“Nature morte dans un fossé”, du polar théâtral noir, beau et utile

Temps de lecture : 3 min

 

THÉÂTRE & CO 

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Avis de PrestaPlume ♥♥♥♥♥

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Frissons et tension extrême sont au menu de « Nature morte dans un fossé ». Repris à la rentrée au théâtre du Gymnase Marie-Bell, ce polar noir est la satire d’une violence ordinaire faite aux femmes, le désenchantement d’une jeunesse fragilisée par les addictions, le trafic et les arrangements sexuels, avec en fil d’Ariane le labyrinthe des mauvais choix dans lequel se débattent les personnages. Ce militantisme intelligent focalise toute l’attention jusqu’au paroxysme du dénouement qui suscite révolte et incrédulité. Pourtant, quoi de plus crédible qu’une histoire vraie ! Un fait divers, comme on en voit trop : le meurtre d’Élisa Orlando, une jeune femme retrouvée, le corps nu martyrisé, dans un fossé entre Gênes et Milan. Comédienne et auteure, Wally Bajeux n’aime rien tant que créer beau et utile. Cette union fait la force de son adaptation du livre de Fausto Paravidino, auteur contemporain dont l’œuvre analyse les travers de notre société. Pour l’adapter, Wally Bajeux a misé sur une originalité narrative électrisante, qui pulse sans répit. En rendant les pensées des sept comédiens audibles, plus que du théâtre immersif, c’est une immersion intime dans l’esprit de chacun d’eux qui est instaurée. À leur insu, les spectateurs sont aimantés par des scènes au réalisme saisissant. Du beau théâtre, alliant puissance et originalité, opposant violence et finesse, comme on en voit rarement !

Mauvaise soirée pour Boy (Titouan Laporte). Non seulement il revient de boîte sans un « bon coup » pour assouvir sa libido, mais un geste malencontreux provoque un accident de la route. La voiture fonce dans un arbre et échoue dans un fossé. Là, le jeune conducteur indemne découvre le corps sans vie d’une femme nue. L’inspecteur Salti Cop (René carton), homme dévoré par la misère humaine et les maux de ventre, arrive sur les lieux, suivi de Mussi (Thomas Carbonnel), un stagiaire qui s’avérera violent et opportuniste. Démarre alors une enquête complexe mêlant le trafiquant de drogues (Pusher – Julien Girault) qui joue de malchance avec la mafia et le petit copain de la victime, paumé et fauché (Morgan Costa Rouchy), dont les mauvais choix cumulés orchestreront la funeste fin d’Élisa Orlando, sa compagne de fêtes et de dèche. Au milieu de ce combat de testostérone, une prostituée (Bitch – Isabelle Kern) victime d’un trafic sexuel qui aime tant la musique. Enfin, il y a les infortunés parents, un couple en perdition qui ne se nomme plus mais se supporte encore. La mort brutale de leur fille, seul lien encore tangible entre eux, va faire imploser leur statu quo implicite. La mère (Wally Bajeux) se démène alors entre l’atroce réalité qui la confronte à la reconnaissance du corps et aux auditions avec l’inspecteur, et la remémoration de cette dernière journée passée avec sa fille, dont la vie, visiblement, lui échappait. Quant au père, c’est une ombre fugitive, une réalité qui prend vie par la voix de son épouse.

Dans un décor épuré qui s’anime par un jeu de paravents noirs ajourés, les comédiens évoluent dans un ballet de paroles intérieures. Des monologues constants, qui s’enchâssent et s’entrecoupent de quelques dialogues. L’entrechoquement narratif aurait pu dériver vers le chaos ou la confusion sans une élocution parfaite, maîtrisée, rythmée, qu’un sentiment d’urgence et de danger magnifie. Du suspense, certes haletant, qui heurte et malmène, mais teinté des coloris de l’âme humaine, de la peur bleue à la colère noire, en passant par le chagrin arc-en-ciel. Les comédiens, tous fantastiques, sont éminemment présents, se coulant dans leur rôle avec le coffre de résonance nécessaire. Les personnages sont tantôt rudes et tranchants, tantôt désœuvrés et fragiles. Et, entre ces extrémités, les émotions surgissent dans une variation d’intensité qui fait de cette course-poursuite pour retrouver le meurtrier un polar aux multiples facettes.

Car, avant d’être la voix d’une grande cause ou d’un jeu de comédiens investis, « Nature morte dans un fossé » est d’abord un cri. Un cri d’alarme, de colère et de ralliement tout à la fois. Trop de femmes meurent encore sous les coups d’un homme. Cette noble cause a trouvé en Wally Bajeux une combattante qui engage son inventivité et inscrit son art dans le ciment du corps social. À l’heure d’un individualisme galopant, elle veut sensibiliser les consciences en faveur de l’action citoyenne. Vaste programme et rude tâche dont « Nature morte dans un fossé » appose une pierre à l’édifice du vivant. Car ce polar est un hymne à toutes les vies, qu’elles partent d’un bon pied, trépignent ou perdent pied. Une pièce au réalisme social brutal qui ne laissera personne au bord du chemin… encore moins dans un fossé !

Nathalie Gendreau

©Woytec Konarzewski

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“Nature morte dans un fossé”

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Avec : Titouan Laporte, Julien Girault, René Carton, Wally Bajeux, Isabelle Kern, Morgan Costa Rouchy et Thomas Carbonnel.

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Créateurs

Auteurs : Fausto Paravidino

Mise en scène et scénographie : Wally Bajeux

Mise en lumière : Rodolphe Hamel
 


Jeudi 25 juillet à 20 heures et reprise les 10, 17 et 24 septembre à 21 h 30 et, à partir du 2 octobre, les mercredis à 21 h 30.


Au théâtre du Gymnase Marie-Bell, 38 Boulevard Bonne Nouvelle, Paris Xe.


Durée : 1 h 30.

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