“Mon frère”, Daniel Pennac

Temps de lecture : 3 min

 

Extrait

“Je ne sais rien de mon frère mort si ce n’est que je l’ai aimé. Il me manque comme personne mais je ne sais pas qui j’ai perdu. J’ai perdu la gratuité de cette affection, l’agrément de cette compagnie, la profondeur de ce silence, la distance de cet humour, la délicatesse de cette attention, la sérénité de ce jugement, cette intelligence des situations, la paix. J’ai perdu ce qui restait de douceur au monde. Mais qui ai-je perdu ?” (page 90)

 

Avis de PrestaPlume ♥♥♥♥

 

Avec Mon frère, Daniel Pennac revient à réminiscence feutrée sur l’homme qui lui a prodigué un amour discret, serein et attentionné. Un grand frère de cinq ans son aîné et un guide aussi qui l’a entraîné à sa suite à la cueillette des mots sur le chemin de la connaissance. Ce grand frère, le préféré de sa famille, lui a appris à parler et à écouter ses silences entrecoupés de bonnes tranches d’humour décalé, mais aussi et surtout à aimer lire, à commenter les livres, et donc à en écrire. Bernard le mélancolique est parti pour un ailleurs il y a dix ans, trop tôt, fatalité d’une erreur médicale, mais l’écho de sa présence continue de faire raisonner la vie et l’écriture de Daniel. Cet ouvrage réécrit la complicité des deux frères, rejouant à coups de répliques saillantes des fragments de souvenirs aussi fugaces que démonstratifs dans cette évidence d’amour. Un amour non déclamé, mais murmuré entre les lignes, que la petite brise de la reconnaissance fait bruisser pudiquement.

Daniel Pennac souffre encore, dix ans plus tard, de l’absence de son frère, au point de le faire apparaître en fond d’écran. Aussi discret et peu bavard qu’il fut, et malgré les sept cents kilomètres qui les séparaient, Bernard a marqué d’une bienveillance indélébile le destin de son petit frère. Seize mois après le décès de ce frère aimé, l’écrivain roulait sur l’autoroute du Sud quand un bolide rouge le dépasse à vive allure. C’est à cet instant précis, considérant que le conducteur était “l’exact contraire” de Bernard, qu’il a eu envie de relire Bartleby, la nouvelle de Herman Melville, de le monter au théâtre et de le jouer lui-même. Bartleby était l’un des textes préférés de son frère, qui raconte l’histoire d’un scribe consciencieux et travailleur. Un jour, bien que récemment embauché, ce dernier refuse des tâches que souhaite lui confier son employeur, notaire à Wall Street. “I would not prefer to“, autrement dit “je ne préférerais pas”, dit-il dans un total détachement. Un refus qui provoque une gradation d’émotions chez son employeur, qui font rire avant de laisser songeur. Jusqu’où peut-on refuser de se plier aux desiderata de sa hiérarchie, de la société ?

Mon frère est un témoignage délicat qui aborde la disparition d’un être cher dont on ne guérit pas. Bernard n’est plus, pourtant tout le raconte. Des objets, des lieux, des odeurs… et des livres. Un livre les a réunis dans leur enfance, le même ressurgit du passé pour se réécrire au présent. Daniel Pennac s’interroge sur ce frère qu’il aimait tant sans le lui avoir dit, sur leur relation si proche dans la distance, si intense dans la légèreté. Connaît-on réellement une personne ? Ne garderait-on pas plutôt une impression, des sensations qui la restituent, et non comme elle l’était fondamentalement – personne ne le saura jamais – mais comme elle a été perçue. C’est l’amour qui réincarne le souvenir, des morceaux choisis de vie. Avec une délicate pudeur, Daniel Pennac use et abuse d’un personnage de fiction, qui les unissait, pour parler de son frère, dont il dit ne pas savoir qui il est. Par une habile construction, l’écrivain fait alterner le texte de Melville faisant coïncider l’étrange et incompréhensible comportement de Bartleby avec le destin contrarié de son frère qui a voulu mourir avant de mourir pour de bon. Ainsi l’un de ses désirs a-t-il enfin été exaucé…

Nathalie Gendreau

 

Éditions Gallimard, 5 avril 2018, 144 pages, à 15 euros.

 

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