« Pasolini Musica », la pensée sublimée

Temps de lecture : 3 min

 

THÉÂTRE & CO 

Avis de PrestaPlume ♥♥♥

©Denis Tribhou
©Denis Tribhou

Force, caractère et volupté se dégagent du nouveau spectacle d’André Roche, de la compagnie L’Arsenal d’Apparitions qui se produira dès janvier 2017 au Théâtre de Ménilmontant. Pier Paolo Pasolini, le plus sulfureux et prolixe des artistes en résistance, est mis en musique et en scène dans un spectacle autour de trois comédiens impliqués et sensibles. “Pasolini Musica” réunit un homme (Miguel-Ange Sarmiento) et trois femmes (les chanteuses Stéphanie Boré et Éva Kovic, et la violoniste et pianiste Solène Ménard), des artistes qui incarnent avec ardeur et talent la pensée de cette figure controversée de l’anticonformisme, qui a été tout à la fois romancier, poète, scénariste, pamphlétaire, auteur dramatique, réalisateur et acteur.

Une dynamique de folie est insufflée sur scène, ne laissant aucun répit aux comédiens chanteurs et danseurs qui payent de leur personne jusqu’à la mise à nu des émotions et du corps libéré, exprimant ainsi la volonté d’émancipation si chère à Pasolini. Le spectateur ne peut rester passif ni imperméable face à cette démonstration de haut vol : il s’imprègne, s’implique et interagit aussi avec lui-même, accueillant les textes qui rivalisent de beauté et d’idéologie. Par un tour de passe-passe scénique, le spectateur est invité à tenir une conversation intime sur la dramaturgie “Pasolini”. C’est que la reconstitution de la vie de Pasolini, à la hauteur de sa pensée, est si dense et touffue qu’elle réclame un total abandon du spectateur acteur. Toutefois, cette magie ne fonctionne que s’il se laisse happer, sans résistance, avec une curiosité vierge de tout préjugé. Ainsi pourra-t-il mieux appréhender la personnalité fébrile d’un homme atypique, en recherche insatiable d’absolus, qui travaillait sans relâche à la refondation populaire de la gauche et dont l’assassinat le 1er novembre 1975 reste un mystère.

La composition d’André Roche est savamment structurée entre des poésies et des textes politiques parlés ou chantés, alternant italien et pasolini_hd_d3_0739français, entre des chansons de l’auteur qui ont été reprises et d’autres, créées à partir de ses textes, et entre des fragments d’interviews de l’auteur reconstituées avec la bande-son originale. Le tout avec une liberté de ton et une transgression des conventions, traduisant une “vitalité désespérée”, que Pasolini n’a cessé de revendiquer dans toute son œuvre. “Mon travail consiste à montrer les choses et les êtres dans leur sacralité“, disait-il. En cela, “Pasolini Musica” est un véritable et considérable travail d’orfèvrerie qui retrace de façon originale son engagement. “Mon intention était de faire entendre sa parole, qu’elle soit parlée, chantée ou dansée“, précise André Roche qui destine son spectacle à tous, à partir de quatorze ans, que l’on connaisse le cinéaste de “L’Évangile selon Saint Matthieu” ou pas. En ce sens, il est dans la prolongation de la pensée de Pasolini qui souhaitait toucher tout le monde avec ses textes et œuvres cinématographiques, y compris les classes populaires, comme le précise le metteur en scène.

André Roche n’en est pas à son coup d’essai. Sa compagnie fait du théâtre musical, de répertoire ou de création depuis une dizaine d’années. “J’ai commencé un travail sur des artistes en résistance“, déclare-t-il, encore ému par le très bon accueil de l’avant-première de son nouveau spectacle. Son précédent spectacle avait mis en lumière Anna Marly, chanteuse et guitariste française d’origine russe qui a créé le “Chant des Partisans”, et d’autres poètes de l’entre-deux-guerres. Il poursuit en dévoilant son intention : “Avec Pasolini, j’ai voulu travailler sur un auteur plus récent. C’est l’un des artistes qui a eu une grille de lecture la plus adéquate au monde d’aujourd’hui, à sa transformation, à la société de consommation, au néo-libéralisme et ses ravages, etc.

On l’aura compris, André Roche est un passionné de Pasolini, son spectacle en est la plus belle expression. Il offre l’occasion à un public averti ou non de découvrir un artiste complet, engagé, aussi prompt à fourbir sa plume acerbe qu’à aimer. Un artiste qui se savait incompris et en sursis, qui estimait que “la mort n’était pas de ne plus pouvoir communiquer, mais ne plus pouvoir être compris“. Gageons que “Pasolini Musica” est une clé de compréhension supplémentaire qui contribuera à ce que sa parole ne s’égare pas dans la mer de l’oubli.


« Pasolini Musica »
Textes et chansons de Pier Paolo Pasolini
Avec Miguel-Ange Sarmiento, Stéphanie Boré, Eva Kovic, Solène Ménard, André Roche

Adaptation et mise en scène d’André Roche
Théâtre de Ménilmontant (Salle Le Labo), 15, rue du Retrait, 75020 Paris
Durée : 1 h 25
Horaires : les jeudis 19 et 26 janvier et 2, 9 et 16 février 2017, à 21 h

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