“Plaidoiries”, magistral et fascinant

Temps de lecture : 3 min

 

THÉÂTRE & CO 

Avis de PrestaPlume ♥♥♥♥♥

Un seul-en-scène remarquable pour des plaidoiries édifiantes. Au théâtre Antoine, avec une rare intensité, se rejouent jusqu’au 17 novembre 2018 cinq grandes affaires judiciaires retentissantes. Richard Berry y revêt la robe d’avocat pour près d’une heure quinze plaidant ou accusant, avec une humanité et une modestie qui lui confèrent une crédibilité saisissante. Du magistral à la mesure des enjeux de société qu’ont induits ces procès ! Inspiré du livre de Matthieu Aron « Les grandes plaidoiries des ténors du barreau », ces affaires ont en effet été choisies pour leur impact sur la société durant ces quarante dernières années. Cinq procès entendent cinq textes ciselés, diablement articulés, qui donnent aux mots le superpouvoir de convaincre et d’émouvoir, nettement, simplement, sans fioritures, sans bavure. Leur objectif premier étant de « ramener l’accusé dans la communauté des hommes ». Vaste et lourde tâche que celui de l’avocat qui plaide, comme il combattrait dans une arène, pour infléchir un jugement avec, pour seule arme de poing, la puissance des mots et le choc de leur impact.

L’infanticide d’abord. En 2006, Maître Henri Leclerc défend l’indéfendable dans le procès de Véronique Courjault. Là, il n’y a rien à défendre d’ailleurs, mais peut-être à faire comprendre. Tout l’art de la défense est l’incitation à une réflexion sur l’explication d’un geste pour lequel l’avocat appelle à la clémence, en raison de la souffrance que ce geste a produit sur la mère, mais aussi sur son mari et ses deux enfants. En 1976, Maître Paul Lombard démonte l’existence même de la peine de mort et avec elle l’emploi de la guillotine, pour éviter à Christian Ranucci la peine capitale. Ce dernier est accusé d’avoir enlevé et tué une petite fille. Non seulement les faits ne concordent pas, mais ils s’opposent. Si le doute subsiste, la peine de mort doit disparaître du Code pénal. Lors du procès Papon, Maître Michel Zaoui fait une brillante démonstration sur la nécessité de différencier le crime crapuleux et le crime contre l’Humanité. Alors que dans le premier cas le tueur est en contact direct de la victime, dans le second le tueur de masse est sans contact avec ses victimes qui ne sont pour lui que des noms sans visage. De surcroît, le tueur de masse est le maillon d’une chaîne de fonctionnaires qui exécutent les ordres. Le coupable est multiple et personne n’est responsable. C’est ce que l’avocat appelle « le crime administratif ».

Puis viennent les éloquentes plaidoiries de Maître Jean-Pierre Mignard et de Gisèle Halimi. Le premier défend les familles des deux adolescents morts électrocutés à Clichy-sous-Bois, la seconde défend l’avortement, le droit de disposer librement de son corps. Le premier interroge le comportement des forces de l’ordre qui ont acculé Zyed Benna et Bouna Traoré dans un poste électrique, sans qu’il leur soit venue à l’idée de les avertir du danger. La raison ? Ces deux jeunes étaient issues d’une banlieue difficile. Soudain, c’est comme si toute humanité désertait les lieux au ban de la société, pour les remiser au banc des accusés. Le second secoue les mentalités avec force éloquence et démonstration sur la maternité non souhaitée, et au-delà sur le droit de ne plus être « une boîte à remplir ». C’est le droit qui est refusé à la femme de disposer d’elle-même, de son corps, mais aussi de maîtriser son destin, comme un être humain à part entière.

Les sentences qui ont suivi ont eu un si fort impact médiatique qu’elles ont suscité des débats dans la société jusqu’aux plus hautes instances publiques. Ainsi, les mentalités ont-elles pu évoluer et la loi a-t-elle pu changer. Ce spectacle remémore avec justesse et force ces évolutions, et démontre le pouvoir des mots, qui peuvent autant blesser que réparer, qui peuvent changer le destin des hommes, mais aussi d’un pays. Encore faut-il les entendre, et les apprécier à leur juste valeur. C’est tout l’objet de ce seul-en-scène au prétoire qui permet d’appréhender émotionnellement l’importance d’une bonne plaidoirie, illustrant par le verbe les enjeux et les techniques de défense si variées, si imaginatives. L’art de l’éloquence dans ses atours les plus éclairants et les plus brillants. Éric Théobald réussit par une mise en scène sobre à former un huis clos qui restitue l’ambiance d’un tribunal, dans son intensité électrique, où le public est propulsé juré. Afin de replacer les procès dans leur contexte, en fond de scène, sur des panneaux amovibles coulissants sont projetés des documents historiques et des images d’archives des procès évoqués, avec leur verdict et leur incidence. « Plaidoiries » est une pièce de théâtre qui captive par son intérêt évident et la performance sidérante de Richard Berry, tout en apportant son humble écot/écho à la conscience collective de notre pays qui doit perdurer.

Nathalie Gendreau

© Céline Nieszawer

Distribution

Avec : Richard Berry.

Créateurs

Auteur : Matthieu Aron

Mise en scène : Eric Théobald

Du mercredi au samedi à 19 heures, jusqu’au 17 novembre 2018.

Au Théâtre Antoine, 14 Boulevard Strasbourg, Paris 75010.

Durée : 1 h 15.

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