“Où est Jean-Louis ?”, du théâtre conceptuel tout terrain !

Temps de lecture : 3 min

 

THÉÂTRE & CO 

Avis de PrestaPlume ♥♥♥

Il fallait y penser… et surtout l’oser. Au théâtre de la Michodière, on dépoussière avec une jubilation non feinte les habitudes du théâtre où chacun reste à sa place. Où d’un côté des comédiens enthousiastes donnent le meilleur et où, de l’autre, un public peinard se tord de rire. Et au milieu le metteur en scène qui règle le tempo du moteur. Avec “Où est Jean-Louis ?“, l’auteure Gaëlle Gauthier crée le concept du spectacle hybride qui mise sur l’interaction avec des inconnus du public. Trois au total, un par acte. Homme ou femme, c’est égal. Ce Jean-Louis interchangeable a un large pardessus beige, un nœud papillon clownesque et une perruque gris métallisé, tel un signe de reconnaissance secret qui s’évente à chaque représentation. Les Jean-Louis se sont portés volontaires, le comédien Arnaud Gidoin les sélectionne avant chaque acte. Ce soir-là : deux hommes, une femme. Une équipe motivée d’outsiders qui ne s’en laisseront pas compter, donnant à cette pièce survoltée un grain de folie candide et malicieux.

Jean-Louis est introuvable, il ne manque plus que lui pour que la pièce démarre à plein régime. Comme le tour de chauffe des six autres comédiens ne lui a pas permis de faire une entrée fracassante, l’un des spectateurs doit se dévouer pour sauver le spectacle. Sinon chacun repartira chez soi avec un réservoir de rires non consommé ! Du reste, l’enjeu du pitch est de taille. La vie d’une entreprise, et accessoirement de ses salariés, dépend de cette soirée, où un investisseur doit se déterminer. Il engagera des billes à la seule condition que l’équipe sur siège éjectable le fasse rire… par n’importe quel moyen, et plus la ficelle est grosse, mieux c’est ! Lui-même n’est-il pas un prestidigitateur facétieux ? Alors le rôle de Jean-Louis est capital : c’est la nouvelle recrue du patron pour créer une cohésion d’équipe et motiver ses salariés – sans filtres ni pare-chocs – qui craignent, eux, d’être mis sur la voie de garage. Et pour corser cette sélection surnaturelle, il faudra compter avec les inimitiés, la vengeance, les bassesses des personnages, tous typés à outrance pour provoquer des situations délirantes… et peut-être aussi pour éviter toute projection personnelle par le public !

Blagues salaces ou potaches, du délire spontané, du comique de répétition, de l’à-peu-près au cordeau. “Où est Jean-Louis ?” est une grande farce amphétaminique qui ouvre une voie royale à tous les impossibles et les inimaginables. La pièce de Gaëlle Gauthier tourne à plein régime, elle n’autorise que trois arrêts pour regonfler les batteries de la performance, le temps de faire monter sur scène le Jean-Louis de l’acte. Le danger est grand de céder le rôle moteur à un parfait amateur, de bonne volonté puisqu’il est volontaire, mais qui ne connaît rien du scénario prévu, dont il peut modifier – à la marge – la trajectoire. Le défi est malgré tout relevé par tous les comédiens gonflés à bloc, parfois en surchauffe.

Arnaud Gidoin en patron délicieusement cynique, Alexandre Texier en cadre très nerveux qui mise sa carrière dans ce dîner, Flavie Péan en épouse qui n’en peut plus de cet amour sans piments, Sébastien Pierre en salarié dépressif allergique au poulpe, et amant improbable d’un soir de l’hôtesse, Karine Dubernet en gestionnaire de stocks pince-sans-rire nympho et athlétique, et Loïc Legendre en investisseur accroc des jeux du cirque et de la mise à mort… délirante. Quant aux Jean-Louis, ils ne manquent pas de surprendre par leur à-propos et leur sens de la répartie. Un micro très discret donnerait cependant à leur timidité un supplément de coffre, si nécessaire à tout comédien.

Avec la feuille de route bien en main, l’auteure trace une belle avenue pour l’inattendu, et donc l’improvisation, canalisée par l’expérience des comédiens qui se surpassent, mais aussi par une mise en scène d’Arthur Jugnot chronométrée, aux débordements resserrés qui bornent la part de l’incontrôlable. Partir en vrille, oui, mais pour servir le divertissement ! C’est qu’il faut du talent pour ne pas déraper vers le grand n’importe quoi mortel. Contrairement à la boîte de Philippe en perdition, les six comédiens sont soudés et avancent dans la même direction pour éviter aux Jean-Louis successifs des sorties de route qui ne seraient drôles pour personne. Tout est prévu pour qu’à la ligne d’arrivée tout le monde gagne et en rie de bon cœur !

Nathalie Gendreau

Distribution

Avec : Karine Dubernet, Loïc Legendre, Arnaud Gidoin, Flavie Péan, Alexandre Texier, Sébastien Pierre.

Créateurs

Auteur : Gaëlle Gauthier
Mise en scène : Arthur Jugnot
Assistante Mise en scène : Louise Dahel
Scénographie : Juliette Azzopardi
Accessoires : Pauline Gallot

Lumières : Thomas Rizzotti
Musique : Romain Trouillet
Costumes : Clémentine Savarit

Crédit photos : Bernard Richebe

Du mardi au samedi à 21 heures et le dimanche à 17 heures, jusqu’au 19 août 2018.

Au Théâtre de la Michodière, 4 bis rue de la Michodière, Paris 75002.

Durée : 1 h 30.

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