“Molière malgré moi”, le théâtre en majesté

Temps de lecture : 4 min

 

THÉÂTRE & CO 

Avis de PrestaPlume “Coup de cœur”

Il est des pièces qui divertissent, il en est d’autres qui enrichissent. Molière malgré moi est un attrape-bonheur qui dispense l’un et l’autre d’un égal talent. Francis Perrin en est l’heureux créateur, le metteur en scène inspiré et l’âme sœur incarnée quand il raconte les quinze dernières années de vie et de scène du « premier farceur de France » et explique l’homme dans la force de l’âge et de l’imagination. Comment ne pas être fasciné, à son tour, par ce grand Monsieur du théâtre à la fois travailleur infatigable et chef de troupe créatif ? Il a été l’un des rares, sinon le seul, pourvoyeur de plaisirs dans le cœur du Roi, de la Cour et du Peuple avec une constante égalité. Sa carrière cheminant avec raison gardée, Francis Perrin s’est attaché à Jean-Baptiste Poquelin, comme à un frère de comédie. Au fil de centaines de représentations des pièces de Molière, il a goûté aux vers merveilleux, frappés au coin de l’humour railleur et aux tournures grisantes qui émoustillent l’esprit et entretiennent la joie. Avec ce seul en scène né de cette évidente appartenance familiale, il est parti à la conquête d’un public affamé de beau. Tant et si bien qu’une troisième saison de Molière malgré moi a redémarré ce printemps 2017, sous les « quinquets » électriques du théâtre de la Gaîté-Montparnasse et la lueur vive et rieuse des yeux de Francis Perrin, en digne héritier de Molière.

De pied en cap, Francis Perrin s’impose en chantre de Jean-Baptiste Poquelin. Culotte rouge carmin, chemise blanche bouffante et souliers à boucle, d’une rare sobriété pour l’époque du Roi Soleil, le comédien se glisse du mardi au samedi dans la peau d’un fabuleux conteur. Son objectif ? Ramener le public au temps de ce roi grand protecteur des arts et des lettres et lui faire approcher un Molière vibrant, touchant, à l’énergie pétillante et facétieuse. Ce sont des retrouvailles pour le public qui a étudié quelques-unes de ses pièces à l’école. Certains vers qui font mouche sont encore imprimés dans sa mémoire vive. Qui ne connaît pas le parcours de ce comédien et écrivain, plus chanceux dans les farces que dans la tragédie, son imagination sans borne, son dynamisme et sa grandeur d’âme, ses réussites fracassantes et ses rares échecs, son appétit des femmes et des planches, le dévouement à son art et au public jusqu’à la mort ? Oui, peu ou prou, et de façon abstraite. Avec Francis Perrin, on tutoie le maître, que dis-je ? Le « bel esprit », comme le nomme Louis XIV.

Francis en Jean-Baptiste Poquelin est émouvant à l’évocation des grandes amitiés trahies, des fortes amours trompées et des déchirants deuils. Francis en Molière ressuscite avec une aisance désarmante une époque où les personnages ressemblent terriblement à ceux d’une époque plus moderne. Les tartuffes et les précieuses ridicules n’ont pas pris une ride. Le XXIe siècle prend une claque avec la démonstration de la persistance de l’homme à se croire supérieur à son voisin, usant pour s’en persuader de l’hypocrisie, de la dissimulation, de la trahison et du calcul. Des caractères bien brossés par le talent de Molière à tourner en ridicule les travers de son siècle. Quant à Francis en Francis le conteur, c’est la passion et la complicité avec son public qui le transcende. Il saute, virevolte, mouline des bras, s’agite côté jardin, puis côté cour, escalade le fauteuil damassé d’or ou s’y écroule pour attendre celle qui a toujours le dernier mot… la mort qui va guetter son illustre prédécesseur. La fougue l’habite à temps complet, portant les gestes et le ton avec passion. Parfois, le vers bute de joie et se casse le nez sur le rire. Alors il se relève encore plus frétillant et complice, et la tirade fuse sans coup faiblir. Comme Molière en son temps, Francis Perrin joue à la perfection avec ce si charmant trouble du langage qui l’a distingué des autres comiques. Et les spectateurs sont aux anges, ils applaudissent à rompre le talent du comédien qu’ils aiment depuis plus de cinquante ans ! Certains même ont versé une larme, la larme de la reconnaissance.

Car Molière malgré moi est une merveilleuse incursion dans le bel esprit où bouillonnent l’intelligence du cœur et la rutilance des mots. Francis Perrin hisse avec honneur la langue de Molière au panthéon du pur plaisir et de la beauté. En ces temps de disette intellectuelle, il sème à tout vent les vers qui ne demandent qu’à germer dans les jeunes esprits, avides d’apprentissages et encore sensibles à la beauté des mots. Ces mots, fort communs isolés, prennent des tours plus enthousiasmants quand ils sont bien ordonnés. Mais la langue de Molière, qui a percé les frontières en ses temps de gloire, se tient aux ordres d’un ministère pour essaimer l’esprit dans la tête des élèves. Public, n’attendez pas, emmenez vos enfants écouter du beau texte. Quand il est bien dit, il génère de l’émotion, et l’émotion s’invite dans la mémoire et la mémoire, alors, jamais ne faillit… Elle fleurit ! Molière malgré moi fait partie de ces spectacles, divertissants et enrichissants, accessibles à tous et surtout à la jeune génération. Élever son esprit, n’y a-t-il rien de plus exaltant dans une vie ? Et quand c’est possible en riant, ma foi… ce serait fou de passer à côté !



« Molière malgré moi »

Auteur, metteur en scène et comédien : Francis Perrin

Lumières : Jacques Rouveyrollis

Costumes : Pascale Bordet

Son : Michel Winogradoff

Du mardi au samedi, à 19 heures, jusqu’au 2 septembre 2017.

Au théâtre de la Gaïté-Montparnasse, 26 rue de la Gaîté, 75014 Paris.

Durée : 1h30.


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1 réflexion au sujet de « “Molière malgré moi”, le théâtre en majesté »

  1. Louer Molière en saluant Francis Perrin… voilà l’exploit réussi par Presta Plume dans son compte rendu de la pièce “Molière malgré moi” qui devrait triompher à la Gaieté Montparnasse. Le premier enchante les Palais et les écoles depuis des siècles, le second a déjà trouvé le chemin de nos cœurs depuis des décennies…

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