Extrait (page 105)
“Même pas morts”, Marc Magro
“Dans la voiture, Paul s’épancha sur sa peine, son inquiétude, sa tristesse… C’était la première fois qu’il se laissait aller. Dans d’autres circonstances, il se serait conduit comme beaucoup d’autres hommes prisonniers de leur désarroi. Il aurait piqué une tête dans une eau glacée, grimpé un sommet difficile à coups de piolet ou cherché à battre un record de course à pied jusqu’à s’effondrer. À moins de se mettre à bricoler avec les outils les plus dangereux au risque de se blesser. Car, au fond, il ressentait comme un raté, un loupé, une putain de culpabilité.”
Avis de PrestaPlume ♥♥♥♥
Fondé sur des faits réels, « Même pas morts » (éd. De Borée), de Marc Magro, est un polar d’une profondeur historique glaçante qui met face au néonazisme émergent. L’auteur nous embarque dans une double enquête policière et familiale qui se construit autour de la disparition des grands-parents du commissaire Paul Antonnelli, Anna et René, un soir d’été, à La Baule. Mais qui peut donc s’en prendre à ce brave couple de retraités, apparemment sans histoires ? Toutes les pistes semblent converger vers le passé d’Anna, dont la famille fut persécutée comme tant de juifs. Paul Antonnelli ne sait rien de la jeunesse de sa grand-mère, avant son mariage, comme si cette période avait été engloutie. Il n’avait jamais osé la questionner. Aujourd’hui qu’elle avait disparu, il le regrettait. De révélations en découvertes, il s’entêtera à retrouver les pièces manquantes du puzzle, dans l’espoir de les retrouver vivants. Mais cinq années vont passer avant de voir la résolution de l’énigme. L’intrigue est serrée et nerveuse, l’écriture fluide, les émotions dignes et sobres. L’intrication des deux époques qui se répondent maintient l’intensité du suspense jusqu’au bout. Passionnant !
Résumé
En août 2013, pour les vacances, Paul Antonelli se rend avec sa femme et sa fille à La Baule, dans la maison que ses grands-parents, Anna et René, louent chaque été. Mais, à leur arrivée, personne ne les accueille. Ils ont disparu. Commissaire à Bordeaux, il alerte aussitôt le commissariat de la ville balnéaire, où il trouve en Julien Dolins, son homologue, un jeune homme consciencieux et un solide appui. Cette disparition inexpliquée va contraindre Paul Antonelli à se confronter à un passé familial qui recèle bien des mystères, mais aussi à rejouer son propre passé d’enfant abandonné par sa mère. Son père n’a jamais su trouver les mots pour le conforter ni pour l’aimer. Le silence les a éloignés l’un de l’autre. C’est donc surpris que Paul reçoit de sa part un article de journal évoquant un film de propagande nazie, qui aurait été tourné dans le ghetto de Varsovie, en 1942. La photo montre une petite fille d’une dizaine d’années accompagnée de sa mère. Serait-ce Anna ? En remontant le fil de l’histoire de sa grand-mère, il est de plus en plus persuadé de suivre la piste de la disparition de ses grands-parents. Il les cherchera jusqu’à l’obsession, jusqu’à ce qu’il connaisse dans le menu la vie de sa grand-mère et les raisons pour lesquelles les descendants de l’Allemand qui l’a sauvée sont exécutés sauvagement.
Pour approfondir
« Même pas morts » est un polar puissant qui évoque les répercussions historiques du nazisme dans le présent. Le nazisme ne serait donc pas mort, il s’est relevé sur les cendres d’une idéologie moribonde, obscène, honnie, et fait son lit dans le nationalisme galopant du troisième millénaire. L’enquête policière est le formidable prétexte à montrer qu’un bras de fer souterrain est toujours engagé entre ces criminels de guerre, dont certains seraient toujours en vie et non inquiétés par leur gouvernement, et ceux qui réclament réparation. Avec ce livre très bien documenté, l’auteur met également en lumière la conduite héroïque de certains Allemands, qui ont été ensuite reconnus Justes parmi les Nations. Il est bon de rappeler que tous n’ont pas suivi aveuglement la doctrine d’un fou et qu’ils ont risqué leur vie pour sauver de nombreuses autres. Si le thème du livre est chargé émotionnellement, sa lecture n’est pas pesante. L’enquête (et ses nombreux rebondissements) est une manière douce d’amener le lecteur à se frotter à l’horreur du nazisme. Du reste, le livre diffuse une belle lumière. Si l’on ne devait n’en citer qu’une, évoquons la fille de Paul, une enfant précoce qui ne manque ni de réparties ni d’espièglerie. Elle incarne à merveille une nouvelle génération, soucieuse de comprendre et de réparer, en quelque sorte raccrocher sa propre histoire à la chaîne de la mémoire familiale, voire à l’échelle de l’humanité.
Nathalie Gendreau
Éditions De Borée, Collection “Marge Noire”, 28 mai 2020, 480 pages, à 19,90 euros.
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