“Montvert-les-Bains”, Maurice Denuzière

Temps de lecture : 4 min

 

Résumé

 “Je vous le dis tout net, je ne veux pas, moi, Laurent Saintour, participer aux actions délétères du mercantilisme sauvage. Je ne veux pas assister à la dilution des principes qui ont, jusque-là, guidé les fondateurs de Montvert-les-Bains. Vous ne pourrez pas maintenir le caractère familial de l’entreprise ! C’est pourquoi je n’entrerai pas dans votre respectable collège. Je ne ferai, du commerce des sources, ni mon métier ni mon idéal. Je ne boirai pas de cette eau-là !” Août 1900. Laurent Saintour, héritier de la station thermale de Montvert-les-Bains, dans le haut Forez, rentre des États-Unis pour célébrer le cinquantenaire de l’établissement qu’il doit un jour diriger. Mais il refuse de se glisser dans le moule d’une carrière préparée par trois générations de Saintour et décide de partir à l’aventure. La quête d’un mystérieux tableau et la poursuite d’une énigmatique Dame en mauve conduisent le jeune homme à un périple au cœur de la Belle Époque. Face à la concurrence d’autres villes d’eaux en plein essor, Montvert-les-Bains parviendra-t-elle à prospérer malgré la désertion de l’héritier ? En dépit des non-dits et préjugés, le père et l’oncle de Laurent réussiront-ils à vaincre les conflits suscités par mystères et secrets familiaux, orgueil et rancœurs ? Sauront-ils raviver les attaches terriennes et renouer les liens ancestraux ?

 

Avis de PrestaPlume ♥♥♥♥

L’historien et journaliste Maurice Denuzière fait son grand retour dans une forme jaillissante. C’est un retour aux sources des sagas avec la famille Saintour, propriétaire depuis trois générations de la station thermale de Montvert-les-Bains, à la frontière suisse. Le décor est planté au début du siècle dernier. Entre l’exposition universelle de Paris d’août 1900 et l’attentat de Sarajevo de juin 1914, c’est une plongée profonde dans plusieurs univers pour Laurent, le héros. Celui des thermes, une activité à la mode, où l’on prodigue les soins les plus divers, où l’aristocratie et la haute bourgeoisie s’y rencontrent, dansent, jouent, parient, s’amusent. Celui des arts, que l’auteur nous fait découvrir lors des pérégrinations du héros chargé par son oncle de trouver un tableau qui peut-être n’existe pas. Celui de la politique, où les alliances se nouent et se déjouent dans une Europe en ébullition, faites de revanchards et de bellicistes, où les espions s’entrecroisent, se surveillent et se trucident, à l’occasion. Et enfin celui de l’urgence amoureuse dans laquelle navigue à vue le héros entre les récifs des mœurs en matière de sexe qui divergent selon les pays.

Laurent est le fils unique et l’héritier d’une affaire qui se développe avec succès depuis cinquante ans. C’est un beau parti pour les mères en quête de marier leur fille et un homme intelligent prêt à faire ses armes dans la lignée familiale. Seulement, il ne goûte guère à toute forme de fixation. Donc, pas de mariage, ni avec une charmante demoiselle en pâmoison ni avec la charge de directeur d’une station thermale. Revenant scandalisé d’un voyage d’études d’un an en Amérique, où “l’audace étouffe trop souvent les scrupules” et où “l’on a le culte du parvenu“, il a pris sa décision. Il ne rentrera pas dans le moule de ses pères. Il veut voyager, tout connaître de l’Europe, de ses habitants, de leur histoire et de leurs coutumes. Il se sent européen dans l’âme et n’aspire qu’à sa liberté de mouvements et de cœur. Libre, il le sera, sans argent, sans travail, mais avec une grande facilité d’adaptation et un enthousiasme qui vont l’amener dans les villes d’eaux les plus courues en Espagne, en Autriche, en Allemagne, en Italie et en Angleterre. Il partait à l’aventure avec la conviction qu’”il n’existait pas de peuple élu, mais des peuples méconnus“.

Le cœur tendre et ferme, Laurent Saintour fantasme sur la Dame en mauve dont les apparitions mystérieuses coïncident avec des catastrophes qui finissent par le toucher de près. Grand, svelte, jeune, il a un regard bleu saphir bienveillant et arbore une fine moustache mousquetaire. Et partout où il pose son sac, les jeunes filles et les moins jeunes ne louent que sa gentillesse, son élégance et son grand dévouement aux autres jusque dans la rupture. Même les hommes sont sous le charme, et son sérieux dans le travail et sa probité en toute chose en font, chaque fois, l’homme dont on ne veut se séparer. Mais après deux ou trois années à un endroit, le sort, souvent sous l’apparition de la mort, le pousse à partir ailleurs. Vers cet ailleurs qui ne le satisfait jamais complètement.

C’est une fresque magistrale que nous relate Maurice Denuzière en faisant voyager son héros dans une Europe qui se développe, se modernise, se cultive, s’exporte, s’expose, s’industrialise, mais qui s’apprête aussi à s’armer et à tout détruire. Dans la narration vive et fluide au vocabulaire soigné s’entremêlent des descriptions au laser qui s’appuient sur une documentation vaste, riche et solide. Ces six cents pages sont un condensé inestimable d’une époque qui se dévoile sous forme d’actualités, d’expositions, de visites de musées, ce qui ralentit parfois les aventures du héros. Peut-on le regretter ? La lecture s’assagit, le plaisir se refrène, mais c’en est que meilleur. Le cadeau que nous offre l’auteur est manifeste, et mérite respect et gratitude. Maurice Denuzière a ce pouvoir de nous attacher aux personnages et à ce héros qui représente une jeunesse qui espère en son prochain, en l’Europe et en l’amitié entre les peuples. D’ailleurs, le parallèle avec notre époque donne le frisson… Bref, on ne veut pas quitter Laurent et on se surprend à lui donner rendez-vous au tome suivant, tel qu’on le ferait avec un ami. Car, il ne peut pas en être autrement. Une fin qui se conjugue avec un départ à l’armée, à la veille d’une déclaration de guerre, ne peut qu’augurer une suite ! Et je déclare tout de go qu’elle fera partie de ma pile à lire !

Éd. Flammarion, avril  2016, 616 pages, 22,90 €.

SP

 

 

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