir sont quelques-uns des mystères de l’univers que Marianne Guillerand désire sublimer dans ses œuvres d’art fait de collage, de passion, d’amour.
Un livre ouvert à toutes ses pages sur l’humanité
Ces animaux sont comme un livre ouvert à toutes ses pages sur l’humanité. « Sur le dos de chaque animal, c’est un peu de nous qui nous promenons », souligne l’artiste plasticienne, en effleurant d’un doigt la croupe du cheval habillé de fines bandelettes de papier imprimé. Les images découpées dans des magazines collées sur ces animaux sont des évocations du corps féminin, d’œuvres d’art, de la nature, du graphisme, du minéral, du temps, du cinéma, de la liberté et de personnages aussi. « Là, il y a la photo de l’artiste peintre Frida Kalho, dont la souffrance nous éclaire, poursuit-elle, en pointant un visage au regard bien sérieux. Elle a su tirer parti de sa douleur pour proposer une œuvre et ça me touche. » Les œuvres de Marianne sont aussi un prolongement de l’homme. De loin, elles livrent leur beauté plastique, faite de lignes, de courbes, de postures et de mouvements arrêtés au cadran de la vie. Plus près, elles offrent une lecture intemporelle de ces fragments de vie écoulée, les parant d’un caractère, d’une histoire, d’une folie, d’une émotion. « Dans l’accumulation de papiers, il y a une forme de chaos, ajoute Marianne Guillerand. Et ce qui m’intéresse dans l’assemblage, c’est justement de trouver de l’harmonie à partir du chaos… Finalement, c’est ce qu’on essaye de faire de nos vies, n’est-ce pas ? »
Élever les animaux au rang d’œuvre d’art n’est pas, bien entendu, le fruit du hasard. Marianne Guillerand entame ce « voyage fantastique dédié au respect de l’espèce vivante, animale et humaine » après les attentats de 2015. Horrifiée et bouleversée par la cruauté des hommes, elle quitte Paris pour se réfugier dans son atelier de Montpellier, où elle laisse s’écouler une infinie tristesse. « Ces attentats ont été l’élément déclencheur, se rappelle-t-elle, le sourire douloureux. Je me suis enfermée pour créer. J’avais besoin d’être dans une bulle, pour reprendre mon souffle et retrouver la beauté. » Cette création est venue à elle, peu à peu, naturellement, viscéralement, apparaissant comme une nécessité de renouer avec le monde animal pour se réconcilier avec l’homme. Pendant deux ans de solitude, loin de la frénésie du monde, en compagnie de ses deux chats et de la musique, elle a donné une seconde chance à ces animaux qui avaient perdu de leur lustre et de leur jeunesse. Chinés, ici ou là, elle les a tirés des ténèbres, a pris le temps de faire connaissance, a écouté de la musique et dansé aussi autour, comme pour entrer dans une sorte de communion cosmique avec les éléments, et elle s’est laissé inspirer par la magie symbolique de l’animal. Patiemment, minutieusement, passionnément, elle a découpé, collé, appliqué des feuilles d’or pour raviver le beau en eux, cette fragilité de l’instant figé pour l’éternité. Comme une réparation ultime.
Être lucide sur cette notion d’éternité et du temps qui passe
Marianne Guillerand a toujours été lucide sur cette notion d’éternité et du temps qui passe. Très tôt, elle a voulu entreprendre ses rêves pour emplir sa vie de sens. Elle voulait réaliser les choses qu’elle avait envie de faire, aller vers ses passions et les explorer en ayant conscience du caractère éphémère de l’homme. Arrimée à l’amour de ses parents et grands-parents, Marianne a grandi entre l’Orne verdoyant dans une grande liberté d’être et la pension qui lui a donné le goût de l’épistolaire. Sa volonté et son courage en poche, elle a fait voyager ses rêves à l’étranger, accumulant expérience et diversité. Revenue en France, elle crée une agence de communication dans l’événement culturel. Elle y défend les Artisans des Métiers d’art et crée le prix du Roman d’Amour au « Prince-Maurice », à l’île Maurice, décerné alternativement à un écrivain francophone et anglophone. « Le monde de l’entreprise m’a raconté une histoire, poursuit Marianne Guillerand. Il m’a révélé mon potentiel et mes capacités. »
