Un seul en scène tordant et rythmé sur le “concept des générations”
Que n’a-t-on entendu ce reproche dans la bouche de nos parents qui se désespéraient de nous voir enfin grandir ! Derrière cette question rhétorique d’exaspération se cachait souvent de l’indulgence. Au fait, peut-on dire que c’est une expression de vieux ? Sapristi, flûte, zut ! Qu’il est facile d’être démasqués par notre langage ancré depuis des lustres d’utilisation ! Des mots accrochés à telle ou telle génération, c’est une réalité que la pétillante trentenaire Marion Pouvreau (Prix Meilleur Espoir Avignon 2021) a observée pour la transposer dans « Mais t’as quel âge ? ! ». La mise en scène mobile et énergique de Yannick Bourdelle concrétise efficacement cette urgence du temps qui passe. Ainsi, dans son deuxième seul en scène, tordant et rythmé, l’humoriste s’empare de ce qu’elle nomme « concept des générations » pour en balayer les signes distinctifs auxquels on ne pourrait échapper, de la génération dite silencieuse (avant 1945) à Z (1996-2010). On se rassure comme on peut : l’âge réel est celui du cœur et des artères, on ne se sent pas vieillir, on est tous le jeune ou le vieux de quelqu’un, etc. Mais, si tout est relatif, tout est aussi une question de génération qui nous trahit. Le temps file, c’est un fait, mais vous le laisserez filer avec un plaisir non boudé sur la scène de la Folie Théâtre, à Paris, jusqu’au 28 avril, au Festival Off d’Avignon et en tournée jusqu’à fin 2022.
Des portraits dressés avec malice et tendresse
À travers cinq personnages, constituant une famille lambda, Marion Pouvreau nous décrypte ce qui fait que nous appartenons à une génération. Même si on ne coche pas toutes les cases de manière définitive, on se reconnaît bien dans les portraits qu’elle dresse avec malice et tendresse. Il y a Papy Jean, digne représentant de cette génération née avant 1945, autour duquel on aime se regrouper le temps d’un repas d’anniversaire et qui se remémore le passé. Pour lui, c’était le bon vieux temps, un temps qu’il comprenait. Son fils, Alain est un baby boomer qui attend avec impatience une retraite qui recule d’année en année du fait d’une réforme des retraites capricieuse. Sa petite-fille Nathalie qui a la quarantaine mal assumée, prise entre la dictature du développement personnel et les crises d’énervement contre ses enfants désobéissants… Une génération X sacrifiée, désenchantée, celle que Mylène Farmer a si bien chantée. Il y a aussi Émilie, la trentaine qui ne refuse jamais un verre d’alcool de peur qu’on la pense enceinte et qui ne rêve que de créer son entreprise. Enfin, il y a Juliette, représentant la génération Z, un chouya plus jeune que sa cousine Émilie. Mais dix ans d’écart constituent déjà un fossé difficile à franchir pour la rejoindre sur la rive de l’hyper jeunesse connectée et sans filtre !
Entre jeu et improvisation, l’humoriste embarque tout le monde
En dépeignant une famille entière, Marion Pouvreau touche tous les spectateurs. Ces derniers se retrouvent dans leur portrait-robot et s’amusent à leurs dépens avec enthousiasme. Ce soir-là, nous étions – eh oui, je m’inclus dans ce taux – 67 % de vieux ! Seules deux générations Z étaient présentes. Discrètes et réservées, elles ne devaient pas en penser moins ! Sur un mode interactif, l’humoriste embarque tout le monde dans son bateau intergénérationnel… un bateau ivre de joie. En faisant des haltes au port de chaque génération, elle joue et improvise selon les réponses du public invité à s’exprimer. En s’installant, cette complicité naturelle crée la sensation d’être entre amis ayant l’habitude de se taquiner, pour le jeu, pour le plaisir de se revoir. L’humour de cette croqueuse de générations n’est jamais méchant, parce qu’il se fonde sur des caractéristiques générales. Nous adorons rire des autres, mais avec son capital sympathique et sa délicatesse, nous rions de bon cœur de nos comportements qui dénotent une époque bien définie. Citons un exemple ou deux, issus de ma propre génération X : « Polaroïd » et « Boîte de nuit ». Ces termes-là ne sont-ils pas connotés à une décennie particulière ? Aïe, mes aïeux ? Non. Chouette ! Car il vaut mieux en rire qu’en pleurer… et même en pleurer de rire !
Nathalie Gendreau
©Fabienne Rappeneau
Distribution
Avec : Marion Pouvreau
Créateurs
Auteur : Marion Pouvreau
Metteur en scène : Yannick Bourdelle
Costumes : David Baumet
Tous les jeudis à 21 h jusqu’au 28 avril 2022.
En juillet au festival Off, Théâtre ARTO – Quartier La Luna
En tournée jusqu’au 28 novembre 2022
A la folie théâtre, 6 rue de la Folie Méricourt, Paris XIe.
Durée : 1 h 15
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L’une des définitions les plus simples du mot « sémantique » est « qui concerne le sens des mots ».
Manifestement, Marion Prouveau pratique à merveille cet art un peu oublié mais qui va retrouver bientôt, j’en suis sûr, ses lettres de noblesse quand les « Woke » et leur 5ème colonne auront été boutés hors de notre champ lexical.
Eternel optimiste je fais partie des générations les plus anciennes du spectacle, bref, contemporain de Papy Jean. Mais je suis toujours en contact réel avec la génération Z que j’ai eu plaisir de côtoyer dimanche dernier Place du Trocadéro.
Et si certains mot nous datent parfois, je pense que c’est dans le bon sens, car ils sont souvent ignorés par ceux qui ne les utilisent pas. Il est des richesses qui ne tintinnabulent pas au fond de notre poche. Les mots en font partie. Un grand bravo donc à Marion Prouveau, (qui pourrait être ma petite fille), pour avoir repris un flambeau trop souvent abandonné par nos intellectuels couards ou paresseux.
Vite, un aller simple pour La Folie Théâtre !