À trente ans, Marianne se lance dans le métier de comédienne et tourne dans une quinzaine de films, dont Mariage mixte, d’Alexandre Arcady, en 2004 et L’anniversaire, de Diane Kurys, en 2005. Entre-temps, elle publie en 2004 son premier roman aux éditions Michel de Maule, Blanche, night & day. Cette autofiction est inspirée d’une relation amoureuse, courte mais passionnée, qu’elle a vécue intensément. Après sa rupture, elle écrit ce livre sous la dictée, comme dans un état second. « J’avais 40° de fièvre, se remémore-t-elle. Mais les mots étaient là, l’écriture était très naturelle, comme si j’exploitais quelque chose qui dormait en moi. » Pour Marianne, cette période a été le passage de l’école de la vie à sa vie, à ses choix, à sa nature artistique, à l’acceptation de qui elle était : « L’excès de cette relation amoureuse m’a permis de savoir qui j’étais, que je ne voulais plus être en périphérie de l’art, mais plonger dedans et trouver ma place. Seulement, quand on est autodidacte, d’un côté on s’autorise des choses avec un culot monstre et, de l’autre, on a une forme de réserve, de sentiment d’illégitimité, analyse-t-elle, avec le recul. C’est pourquoi on y va doucement. »
Tout commence par un choc très intime
Au seuil de sa réalisation personnelle l’attendait une autre épreuve pour franchir le pas et pénétrer l’univers de l’art plastique qui est devenu sa vie, sa respiration, sa liberté d’expression. Tout commence par un choc très intime : la leucémie de sa mère. À ce moment-là, dans l’impossibilité de jouer et d’écrire, elle s’est remise à faire des collages. Cette activité, qui l’aidait à surmonter son sentiment d’impuissance face à la maladie, est une réminiscence de son enfance, sa Madeleine de Proust tant elle évoque une époque joyeuse avec sa mère. « Ensemble, nous faisions du dessin, de la décoration et du collage, se souvient Marianne, avec émotion. Ma mère était très douée de ses mains. Aussi, en reprenant le collage, je désirais lui faire un cadeau, et la faire sourire en lui racontant une histoire, notre histoire. Sur un carton, j’y ai donc rassemblé tout ce que nous aimions faire, tout ce que nous avions partagé et même ce que nous partagions dans cette souffrance redoutable qui nous prenait de court. À ce moment-là, je n’ai pas réfléchi à ce que je faisais, j’ignorais même ce que je faisais, j’avais besoin d’occuper mon esprit pour ne pas penser à la peur de perdre ma mère. »
Depuis 2005, Marianne Guillerand ne cesse plus de coller. Du carton, elle passe à la toile. S’inspirant de Gustav Klimt, Fernand Léger, Zao Wou-Ki, Henri Matisse, et de bien d’autres, elle affine sa technique et ouvre son atelier-galerie en 2006 au cœur de Montparnasse. Huit ans plus tard, elle décide de se consacrer pleinement à ses créations, laissant la diffusion de ses œuvres aux bons soins de galeristes, d’agents et de marchands. Peu à peu, sa technique, qui s’apparente à l’orfèvrerie tant elle exige de minutie et de créativité, s’enrichit de l’apposition de feuilles d’or. Ainsi le papier et le sujet sont-ils éclairés, sublimés. Les œuvres y gagnent en personnalité, en originalité, en puissance solaire, à l’image de sa créatrice qui signe-là un style très personnel. Entre des expositions de Paris à Deauville et du Japon à Miami, Marianne Guillerand poursuit sa quête du beau, du raffiné et du lumineux. Elle déborde de projets, mais l’artiste préfère les laisser venir à elle, le processus de création a son propre rythme, différent de celui des rêves. Elle l’expérimente continuellement : « Il faut rêver les choses très fort pour se rendre compte si le rêve s’accroche ; s’il est persistant, à ce moment-là, je le transforme. Et puis, il y a de fausses bonnes idées… Il faut faire des choix. »
Quoi qu’il en soit, il est certain que le bestiaire va s’élargir de nouvelles pièces, dont l’artiste réserve l’exposition à la galeriste Sophie Lacasse. « Elle a bien compris mon monde enchanté et son lieu est très approprié au raffinement que je défends dans ce travail », précise-t-elle. Par ailleurs, outre ses projets en devenir, une œuvre monumentale est en préparation, elle sera exposée dans le bassin méditerranéen. Marianne Guillerand n’en dira pas plus, mais souligne qu’elle devra faire évoluer sa technique par rapport à la nécessité et l’envergure du projet. En le qualifiant de « projet d’une vie », l’artiste révélée offre un visage qui rayonne de joie, de gentillesse et de générosité qui évoque l’accomplissement de soi : « Je travaille très dur pour rester dans la quête du bonheur. Il faut trouver le courage et la force en soi pour le cultiver. Moi, je l’ai trouvé partout là où il est. Ça semble futile, mais cela ne l’est pas du tout : sans bonheur, comment survivre aux épreuves ! » Dans le cas de Marianne Guillerand, ce sont les épreuves qui lui ont montré la voie du bonheur. Accepter de l’emprunter a transformé sa vie en destin. N’est-ce pas à ce prix-là que l’on trouve sa place dans ce bas monde ? »
Exposition “L’arche imaginaire de Marianne”
“Galerie d’Art & Design” de Sophie Lacasse (fermé juillet-août)
33, rue de Bellechasse 75007 PARIS
Mardi-Samedi 11h-18h30
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